Nov - 27 - 2015

« (…) l’inévitable, dit avec la logique politique brute, est que le pouvoir a changé de mains en Argentine (…) C’est un moment où l’écosystème politique enregistre une mutation importante ce qui a ensuite un effet domino sur le reste des institutions et sur la société elle-même (…) Le pouvoir reste toujours entre les mains de celui qui gagne (…) Ici et maintenant Macri a gagné (…) Il aura la possibilité d’appliquer ces (ses) politiques, sans plus de contraintes que celles qui surgissent des rapports de forces parlementaires »(La Nación, Joaquin Morales Sola, 24 novembre 2015[1]).

Après une longue année électorale il y a en Argentine un nouveau président élu: Mauricio Macri. Ce résultat est, en soi, toute une définition: 12 ans d’hégémonie kirchneriste ont terminés, ce n’est pas peu de choses. Nous nous concentrerons ensuite à essayer d’évaluer l’ampleur de ce résultat.

Un virage conservateur

La première chose à souligner est que le triomphe de Cambiemos réfère à des questions de  court et long terme. En ce qui concerne les aspects de fond, nous pourrions répéter ici ce que nous avions souligné lors du résultat du premier tour: le triomphe possible de Macri qui se profilait déjà, est le produit conservateur de la somme de toutes les tendances à la stabilisation du pays.

Le kirchnerisme s’est occupé, avec succès, de réabsorber la ferveur populaire du 2001, ce qui, en conjonction avec un climat économique international favorable depuis longtemps pour les producteurs de matières premières, a réussi à ré-institutionnaliser en grande partie la vie politique du pays, en évitant le développement de grandes luttes massives ces dernières années.

De là qu’un premier fait à souligner le fait que cette transition politique a été inhabituellement calme par rapport à d’autres survenues dans le pays, quelque chose que nous avions déjà signalé dans nos analyses. Nous ne voulons pas présager un «lit de roses » pour le gouvernement qui vient. Au contraire : étant donné le « cabinet du terreur » qui est en train de mettre en pied Macri, conservateur, néolibérale, et réactionnaire, il faut s’attendre, plus tôt ou plus tard, à des importants chocs de classe, question à laquelle nous ferons référence plus tard.

Pour l’instant, ce que nous voulons, c’est de souligner le fait que la somme des tendances stabilisatrices ont rendu possible la reconstruction de la légitimité des institutions du régime politique, ont reconstruit les mécanismes de la représentation électorale et, en conséquence, ont donné lieu à un rechange présidentiel, une fin de cycle et le début d’un autre qualitativement plus conservateur: rechange réussie qui exprime une recomposition des institutions de la démocratie patronale.

Mais en même temps qu’on peut voir une tendance à la stabilisation de longue portée,  il y a eu aussi une tendance à court terme qui a contribué à ce que ce résultat ait eu lieu: l’habilité montré par le kirchnerisme à l’heure de faire en sorte que cette année s’écoule sans grands problèmes, reportant pour plus tard la crise économique qui se profile.

Toute l’incapacité montrée par le kirchnerisme sur le plan de la campagne électorale (la sortie de Randazzo[2], la candidature d’Aníbal Fernández, etc.), et qui a collaboré à  perdre une élection qui semblait « gagnée », a contrasté avec sa capacité à gérer la situation, malgré le nombre considérable de problèmes accumulés.

Soyons justes: en réalité, il s’agissait d’une initiative conjointe de l’ensemble de la classe dirigeante, des principaux partis bourgeois, de la bureaucratie syndicale dans toutes ses expressions, pour que l’élection se déroulât  normalement.

Tout le monde s’est adapté à un calendrier électoral long (y compris le FIT, qui n’a fait une seule critique publique de la loi électorale!) qui a eu l’astuce de mettre en place un « seuil de légitimité » à toutes les autorités et aux élus des instances représentatives du pays[3]. On verra, dans un pays avec la culture politique et de lutte de classe qu’a l’Argentine, quel poids spécifique réel aura cela, mais de toute façon il ne faut pas le sous-estimer.

Cette longue année électorale  a consacré un nouveau gouvernement conservateur, néolibéral et même réactionnaire caractérisé par des technocrates et d’anciens responsables de grands holdings, après une longue hégémonie progressiste.

En ce qui concerne le virage à droite électoral qui a entériné ces résultats, nous n’avons pas eu raison dans nos prévisions précédentes: nous attendons que domine un vote  « conservateur-progressiste ». Mais malgré cela, nous avons eu raison au plan méthodologique de souligner que l’extrême stabilité qui marquait l’année électorale influencerait inévitablement les résultats.

