Mar - 7 - 2015

Vendredi 20 février, le nouveau gouvernement grec et l’Eurogroupe sont arrivés à un accord  in extremis pour prolonger le programme « d’assistance » signé par le précédent gouvernement pendant plus de quatre mois. Après quelques semaines de négociations tendues-qui ont eu beaucoup de théâtre-, les autorités européennes ont réussi à dompter pour  l’essentiel les autorités grecques, dont les déclarations pompeuses contre la Troika et  les plans d’austérité se sont avérés n’être que de la poudre aux yeux.

Les détails spécifiques de l’accord doivent encore être définis. En effet, l’accord atteint  vendredi n’établit qu’une série de règles à partir desquels il était possible d’étendre le programme d’aide. La liste définitive, présentée par la Grèce et approuvée par l’Eurogroupe mardi, précise les « zones » sur lesquelles s’appuiera la politique budgétaire grecque, mais ce n’est pas encore suffisamment précis. Malgré cette ambiguïté commode pour les deux parties (permet de conclure un accord et éviter une catastrophe, et en même temps constitue un accord « acceptable » pour l’Union européenne et la Grèce), on peut tirer quelques conclusions de fond.

La première est que la Grèce s’est engagée à ne pas changer d’un iota le statu quo. Le fond de l’accord, en fait, est que la Grèce accepte de rembourser religieusement  la dette, de reconnaître comme superviseurs  l’Union Européenne, le FMI et la BCE et s’abstenir de toute mesure unilatérale progressive  et de remettre en cause les plans d’ajustement appliqués jusqu’à présent. D’emblée, cela signifie donc que Syriza abandonne complètement toute perspective de  changer le « talon d’Achille » de l’économie grecque, qui la lie et la soumet aux établissements de crédit internationale : la dette extérieure, qui a atteint le chiffre de 175 % du PIB.

Deuxièmement, le gouvernement grec accepte comme seul interlocuteur valable  l’UE, le FMI et la BCE, la célèbre « Troïka » qu’a fustigé Syriza. Cela signifie non seulement que ce seront ces institutions celles qui décideront dans l’avenir si les Grecs ont bien fait ce qu’il fallait et s’ils sont « dignes » de recevoir les tranches suivantes du plan de sauvetage, mais aussi que toute réforme progressive du gouvernement doit être validée par la Troïka, institution des bourgeoisies impérialistes et anti-ouvrière jusqu’aux os.

Le dernier point est peut-être le plus important. Le gouvernement grec renonce à revenir sur lesmesures prises au cours du précédent plan de sauvetage (par exemple, à la renationalisation des entreprises privatisées). Dans ce sens, dans les faits, il accepte l’état de dévastation économique et sociale dans lequel se trouve le pays. A cela il faut ajouter l’abandon de toute mesure unilatérale progressive qu’on a déjà décrit, et qui empêche de donner une issue au service des besoins des travailleurs et du peuple

Le contour – même ambiguë . de l’accord n’est pas bon signe. L’axe est la lutte contre l’évasion fiscale (trafic d’essence et de cigarettes, par exemple) et contre la « corruption » dans l’État (réduction du nombre de ministères et des ressources accordés aux parlementaires).

Ce dernier aspect semble compatible avec le programme de Syriza, qui avait promis d’en finir avec la « clientèle d’État » du PASOK et de la Nouvelle Démocratie. Mais cela peut aussi se retourner contre les secteurs populaires: le « contrôle des dépenses » des structures de l’Etat s’appliquerait aussi à la santé, par exemple, dans un pays où les d’hôpitaux publics  sont forcés de rediriger les patients vers les centres d’entraide autogérées à cause de la manque de produits médicaux.

