Sep - 6 - 2014

Un banquier au Ministère de l’Economie

Ce lundi 25 août, le premier ministre Manuel Valls a annoncé la « démission » de son gouvernement, et la formation d’un nouveau, qui a été annoncé le lendemain. C’était la conséquence des attaques publiques d’Arnaud Montebourg, qui a critiqué dans une interview au Monde la politique économique du gouvernement, en soulignant que « l’austérité était mauvaise pour l’Europe » et qu’il n’était pas possible que les français « aient voté les socialistes pour que ceux-ci appliquent la politique de la droite allemande ». Le gouvernement a réagi rapidement en annonçant que « une ligne jaune avait été franchie », et deux jours plus tard, il a annoncé la formation d’un nouveau gouvernement.

Au-delà du développement rapide de la crise (qui a rouvert le débat sur l’impopularité du gouvernement et son assiette politique de plus en plus petite) celle-ci a été le reflet de quelque chose de plus profond. La situation économique se détériore, et les questionnements au gouvernement sont de plus en plus forts, même au sein du PS, dont Montebourg est une sorte de représentant de l’aile « gauche ». Le gouvernement en a profité pour « nettoyer » ses propres rangs et pour réaffirmer son cours de pro-patronal. Toutefois, un élément pourrait changer toute l’équation: l’entrée en scène de la classe ouvrière, qui a commencé à se lever avec la grève des cheminots et celle des intermittents avant l’été.

Le contexte de la crise : une détérioration de la situation économique

Un jour après l’annonce du nouveau gouvernement, les données de l’Insee du mois de Juillet ont parfaitement mis en lumière la base matérielle de la crise politique actuelle : un chômage en hausse pour le neuvième mois consécutif (catégorie A, + 27,400 personnes), la plus forte hausse depuis février ; pour la catégorie B, la hausse de juillet est de 43 500, le pire de l’année. Le nombre de chômeurs catégorie A comprend actuellement 3,4 millions de personnes ; pour les catégories A+B+C, le chiffre atteint 5,4 millions.

Face à la crise économique, la politique du gouvernement a été d’accroître la compétitivité des entreprises : baisser les impôts, rendre moins chers les licenciements, flexibiliser encore plus de le marché du travail, etc.. ; ce qu’on a appelé une « politique de l’offre ». En plus d’une patronale qui exige toujours plus et de la droite qui critique le gouvernement pour ne pas aller assez loin[1], une contestation interne s’est développé dans le PS, avec un groupe d’environ 50 députés qui ont refusé de voter les dernières lois du gouvernement. Ce sont les « frondeurs » dont Montebourg se déclare proche.

Une partie de l’explication est le calcul électoral de Montebourg et de la gauche du PS: Manuel Valls, l’un des plus populaires dirigeants socialistes il y a quelques mois, a vu sa popularité chuter de vingt points depuis qu’il est Premier Ministre, c’est-à-dire en moins de six mois. Mais la question fondamentale est celle que nous soulignons, la situation économique défavorable face à laquelle Montebourg a voulu se déresponsabiliser, en critiquant les politiques gouvernementales.

 « C’est Cuba sans le soleil »

Malgré la crise ouverte, le gouvernement en a profité de l’occasion pour purger et réaffirmer son cours : celui des réformes économiques libérales, de soumission à l’UE, coûte que coûte. Comme Hollande annoncé quelques semaines dans une interview avec Le Monde, pas qu’ils envisagent de renverser la vapeur, que pour réussir il faut «jusqu’au bout».

En ce sens, il a nommé comme nouveau Ministre de l’économie Emmanuel Macron, social libéral avoué ; passons en revue un peu sa trajectoire. Macron fut conseiller général du gouvernement au cours des deux dernières années et l’un des principaux instigateurs du Pacte de Responsabilité ; il est devenu millionnaire en travaillant comme banquier chez Rothschild ; quand Hollande a proposé une taxe de 75 % sur les salaires excédant 1 million d’euros – bien que ce n’était même pas vrai-, Macron a commenté que c’était « Cuba sans le soleil ».

C’est-à-dire, que face aux critiques par la « gauche », le gouvernement réaffirme son cours, en nommant ministre de l’économie un représentant direct de la bourgeoisie, tout simplement un ex-banquier. C’est un message clair adressé à la gauche du PS: « si vous voulez partir, nous continuerons notre cours » ; à la classe ouvrière, qui subira les ravages de ce nouveau ministre et, enfin, aux patrons, qui applaudit sa désignation.

En résumé, contradictoirement et malgré la crise vécue, le « Gouvernement de combat » que Hollande a demandé à Valls quelques mois auparavant, suit son cours, avec un éxecutif plus cohérent qui prône une politique claire : la relance de l’économie se fera en aidant entreprises, en leur faisant la concession après concession, même si cela signifie la fin du PS.