Plus important encore: nous avons réalisé une analyse juste dans l’évaluation du processus politique dans le pays dans son ensemble. Tant dans ses aspects de classe (notre position ni/ni lors de la crise avec les latifundistes agraires en 2008[4]), comme dans l’évaluation politique des événements, ne nous laissant pas impressionner et tomber dans des analyses catastrophistes ou auto-proclamatrices.

Il est vrai que le résultat de l’élection a renvoyé une image de polarisation: Macri gagne par seulement 700 000 votes sur Scioli. Mais il ne faut pas se tromper: celui qui a gagné est Macri, et déjà, il bénéficie de « l’effet domino » du vainqueur; le nouveau gouvernement est celui qui donnera le ton à l’évolution de la situation immédiate.

À moyen terme, cette division électorale par moitiés, bien que pas mécaniquement, sûrement aura des conséquences en ce qui concerne le processus de la lutte de classes, même par le fait que ce premier cabinet qui est en train de former Macri semble trop réactionnaire par rapport au processus politique duquel vient le pays, et si le macrisme ne fait pas preuve de flexibilité politique, cela va provoquer des énormes chocs de classe à l’avenir.

L’épilogue du long cycle de l’Argentinazo

Mais il faut aller vers une plus grande profondeur dans l’analyse des événements que nous vivons.

Ce qui nous intéresse ici est de poser un regard plus global des questions, même si nous soulignons que, comme nous sommes en train de vivre le développement des événements et que, en plus, il s’agit d’événements électoraux, un miroir déformé de la réalité, la dynamique plus générale ne pourra pas être apprécié qu’avec le développement concret de la lutte des classes , question sur laquelle nous reviendrons plus tard.

Malgré cet avertissement, les résultats des élections donnent déjà lieu à la « cristallisation » de nouvelles relations politiques. Et un gouvernement est précisément, l’une des formes de cristallisation par excellence des relations politiques.

Quel est l’élément le plus profond qu’exprime le triomphe de Macri ? Il signale la fin du cycle long de l’Argentinazo. Rébellion populaire que même si elle a été réabsorbée par les Kirchner, étant donné que le gouvernement kirchneriste (dont Scioli était l’expression dans ces élections) était le « fils bourgeois de l’Argentinazo », la fin de ce gouvernement est l’expression gouvernementale du fait que le cycle politique de 2001 est terminée.

Il est vrai que ces rapports de forces avaient varié de manières diverses. Les masses populaires ont été retirées de la scène rapidement. Cependant, est resté pendant longtemps un large « avant-garde de masses », qui elle aussi, il est juste de le signaler,  a été retirée de la scène en tant que phénomène indépendant. Les funérailles de Néstor Kirchner ont montré à quel point une partie importante de ce mouvement populaire avait été coopté depuis l’État par les Kirchner.

Mais cela ne signifiait pas que les rapports  de forces plus généraux -réels ou potentiels- avaient changé de la même manière. L’hypothèse de la continuité du kirchnerisme reposait sur l’idée qu’il fallait faire attention à pas « réveiller le peuple ». Qu’un gouvernement de médiation, bien que placé sous une figure conservatrice comme Scioli, était encore nécessaire. Est-ce que cela reste encore vrai? Est-ce que le triomphe de Macri a nié cette affirmation?

Seule la lutte de classes donnera le verdict. En soi, une élection, même une élection présidentielle, ne peut pas résoudre en soi cette question.

En tout cas, le fait qu’ait été imposé un gouvernement dont la mission est de tester la voie d’un gouvernement bourgeois normal (et même réactionnaire!), montre que le gouvernement kirchneriste quitte la scène, précisément, parce que les circonstances qui l’ont rendu nécessaire, ne sont plus là.

Ceci nous renvoie aux problèmes du régime politique. Si quelque chose a caractérise la crise de 2001 a été le mot d’ordre « Qu’ils s’en aillent, qu’il n’en reste pas un seul ». Une politique qui se faisait dans les rues, en dehors des institutions, dans le rejet des entreprises de services privatisés, en cassant des banques qui imposaient le control des capitaux aux petits épargnants et travailleurs, dans les blocages de routes, avec les mouvements de chômeurs qui se mobilisaient avec des barres en métal et les visages couverts, dans les occupations d’usines…

L’Argentine est un pays avec d’énormes traditions de lutte et le paradoxe de la prise de fonctions du nouveau gouvernement, c’est que le mouvement de masse n’a pas reçu une défaite d’ensemble. À cette situation s’ajoute le fait que les rangs des travailleurs se sont renforcés structurellement: voir la récupération massive de l’emploi et l’émergence d’une nouvelle génération ouvrière dans la dernière décennie.

