Oct - 18 - 2014

Le dimanche dernier a eu lieu le premier tour des élections présidentielles au Brésil. Ce géant régional est actuellement la septième économie du monde, si l’on tient en compte son Produit National Brut; ce seul fait que tout le monde soit à l’attente des résultats, mais cette attente se transforme en un regard fort et obsessionnel lorsqu’il s’agit des pays de la région. Parce que du cours qui prenne ce pays dans les années à venir, dépendent largement des conditions dans lesquelles les politiques et les relations économiques dans la région se déroulent.

Les résultats qui a laissé ce premier tour ont été surprenantes et inattendues: Dilma Rousseff, actuelle présidente et candidate à la réélection par le PT,l’a remporté avec 41,6 % des voix; derrière elle, en deuxième position, Aécio Neves du PSDB (Parti dirigé par l’ancien président Fernando Henrique Cardoso) a obtenu 33,6 % des suffrages; encore plus loin dans est arrivée  Marina Silva, candidate du PSB, avec 21,3 % des voix. Avec ces chiffres, le 26 octobre, il y aura un second tour entre Rousseff et Neves.

Les sondages précédents n’ont eu rien à voir avec les résultats. Il y a quelques mois, ils  présageaient un second tour entre Dilma et Marina où la deuxième s’imposerait avec  toute sécurité à la Présidente actuel, mais la « grande promesse » a manqué de carburant avant que l’élection ne commence. Dans les dernières semaines, les sondeurs, en vérifiant  la chute dans l’intention de vote à Marina Silva, ont annoncé une victoire confortable de Dilma au premier tour, mais la réalité a montré qu’ils avaient tort. Le scénario actuel laisse la course à la présidence de géant d’Amérique du Sud  avec un final ouvert. Puisque la différence de 8 points de pourcentage entre Dilma Rousseff et Aécio Neves ne permet pas d’assurer aujourd’hui, qui obtiendra la victoire.

Les marchés, exubérants  avec Aécio Neves

Dans les jours précédant l’élection, un sondage publié par le Journal Folha de Sao Paulo avait prédit une victoire confortable de Dilma au premier tour. Face à ces présages la réponse de la Bourse de San Pablo, ne s’est pas fait attendre: elle a chuté de 5 % en une seule journée. Mais lundi dernier, avec les résultats en main et avec la possibilité qu’Aécio Neves atteint la présidence, les marchés ont sauté de joie. Dans des déclarations pour le journal La Nación, un économiste brésilien a déclaré que « Il y beaucoup d’optimisme dans le marché dans la perspective qu’Aécio, qui a obtenu  un pourcentage beaucoup plus élevé de voix que ce qui était prévu, puisse vaincre à Dilma au second tour et inverser la politique interventionniste de l’économie que nous avons vu ces quatre dernières années. (…) Ce sera une dispute difficile, mais les investisseurs ont confiance qu’Aécio ferait les corrections nécessaires pour rétablir la croissance, réduire les coûts et contrôler l’inflation. » En fait, la presse brésilienne (et l’argentine) sont réjouis et ont un optimisme rampant dans la perspective que la défaite de Dilma au Brésil signifie un coupt d’arrêt pour le progressisme dans la région, ainsi qu’un retour à des conditions plus conservatrices, plus classiquement néo-libérales, qui régnaient jusqu’au début du XXe siècle.

Sans doute le résultat de ce dimanche a montré une élection de plus à droite que prévu. La victoire assez courte de Dilma a montré un renforcement de la candidature la plus clairement néo-libérale.

Puisque, bien qu’on ne puisse pas dire sérieusement que Dilma est véritablement une représentante de la gauche -c’est plutôt l’aile droite des « gouvernements progressistes» dans la région-la vérité est que sous les gouvernements du  PT  (Lula et Dilma) une batterie de programmes d’assistance ont commencé, lesquels – sans rompre structurellement avec  la politique néolibérale des années 90 et appuyés dans un cycle économique mondial extraordinairement favorable pour les pays exportateurs de matières premières (cycle que montre des signes claires d’épuisement) – ont permis à un grand secteur des plus pauvres du Brésil, sortir précairement  des conditions marginales de l’existence. C’est ce qui explique pourquoi ces secteurs – et le noyau de travailleurs qui sont organiquement dirigés  par le PT par le biais de la CUT (Centrale Unique des Travailleurs) – sont la base électoral de Dilma, car, au-delà de toute critique, ils estiment que tout changement pourrait signifier une réduction de ces plans d’assurance sociale.