En outre, Syriza non seulement renonce à la renationalisation des entreprises privatisées par l’ancien gouvernement. Le présent accord établit, en outre, qu’elle évaluera les privatisations futures pour qu’elles soient  « le plus rentable possible sur le plan économique ». Bon nombre des promesses centrales de Syriza sont déjà devenus sans valeur. La hausse du salaire minimum apparait toujours, mais sans un délai d’application ou un montant établi. Sa hausse devrait se faire  « sans nuire à la compétitivité de l’économie » et « en accord avec les partenaires européens ». Les mesures pour faire face à la crise humanitaire et sociale (accès au logement, électricité, énergie) sont contenues dans l’accord, mais seulement seront prises si elles «n’entravent pas les objectifs budgétaires ».

Cette capitulation à la vitesse de la lumière doit être expliqué de manière matérialiste. Le problème sous-jacent est que le gouvernement de Syriza, de bases strictement parlementaire et avec une perspective purement possibiliste, a eu une approche purement économique et non politique de la question. Sa stratégie d’ensemble se limitait à des négociations au sommet pour trouver la marge étroite  que le maintien du statu quo actuel permet.

Mais il est clair que, d’un point de vue purement économique (et dans le cadre du respect total de l’ordre capitaliste), la possibilité de promouvoir une solution progressive de la crise tend vers zéro. L’économie grecque est dévasté et pour faire face à des échéances de la dette et même pour le fonctionnement de l’État, elle est obligé d’avoir recours au financement extérieur. Il faut ajouter à cela la pression économique énorme de ces dernières semaines : une fuite brutale des capitaux, qui accroît la tendance à l’absence de liquidité des banques, et qui aurait atteint 1 milliard d’euros juste le jeudi et le vendredi.

Face à cela, la seule solution aurait été au minimum un contrôle sur les capitaux (une mesure vraiment anti-capitaliste aurait été la nationalisation des banques) et la suspension du paiement de la dette. Ces deux mesures, qui ne sont pas en elles-mêmes anti-capitalistes, sont les seules qui auraient permis d’établir un rapport de forces favorable et de récupérer une marge de manœuvre pour mettre en place certaines mesures progressives dans le pays.

Mais cette solution, éminemment politique et non purement économique, n’était pas du tout dans les plans de Syriza. L’alpha et l’oméga de sa stratégie a été la négociation au sommet avec l’Union européenne. Il est clair que, en ne pas sortant des marges actuelles,  une loi d’airain s’impose à Syriza : la solution purement économique, réformiste, possibiliste ne peut amener qu’à la capitulation face à l’Union européenne et le Fonds Monétaire International, qui contrôle toutes les ficelles de la situation actuelle.

Cet accord semble avoir été accepté  par une partie de l’électorat de Syriza. Le secteur le plus Europhile, anciens électeurs PASOK,  semblent avoir une vision favorable de l’accord, avec un ensemble d’arguments possibilistes : nous avons gagné du temps, tout le monde savait que Syriza ne respecterait pas ses promesses, on a dû faire des sacrifices pour garder l’euro, etc.. C’est, sans aucun doute, un des « âmes » électorales de Syriza, plus enclins à accepter la capitulation et dont les caractéristiques réformiste ou possibilistes (en plus de la déception face à un système politique où « tout le monde ment ») font que l’accord soit considéré comme le « moindre mal ».

Mais pas tout a été rose pour la formation de Tsipras. Un secteur de sa base électorale et de sa base militante a voté Syriza dans l’espoir d’en finir avec les plans d’austérité et d’appliquer des mesures qui répondent aux besoins les plus urgents des secteurs populaires . Ce phénomène a commencé à s’exprimer par en haut, à partir de la critique plus ou moins ouverte non seulement du secteur de « gauche » de Syriza (où plusieurs organisations trotskistes participent), mais aussi de dirigeants de poids et provenant de traditions politiques plus proches au noyau de la direction.