Cependant, le fait politique décisif de 2015 a été (malgré la contre-tendance du #Ni una menos (« Pas une en moins », mobilisation contre les violences sexistes et des grèves générales), c’est qu’a été effectué un rechange complet des autorités.

Macri assume dans une circonstance qui se caractérise par l’absence d’une crise générale (bien que l’accumulation de problèmes est énorme et pourrait donner lieu à une crise!), dans le contexte de rapports des forces qui ont été  « endormis » et d’une société qui a glissé, imperceptiblement, vers un état d’esprit plus conservateur.

La contradiction implicite dans tout ce processus est que les rapports de force n’ont pas été vraiment prouvés; la réabsorption de la ferveur de 2001 s’est faite en grande partie sans affrontements majeurs, et à n’importe quel tour de la route, un manque de « syntonie » dans les mesures prises pourrait rouvrir une grave crise.

La tentative d’un gouvernement bourgeois normal

Quelle est l’expression gouvernementale de ce que nous disons? Le fait que Macri incarne la tentative d’un gouvernement bourgeois « normal »: mettre fin aux gouvernements de « médiation » entre les classes.

N’oublions pas que le gouvernement Kirchner nous l’avons toujours défini comme un gouvernement 100 % capitaliste, qui par les circonstances était obligé de faire un arbitrage  « au-dessus des classes » en accordant des concessions ici et là.

Pour faire ces concessions il a dû mener des affrontements partiels avec l’impérialisme en certains moments (avec une autonomie plus grande que les « relations charnelles » des années 90) et avec un ou des autres secteurs du patronat. D’où le « non au ALCA » en 2005, le non-paiement de la dette extérieure, la confrontation avec le multimédia Clarín, Aranguren de Shell, la nationalisation de YPF et les AFJP (Caisses de Retraites). Et surtout, le conflit autour des impôts sur les exportations agricoles en 2008.

Quand Macri et le chœur des opposants politiques bourgeois accusent le kirchnerisme « d’avoir divisé le pays » ils se réfèrent à ces questions. Il arrive que, effectivement, sauf si l’on est un gouvernement adapté absolument aux pouvoirs existants, une sorte de polarisation apparaîtra inévitablement.

Il est vrai aussi que, comme le montre l’expérience de ce genre de gouvernements populistes, cette polarisation (tactiquement réelle, mais stratégiquement fausse!), est utile pour masquer la vraie polarisation de la société, qui est celle de classe contre classe, subordonnant ainsi les travailleurs, les exploités et les opprimés, derrière un secteur bourgeois.

Dans ce type de gouvernements bourgeois anormaux cette polarisation est un effet inévitable du type de mesures qu’ils sont obligés de prendre, touchant, si l’on veut, aux intérêts tactiques de certains secteurs bourgeois, toujours dans l’intérêt stratégique de la classe dirigeante dans son ensemble, dans ses intérêts généraux en tant que classe exploiteuse.

Ainsi: s’il s’agit d’essayer un gouvernement bourgeois normal, ces éléments caractéristiques d’un gouvernement de médiation ne seront pas présents; en tout cas ceux qui seront présents ce seront les éléments classiques de polarisation: ceux de classe contre classe.

D’où le discours sur la nécessité de « unir les argentins », de « travailler en équipe », ce qui n’est  qu’une imposture d’un gouvernement bourgeois qui revient à la normalité, ou essayera de le faire.

Une imposture parce que, en réalité, le gouvernement de Macri inévitablement fera une redistribution régressive des revenus (un transfert de la plus-value plus régressive que celui de nos jours!) qui renvoie, en fin de compte, à la polarisation réelle: celle, nous répétons, de l’exploitation d’une classe sur l’autre.

Au-delà des belles paroles, le gouvernement de Macri devra choisir. Et il choisira pour l’option que choisit habituellement un gouvernement bourgeois normal: non pas pour exercer une médiation en donnant des concessions, mais le contraire: voir comment faire chaque jour pour exprimer encore plus les exploités et opprimés!