La grande question dans ce contexte, c’est ce qui va arriver avec les  22 millions des votes (21,3 %), qui a obtenu  Marina Silva. À l’issue de cette édition circulait la possibilité de l’annonce de l’appui de Marina à Aécio pour le second tour. Ce soutien pourrait confirmer, si cela était nécessaire, ce  qui dans ces pages on a annoncé, que la candidature de Marina Silva a été représentative finalement des secteurs les plus oligarchiques et rétrogrades de la politique brésilienne. Mais il n’échappe à personne que ce n’est pas si simple ni automatique que leurs électeurs la suivront aveuglément après Aécio Neves. Parmi ceux qui l’ont soutenue dans ce premier tour il y a eu certains secteurs de la jeunesse et de la  classe moyenne qui n’étaient pas satisfaits avec le régime politique en vigueur (tant avec le PT comme le PSDB) et  qui ont fait partie des manifestations massives de juin de l’année dernière. Ces secteurs ont voté Marina en tant que critique de gauche au PT et il est très difficile que,  s’il faut choisir entre Dilma Rousseff et Aécio Neves, ils se penchent finalement sur ce dernier.

Il ne faut pas se précipiter ni tirer des conclusions à l’arrache. Et cela vaut aussi bien pour résultats de l’élection que pour la dynamique plus large dans la région. « Attendre et voir », a conseillé Lenine, car dans tous les cas une élection, même si ce n’est pas un fait sans importance, ne peut pas définir par elle-même l’équilibre des forces entre les classes. Equilibre de forces qui, dans la région, est le résultat d’affrontements physiques entre les classes, dans le cadre des révoltes populaires qui ont marqué la première décennie de ce siècle et qui nécessiteront des défaites matérielles des travailleurs et des secteurs populaires pour s’inverser.

L’Argentine se regarde dans le miroir du Brésil

Le résultat des élections dans le pays voisin aura un impact sur la scène politique locale. En premier lieu, comme nous l’avons  anticipé, parce que cela influencera le cadre politique régional en l’inclinant (ou pas) plus à droite. Comme nous l’avons déjà dit, un triomphe d’Aécio Neves signifierait la première défaite électorale des « gouvernements progressistes » qui ont été montés et qui ont capitalisé la vague de révoltes populaires qui a inauguré le XXIe siècle sur le continent. Cela ouvrirait un air de « changement » réactionnaire qui pourrait exalter  toute l’opposition patronale dans la région. En revanche,  il remettrait en question le Mercosur et tout le projet régionaliste. Puisque la bourgeoisie brésilienne essaie depuis longtemps de parvenir à un accord commercial entre le Mercosur et l’Union européenne,  accord qui est entravé par l’Argentine et le Venezuela. En plus ces deux pays, qui souffrent du même problème structurel de la pénurie de devises étrangères, reduisent ses échanges avec le Brésil pour éviter la perte des précieuses devises américaines dans un échange inégal avec le géant regional.

C’est du fait de cette situation qu’il est prévu qu’ un gouvernement du PSDB  réorienterait sa politique commerciale en ciblant l’Union européenne et penchée vers l’Alliance Pacifique (formé par le Mexique, Chili, Pérou et Colombie) en reléguant au second plan le Marché Commun Sud-américain.

C’est dans ce scénario que tous les secteurs de la politique de l’Argentine n’arrêtent pas de faire des analyses et des spéculations. Il est bien connu que les relations commerciales entre l’Argentine et le Brésil sont dans un moment difficile du fait de de la rétraction de l’économie brésilienne et de la récession en Argentine. Mais il est évident qu’un triomphe de Dilma entraînerait un soutien à Cristina Kirchner, ce qui lui donnerait une plus grande marge de manœuvre politique pour faire face à la crise, alors qu’ une défaite de son collègue brésilienne  approfondirait le sentiment de fin de cycle tant sur l’Argentine,qu’au niveau régional.