Un gouvernement affaibli mais qui continuera ses attaques

Il y a deux points qui nous semblent importants. Tout d’abord, ce qui est clair pour tout le monde, c’est que les événements de ces derniers jours ont provoqué une crise politique pour le gouvernement. En fait, ils ont montré un exécutif divisé, avec des fractures internes, qui sont une réplique de celles dont le PS souffre à l’Assemblée Nationale, et qui pourrait menacer la gouvernance plus sérieusement à l’avenir.

Comme tous les analystes le soulignent, le gouvernement a encore réduit sa base politique. D’une part, avec la « expulsion » pure et simple de trois ministres : Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti. Cela ne peut qu’approfondir son affrontement avec les « frondeurs » de l’aile gauche du PS, qui ont fortement critiqué la composition du nouveau gouvernement. Il s’agit d’un secteur non marginal du PS: entre 40 et 50 membres des 291 députés PS à l’Assemblée Nationale ; en outre, Montebourg a remporté 17 % des voix et la troisième place dans les dernières primaires au PS.

Outre les « frondeurs », le gouvernement a été incapable de séduire d’autres forces politiques proches : les écologistes ont refusé de participer au nouveau gouvernement, comme ils l’avaient déjà fait dans le premier gouvernement de Valls. Cela a été aussi le cas de Robert Hue, qui a refusé de participer à Valls II.

Le deuxième point qui nous semble important est que, malgré ces faiblesses, le gouvernement a envoyé contradictoirement, si ce n’est pas un signal de « force », au moins de « conviction ». Pas de conviction au sens éthique du terme, mais au sens qu’il a une politique et un cours claire qu’il va essayer de soutenir : celui des réformes libérales pro-entreprises.

En ce sens,  il a un soutien pas négligeable qui peut lui aider à faire « contrepoids » à son impopularité et son manque de base politique : celui du MEDEF, qui a salué autant le Pacte de Responsabilité que le nouveau gouvernement. Ce n’est pas par hasard si le lendemain de la nomination du nouveau gouvernement, Manuel Valls lui-même a ouvert l’Université d’été du MEDEF, avec un discours qui a été applaudi par les patrons. Dans ce discours, Valls a déclaré que « la France a besoin des entreprises, qui sont ceux qui créent de la richesse », que « nous devons mettre fin à l’opposition entre les employeurs et les travailleurs ».

C’est pourquoi il est encore trop tôt pour « enterrer » le gouvernement, qui a un objectif clair : continuer avec les attaques contre la classe ouvrière. Avec le MEDEF comme allié et une attitude de soutien ou de passivité de la part de la bureaucratie syndicale, il a déjà réussi à infliger des défaites aux travailleurs. Donc la clé de la situation, est que la classe ouvrière intervienne avec ses propres méthodes et revendications sur la scène nationale.

Organiser la résistance aux nouvelles attaques du gouvernement

Comme nous l’avons déjà indiqué, la crise internationale du capitalisme pousse des secteurs toujours plus larges de la classe ouvrière vers la misère, la précarité, le chômage ou des conditions de travail de plus en plus difficiles. Ce « déclencheur » de luttes constantes ouvrera surement des combats d’importance en France, un pays avec une grande tradition de résistance ouvrière.

Les luttes des cheminots et des intermittents du spectacle, qui ont secoué le pays au printemps, avant la fin de l’année, peuvent avoir annoncé de combats plus durs à venir. La politique anti-ouvrière du gouvernement, réaffirmé à l’occasion de cette crise politique, continuera d’ouvrir des opportunités pour la résistance ouvrière.

L’énorme impopularité du gouvernement, les questionnements croissants à droite et à gauche, pourraient également fonctionner comme un catalyseur pour les processus de mobilisation. Malgré le rôle perfide des bureaucraties syndicales de tout poil, nous n’en doutons pas qu’il y a des réserves énormes de combativité dans le prolétariat français. Pour des brèches qui s’ouvrent et pour mettre un terme à la politique anti-ouvrière du gouvernement Hollande-Valls, construire la résistance et les luttes des travailleurs est l’une des principales tâches de la gauche dans la prochaine période.

 

[1] Confronté à la question sur ce qu’ils auraient fait d’avoir remporté les élections en 2012, Valérie Pécresse, chef de file de l’UMP, a répondu « augmenter encore l’âge de départ à la retraite, en finir avec les 35 heures, réduire les impôts des entreprises ».

Par Ale Vinet, Socialisme ou Barbarie – France, http://sobfrance.unblog.fr, 27/08/2014

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