Que ceci se fasse progressivement ou par choc, cela repose sur le rapport des forces. En tout cas, Macri ne va pas se soustraire de ce qui est la logique de tout gouvernement bourgeois normal du monde et qui a à voir -dans notre cas– avec la perspective d’inverser la dynamique de la dernière décennie: retirer de la scène les concessions que la rébellion populaire a obligé à faire sur le terrain économique-social et aussi en termes de  « tolérance » envers les luttes.

Un discours libéral

Une question d’importance pour préciser la nature du gouvernement qui vient est d’analyser le discours que Macri a répété pendant la campagne et qui se réfère à des traits politiques et idéologiques spécifiques de son futur gouvernement, très différente de celui des kirchneriste.

En phase avec le monde de la mondialisation néolibérale, Macri a testé dans sa campagne un discours « libéral ». C’est un facteur important, car elle fait aussi à la « normalité » qu’il essaye d’établir.

Il y a deux aspects que nous voulons souligner. Le premier est la prédication de « l’effort individuel ». Dans le discours de Macri il ne semble pas y avoir des groupes sociaux: il y a dans son discours quelque chose de ce que Thatcher disait: « pour moi, la société n’existe pas : tout ce qui existe ce sont des individus »…

Pour le kirchnerisme, au contraire, il y avait bien des « groupes sociaux », seulement que, de toute évidence, comme des groupes sociaux non indépendants: comme la « colonne vertébrale mais pas la tête du mouvement ».

Une autre caractéristique de la « normalité », c’est que le macrisme ne mobilise pas les masses. Cela ne signifie pas qu’il n’ait pas été « projeté », indirectement, par des grands mouvements sociaux. Si les Kirchner ont été « les fils bourgeois de l’argentinazo », Macri est le fils de la coalition conservatrice qui a émergé lors la crise de 2008 autour du patronat agraire.

D’où l’importance, plus symbolique que réelle, de figures telles que De Angelis, Carrio et les radicaux dans sa version pro-agraire. Une coalition conservatrice qui s’est recréé autour de la mort de Nisman et si à ce moment-là elle a été réabsorbée, elle a eu maintenant son expression électorale.

De même, en dehors des discours de Cristina, nous ne croyons pas que viendra immédiatement le type de confrontation entre des fractions bourgeoises qui a été vécu en 2008.

Malgré la mise en scène du kirchnerisme, la polarisation qui va marquer l’évolution de la situation sera certainement la polarisation classique: des attaques de la part du nouveau gouvernement bourgeois « technocratique » contre les exploités et les opprimés, conséquences l’ajustement et d’autres éléments réactionnaires de l’agenda de Macri.

Il y a un deuxième problème: la promesse de « pauvreté zéro». Attention puisque c’est le piège typique du « conservatisme populaire »: sa prétendue « sensibilité » pour les pauvres…

La manœuvre est évidente: il ne fait pas référence aux travailleurs, à la classe ouvrière, à l’exploitation du travail. Notez que Macri a été très laconique à l’heure de parler des revendications des travailleurs. Il a souligné qu’il « remonterait le seuil » à partir duquel les travailleurs paient l’impôt sur les revenus, mais n’a jamais donné de détails sur la question.

Le discours sur les « pauvres » est à moitié un discours contre le « clientélisme » de l’appareil contraire (celui des Kirchner, ce qui n’exclut pas que Macri utilise des formes identiques!). Et surtout, une manœuvre pour  apparaître comme un « gouvernement sensible »: la formule d’un gouvernement conservateur qui cherche à se légitimer.

À cet égard, il est possible que Macri s’inspire du gouvernement du PT et son plan « Bolsa familia » (une allocation pour les familles les plus pauvres), ce qui a fait du PT une puissance dans le nord-est du Brésil, tandis qu’il perd de plus en plus le vote ouvrier dans l’ABC, cordon industriel de San Pablo.

Mener des politiques d’assistance sociale envers les pauvres peut-être concomitante avec la perspective serrer le tourniquet de l’exploitation des travailleurs!, un discours au service de la légitimation de ce dernier.

Il est important de comprendre que le discours de « pauvreté zéro» est inhérent à redoubler l’exploitation des travailleurs, à la naturaliser: il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités, « à ce sujet on ne peut rien faire ».

Il est possible de montrer de la « charité » comme l’église catholique prêche. Inhérente à cela est l’idée des pauvres comme « démunis » incapables de toute action indépendante.

L’impact régional

Cependant, le triomphe de Macri n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. La détérioration du progressisme régional n’est pas nouvelle, mais elle a de longues années. A priori, le gouvernement Kirchner ne semblait le plus détérioré. Et c’est vrai que personne ne pouvait prévoir, au début de l’année, qu’il serait électoralement vaincu.

