Abr - 15 - 2015

Cette semaine a été annoncée avec enthousiasme la culmination heureuse des réunions entre l’Iran et les grandes puissances (les Étas-Unis, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Chine et la Russie). L’objectif de ces rencontres était de négocier une solution pour la situation ouverte face au développement de l’énergie atomique de la part de l’Iran (de l’énergie que, en plus d’être utilisé pour des fins civiles, pourrait conduire éventuellement à l’obtention d’armes nucléaires).

Le résultat des négociations a été un principe d’accord, qui est encore dans phase de « brouillon » et doit traverser quelques étapes pour arriver à son implémentation : d’abord la formulation finale de l’accord (chose qui implique des quantités importantes de  « petits détails » qui font à l’application concrète des choses, c’est-à-dire à ce qui finira par arriver réellement sur le terrain), et ensuite l’approbation définitive de la part des différents acteurs impliqués. Cette approbation n’est pas tout à fait garanti, ce que que nous reprendrons plus bas.

Le contenu des accords implique la limitation du programme nucléaire iranien, sous une stricte supervision internationale, de tellle manière que pendant que ce soit mis en application, l’Iran n’ait pas de capacité technique de produire des armes atomiques. Et que, au cas où l’accord cesserait de s’implémenter, l’Iran requerrait au moins un an entier pour produire les éléments nécessaires. C’est-à-dire : on éloigne dans le temps la perspective d’une puissance nucléaire iranienne (aujourd’hui, sans l’accord, on soupçonne que l’Iran a les matériels nécessaires pour produire des armes nucléaires dans un délai de trois mois s’il le désirait). En échange de cela, les États-Unis lèveraient toutes les sanctions imposées à l’économie iranienne, qui génèrent un impact tout à fait significatif.

Selon le journal américain New York Times, cela implique des concessions des deux parties : les États-Unis devront admettre que l’Iran conserve son infrastructure nucléaire (en montrant au monde qu’il ne démantèle pas ses installations ni revient en arrière avec son programme), et l’Iran doit accepter non seulement une limitation de sa capacité productive atomique, mais un régime très intrusif de « supervision » externe qui impliquerait un tas d’agents étrangers se mêlant dans les sujets locaux.

En échange de cela, les deux parties gagnent la possibilité de rétablir des relations diplomatiques, politiques et économiques : de faire des affaires et de commencer à discuter un nouvel ordre pour le Moyen-Orient.

Qu’est-ce qu’il y a derrière les accords?

Ce qu’on a dit jusqu’à présent est simplement une description des accords obtenus. Mais le plus important c’est ce qui se cache derrière ceux-ci.

La première chose à souligner c’est que les Étas-Unis et l’Iran n’ont pas des liens diplomatiques formels depuis la révolution iranienne de 1979. Cette révolution a balayé le régime monarchique pro-impérialiste du Sha, et a fini par mener au pouvoir le clergé musulman chiite, avec l’Ayatollah Jomeini à sa tête. [1] C’est-à-dire, s’est imposé une théocratie appuyée dans le courant religieux majoritaire iranien : c’était la naissance de la « République Islamique de l’Iran ».

Depuis lors, la position officielle de l’Iran par rapport aux Étas-Unis, l’Israël et les États arabes vassaux de l’impérialisme (comme l’Arabie Saoudite) est celle d’une espèce de « antiimpérialisme » et « antisionisme » de contenu politique – religieux, qui combine des éléments légitimes défensifs de la souveraineté nationale, de « tiers-mondisme » et de défense du peuple palestinien, avec des éléments d’idéologie islamiste et par conséquent réactionnaire – qui exacerbe les divisions sectatrices – religieuses et va même jusqu’à nier le  « Holocauste », se situant très proche de l’antisémitisme-.

En même temps, ce  « antiimpérialisme » et  « antisionisme » est très relatif, puisque dans de nombreuses situations l’Iran a pacté (au-dessous de la table) des questions différentes avec les États-Unis et inclus Israël. [2]

Mais le slogan des Forces Armées iraniennes est toujours « mort aux Étas-Unis » : l’affrontement avec l’impérialisme, bien qu’il soit symbolique, est un élément central du discours du régime et  joue un rôle de premier ordre dans sa légitimation interne, régionale et même internationale (comme nous voyons dans le cas du soutien du Venezuela chaviste au régime iranien).