Dans tous les cas, les comparaisons ont une limite. Puisque ni l’Argentine est le Brésil, ni le Kirchnerisme est le PT.

La première chose à souligner  est que, en Argentine, contrairement au Brésil, on a connu un soulèvement populaire réel en 2001 qui a mis en crise le régime politique, brisé le statu quo hérité des 90 et a structuré des nouveaux rapports de force entre les classes. Un résultat de cela c’est qu’à la fin du cycle politique du gouvernement K ce qui est sur la table (médiée par la lutte des classes et la résistance des travailleurs) n’est pas un retour total au neo-libéralisme pur et dur, mais une combinaison de « continuité avec changement » à la Daniel Scioli[1],ou probablement  un « changement avec  continuité » à la Sergio Massa[2], où pour le moment semblent être reléguées des options à la Mauricio Macri[3]. Mais au Brésil, la situation est plus complexe. Bien qu’il y a eu une explosion populaire de colère en juin de 2013, qui a exprimé le mécontentement  des grandes secteurs  avec la politique du PT et les niveaux élevés de corruption qui le caractérisent, maintenant, on ne sait pas quelles ont été les conséquences profondes de cette mobilisation. Le résultat de ces élections a montré qu’il n’y a pas une radicalisation politique à gauche. Il est vrai que les partis de gauche brésiliennes n’ont contribué en rien.

Ceux-ci, plutôt que d’essayer de construire un pôle politique, qui se présent  comme un canal d’expression pour tout cette jeunesse  mécontente,  ont  hiérarchisé leurs intérêts d’appareil dans une bataille stérile. Ainsi, dans ces dernières élections, les options de gauche ont eu des résultats de discret à très mauvais. Le PSOL, qui a presenté la candidature de Luciana Genro, a obtenu plus de 1 600 000 voix (1,55 %) une élection plus que digne, alors que le PSTU,  avec la candidature éternelle de Zé María, a obtenu 0,09 %, seulement 90 000 voix à l’échelle nationale, un très mauvais résultat, et il a été également exclu de tous les débats télévisés et n’a eu aucune politique d’unité.

Mais en revanche, le PT a une force et un poids organique dans la vie politique au Brésil qui fait l’envie du kirchnerisme. Dilma est la candidate de Lula, et celui-ci est le dirigéant incontesté du PT, lequel, au-delà des résultats du second tour, restera le principal parti politique national du Brésil. De là que, mis à part toutes les spéculations, il reste le favori pour gagner le 26 octobre. Mais le kirchnerisme  est loin d’être là. Même si c’est une force nationale qui représente un secteur considérable, il est seulement un courant au sein du péronisme et n’est pas claire qu’il soit hégémonique. C’est pourquoi personne ne remet en question, sauf les porte-paroles officiels et informels du kirchnerisme, que le cycle du gouvernement kirchneriste est épuisé.

En tout cas, dans les prochains jours, la question sera dévoilée. Donc, il faut redoubler d’efforts pour déborder par la gauche les gouvernements « progressistes » et fermer le passage aux alternatives réactionnaires. Bien qu’à ce niveau certainement l’expérience en Argentine est plus avancé qu’au Brésil, cela reste une tâche commune dans les deux pays. Les travailleurs et les secteurs populaires de l’Argentine doivent porter une attention particulière à la façon dont les événements dans notre pays voisin se dérouleront. Sans perdre de vue qu’il est nécessaire de se préparer pour faire face à la dévaluation et à l’ajustement , que plus tôt ou plus tard, le gouvernement, avec le soutien de toute l’opposition et les patrons, voudront faire tomber sur le dos des travailleurs.

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[1] Governeur de la province de Buenos Aires qui soutient actuellement le gouvernement, même s’il essaie de construire un « jeu propre »

[2] Ex-membre du gouvernement et aujourd’hui une des figures principales de l’opposition, que l’on pourrait classer au centre-droite.

[3] Maire de la Capital Federal, classé à droite.

Editoriale de Socialisme ou Barbarie Nº 308, 09/10/2014

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