L’expression plus significative de cela a été la lettre ouverte publiée par Manolis Glezos, véritable autorité morale de la gauche grecque, résistant au nazisme très reconnu qui a descendu le drapeau nazi de l’Acropole en 1941. Il a ouvertement critiqué le compromis conclu par le gouvernement grec, dans la lettre dont  ont reproduit les principaux passages ici :

« Changer le nom de la troïka en « institutions », celui du mémorandum en « accord » et celui des créanciers en « partenaires », ne change en rien la situation antérieure. [Le peuple] a voté pour ce que SYRIZA avait promis : abolir le régime d’austérité qui n’est pas seulement une stratégie de l’oligarchie allemande mais aussi de celle des autres pays créanciers de l’Union européenne et de l’oligarchie grecque. Un mois est passé et cette promesse n’est toujours pas transformée en acte. Pour ma part, je demande au Peuple Grec de me pardonner d’avoir contribué à cette illusion. Mais, avant que le mal ne progresse. Avant qu’il ne soit trop tard, réagissons. Avant toute chose, par le biais d’assemblées extraordinaires, dans toutes les organisations, quel qu’en soit le niveau, les membres et les amis de SYRIZA doivent décider s’ils acceptent cette situation. D’aucuns prétendent que, pour obtenir un accord, il faut savoir céder. En tout premier lieu, entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis, tout comme cela est impossible entre l’occupé et l’occupant. La seule solution c’est la liberté. »

C’est sans doute le reflet de l’insatisfaction des secteurs du militantisme de Syriza et plus en générale de secteurs de la société grecque, qui voient dans l’accord une capitulation, qui signifie dans les faits  d’abandonner toute perspective de rompre avec l’austérité. Ce dont il s’agira dans les prochaines semaines, ce sera de voir dans quelle mesure ce mécontentement continue à se développer et si celui-ci s’exprime non seulement dans le domaine des opinions et des déclarations, mais aussi dans la mobilisation effective des masses.

Dès le début nous avons dit que le caractère purement parlementaire du Syriza, son refus de se s’appuier dans la mobilisation des masses, était l’un de ses principales limites lorsqu’il s’agit de donner une issue progressive à la crise. Bien que les déclarations de dirigeants de Syriza soient le reflet de l’insatisfaction et puissent aider à discréditer la politique de capitulation de Tsipras , elles ne sont pas en soi suffisantes pour inverser le cours actuel de Syriza et des accords avec l’UE.

Ce dont il s’agit c’est d’approfondir la mobilisation par en bas, d’imposer les mesures anticapitalistes nécessaires pour résoudre les problèmes de la crise a partir des intérêts des travailleurs et du peuple.

La première tâche consiste à répudier la capitulation de Syriza, patiemment expliquer les limites de sa politique et proposer un programme alternatif a la crise grecque. Uniquement par le biais de la lutte la plus large des exploités et des opprimés, la situation actuelle peut être inversée.

A cela il faut ajouter, comme une tâche de premier ordre, la solidarité internationale avec le peuple grec. En pliant le gouvernement grec (et la volonté de mettre un terme à l’austérité que celui-ci exprime de maniere indirecte), la bourgeoisie impérialiste veut mettre un terme à toute tentative des peuples européens de s’opposer à la politique d’ajustement.

Pour cette raison, le ministre allemand des Finances s’est réjouit publiquement devant les « difficultés de Syriza d’expliquer cet accord à son électorat ». Pour empêcher que la défaite de la Grèce soit la défaite de tous les peuples européens, il faut renforcer la solidarité internationale et défendre la perspective d’une Federation de républiques socialistes contre l’actuelle Union Européenne oppressive et au service de la bourgeoisie impérialiste.

Pour lutter pour cette perspective, il est nécessaire d’avancer dans la construction d’une organisation révolutionnaire indépendante de Syriza, qui ille jusqu’au bout dans la confrontation avec l’Union européenne et les plans d’austérité et qui mette a l’ordre du jour les mesures anticapitalistes nécessaires pour une issue structurelle de la crise. Seulement en defendant une alternative socialiste à la crise parmi les larges secteurs de la classe ouvrière et la jeunesse, on pourra accompagner l’expérience et avancer vers une rupture de fond avec la domination capitaliste.

Déclaration du Courant Socialisme ou Barbarie, 25/02/2015

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