Par conséquent, l’existence du régime des Ayatollahs en Iran a été une question profondément  « déstabilisante » pour l’ordre régional dominé par le trio de l’Arabie Saoudite (et ses satellites), les Étas-Unis et l’Israël.

Ce n’était pas seulement un point d’appui pour le développement des courants islamistes dans tout Moyen-Orient. C’était aussi un énorme point d’appui pour le développement d’organisations anti-sionistes comme Hezbollah au Liban (sous l’influence directe, politique – idéologique de l’Iran) et Hamas en Palestine (sous une influence indirecte, à travers le financement et l’armement iranien).

Les deux organisations ont été et sont toujours des maux de tête profonds pour l’État d’Israël, qui ne réussit pas à les éradiquer par la voie militaire malgré des milliers de tentatives sanguinaires. A cela s’ajoute tout un spectre d’États, de groupes politiques, militaires et religieux qui tournent sous l’orbite iranienne : la Syrie, l’Irak, les houthíes du Yémen, etc..

Cela transforme l’Iran en un acteur crucial à l’intérieur du  « jeu de pouvoirs » du Moyen-Orient, en se battant pour son hégémonie contre les autres puissances régionales.

Les Étas-Unis ont besoin de  « stabiliser » le Moyen-Orient

Le Moyen-Orient a été un énorme mal de tête pour l’impérialisme nord-américain dans les dernières décennies. Au conflit déjà  « classique » entre Israël et les palestiniens se sont ajoutés  une série de conflits régionaux, locaux, etc.. qui sont présentent une grande diversité d’acteurs. L’attentat aux tours jumelles de 2001 et l’essor postérieur du  « djihadisme », l’invasion de l’Irak en 2003, et plus récemment le Printemps Arabe, ont signifié la destruction de toutes les piliers sur lesquelles la stabilité régionale était basée.

Dans le moment actuel ont lieu diverses guerres civiles (ou quelque chose comme ça, puisque des combattants de nationalités distinctes participent et(ou) appuyés par différentes nationalités participent dans celle-ci) en Syrie et en l’Irak, au l’Yémen et en Libye (celle-ci au nord de l’Afrique arabe). L’État Islamique et Al Qaeda sont des menaces présentes dans une grande quantité de pays dans la région, dans certains d’entre eux en dominant des territoires importants. Beaucoup de pays sont traversés, à la fois, par des forts affrontements –sectaires-religieux et même tribaux.

Tout cela reflète aussi d’une certaine manière le déclin prolongé que les étas-Unis souffrent en tant que  « police du monde ». Du climax de l’influence qu’il est arrivé à conquérir dans les 90 après la fin de la  « guerre froide », il a reculé par une multiplicité de facteurs (des rébellions populaires dans l’Amérique latine, une perte de légitimité au niveau international, la décadence et la crise économique, l’ascension de nouvelles puissances comme la Chine, etc..). Les invasions militaires en l’Afghanistan et en l’Irak dans la décennie de 2000 qui étaient censées être le prélude d’un  « nouveau siècle américain » ont donné lieu à des échecs très graves : ils ont été incapables d’établir des nouveaux régimes avec une certaine stabilité (parlons même pas de légitimité).

Les Étas-Unis ont dû se retirer de ces pays dans le contexte d’une vague mondiale de répudiation, de la haine de millions et millions d’Arabes et de musulmans, et de la colère de millions de Nord-Américains qui voyaient mourir ses enfants dans des guerres sans sens.

Par conséquent, nous pourrions résumer la situation du Moyen-Orient de la manière suivante : il n’y a personne capable de mettre de l’ordre par lui-même. La situation de guerre et de crise permanente est une menace majuscule aux intérêts des Étas-Unis dans la région : non seulement parce qu’il menace la production et la circulation du pétrole, mais parce que c’est une pépinière à grande échelle de  « fanatiques » prêts à s’immoler contre l’Occident, et ses intérêts et citoyens dans le monde.

Mais en même temps, les Étas-Unis ne peuvent plus ni veulent s’impliquer d’une manière directe au Moyen-Orient. Il a des préoccupations géopolitiques beaucoup plus grandes : l’avancement de la Chine impose aux Étas-Unis la nécessité d’un « basculement stratégique » de ses ressources militaires, politiques et économiques vers l’Asie Pacifique, pour contenir le  « nouveau géant » qui commence à menacer son hégémonie à une échelle globale.

Dans ce cadre, les accords nucléaires des Etats-Unis avec l’Iran peuvent se comprendre avec plus de facilité. Si les Etats-Unis en finissent avec le  « problème nucléaire » ils pourront reprendre des liens avec l’Iran après 35 ans d’affrontement. Cela permet, à son tour, d’inclure l’Iran dans un schéma de pouvoir régional, qui garantit que chacun collabore à sa manière avec le maintien de l’ordre (et par conséquent, avec l’accomplissement des intérêts impérialistes dans la région). C’est-à-dire, les Etats-Unis avanceraient de cette façon dans une  « sous-traitance » du pouvoir de policier dans la région, qui lui permet de sortir de là et se préoccuper des problèmes plus grands.

Obama cherche, par conséquent, à  « engloutir » l’Iran comme garant des intérêts régionaux américains, avec ou sans le régime des Ayatollahs. Dans le meilleur des cas, l’accord nucléaire favoriserait les tendances  « modérées » à l’intérieur de l’Iran et contribuerait à une  « ouverture démocratique » ou quelque chose de similaire. Dans le pire des cas, au moins l’Iran pourrait crier « mort aux Etas-Unis » … sans le prendre littéralement.

Dans ce sens, un parallélisme peut être tracé avec les accords d’Obama avec les Catro à Cuba : l’ouverture diplomatique est mise au service de garantir les intérêts impérialistes par d’autres moyens, plus hétérodoxes et  « modernes ».

Les obstacles à l’accord

Cependant, cette stratégie impulsée par Obama n’est pas partagée par tout l’impérialisme. L’un des traits de la décadence des Étas-Unis ce sont les divisions de son establishment.

La droite républicaine (avec le Tea Party et ses propes fanatiques chrétiens  et non pas islamiques à la tête), renonce catégoriquement à n’importe quel accord avec  « l’axe du Mal » : son recours préféré sont toujours les bombardements. C’est ce qui pense aussi l’État d’Israël, avec Netanyahu à sa tête: ses intérêts et sécurité en tant que colons se sentiraient plus tranquilles s’ils pouvaient simplement effacer de la face de la terre le régime iranien.

Un autre allié de la position des  « faucons » est l’Arabie Saoudite, qui craint qu’un accord avec l’Iran finisse par le légitimer comme le nouveau  « hégémonique » régional. Cela signifierait le déclin de la supériorité de la pétromonarchie islamique et de ses princes et sheiks.

Bien que des larges secteurs de l’impérialisme nord-américain et du  « establishment » international semblent soutenir l’accord, la division est suffisamment large et profonde comme pour que d’aucune façon son approbation soit assurée. Même si les accords définitifs seront formulés dans la prochaine ronde de négociations, et si le  « leader suprême » iranien les validait, le plus grand obstacle resterait encore : l’approbation par le Congrès états-unien, dominé par les républicains. Un Congrès qui s’est occupé à mettre un obstacle pratiquement à tout, en arrivant jusqu’à fermer l’administration publique américaine du fait de la manque d’accords sur le budget

Par conséquent, le  « tournant historique » qu’Obama cherche au Moyen-Orient n’est pas tout à fait garanti. Si les accords nucléaires échouaient, très possiblement ce serait le prélude d’une nouvelle guerre impérialiste contre les peuples de la région, avec un prix humain incalculable.

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Notes:

1.-Il faut souligner que la révolution de 1979 n’a pas éclaté orientée par des idées religieuses, mais qu’elle a été une révolution authentiquement populaire qui a même eu un rôle principal de secteurs ouvriers, laïques et des forts courants de gauche. Mais le secteur clérical a réussi à s’imposer sur les autres, imposer sa dictature et entreprendre une contre-révolution sanguinaire qui a liquidée toutes les organisations progressives

2.-Par exemple, dans la guerre sanglante de 1980-88 avec l’Irak de Saddam Hussein, l’Iran a reçu de l’armement d’Israël.

Par Ale Kur, Socialisme ou Barbarie, 09/04/2015

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