Prévisions à part, le fait se réfère à la situation dans laquelle les gouvernements du Venezuela, Equateur, Brésil et Bolivie se trouvent actuellement.

Nous avons écrit longuement sur leurs nuances ; il est également vrai que leur dynamique n’est pas homogène ; de toute façon, ce qui les unifie, c’est que tous ont été des gouvernements bourgeois anormaux.

Ainsi, sauf la Bolivie, pays où la rébellion populaire a été la plus profonde (la destruction de l’ancien système de partis a été totale, et l’opposition bourgeoise n’a pas réussi jusqu’à présent à se recomposer), et le cas de l’Équateur que nous n’avons pas été assez suivi, le Venezuela vit l’effondrement du chavisme (si celui-ci a résisté jusqu’à présent c’est grâce au profond rejet que le caractère extrêmement pro-impérialiste de l’opposition génère chez les masses populaires). Et au Brésil, même avec Dilma qui a réussi sa réélection, la crise de son gouvernement est extrêmement profonde. En outre, Dilma fait ce qu’aurait fait Scioli : appliquer un dur ajustement économique anti-ouvrier et antipopulaire.

Dans tous les cas, la victoire de Macri exprime un virage à droite régional, ce qui fait partie à son tour d’une situation  mondiale qui semble défavorable, marquée par des attentats à Paris, le bombardement impérialiste en Syrie et la dégradation profondément réactionnaire du printemps arabe.

Attention, nous parlons d’une conjoncture, nous ne disons pas que le cycle des international de révoltes populaires soit fini. Cohabitent dans le monde entier des tendances réactionnaires et progressistes, et c’est en ce moment les premières qui dominent la situation.

Les problèmes de la conscience ouvrière

Un élément spécifique d’importance stratégique est celui de la conscience ouvrière. À cet égard, le panorama semble trop contradictoire, pour dire le moins.

Nous avons toujours souligné que le processus de naissance d’une nouvelle génération d’activistes concerne plutôt une avant-garde large que l’ensemble de la classe. Dans le même temps, il est clair que le processus, même au sein de l’avant-garde, il est plus antibureaucratique que clairement lutte de classes, plus syndical que politique, au-delà du fait non sans importance que plus d’un million d’électeurs votent pour la gauche révolutionnaire, dont certains font partie de l’avant-garde ouvrière.

En tout cas, il faut souligner également que même le phénomène des scores de la gauche n’a pas grande chose à voir avec celui des années 80 lorsqu’il s’agissait surtout des voix des franges les plus exploitées et opprimées.

Aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait ainsi : le phénomène électoral part du classique secteur qui vote pour la gauche révolutionnaire, se projette de là vers les classes moyennes et seulement à partir de là vers des secteurs de l’avant-garde ouvrière.

Cependant, ce qui nous intéresse ici n’est pas le vote de l’avant-garde, mais quelque chose de plus important (et inquiétant!): le vote de l’ensemble de la classe ouvrière.

La « manque d’indépendance » exprimée à cet égard a été extraordinaire : la classe ouvrière ou une partie très importante de celle-ci, a simplement suivi électoralement les classes moyennes. Le vote ouvrier a été comme un « kaléidoscope » des options électorales : il voté de façon plus hétérogène que les autres classes.

Au deuxième tour, une partie de l’électorat ouvrier est revenu vers Scioli: celui-ci a réussi à arriver en tête dans la province de Buenos Aires.

Mais la difficulté de la classe ouvrière en argentine pour faire quelques pas vers l’indépendance de classe, la contradiction historique entre sa combativité syndicale et son retard politique, s’est exprimé à nouveau en cette année électorale, mis à part le fait qu’il est également vraie que les identités politiques sont aujourd’hui beaucoup plus « souples » que dans le passée: elles ont pratiquement disparu, ce qui pourrait rendre les choses plus faciles demain.

Même sans parler d’une conscience de classe stricte, lorsque la classe ouvrière était péroniste cela aurait été pratiquement impossible qu’un travailleur vote pour un gros bourge comme Macri. Aujourd’hui non : beaucoup de travailleurs ont affirmé fièrement avoir voté pour celui-ci…

Ce n’est pas que la classe ouvrière n’ait aucune conscience de ses intérêts immédiats. Un travailleur à la porte d’une grande usine de pneus grand nous a parlé de sa  « joie » d’avoir voté pour Macri. Mais quand on lui a demandé ce qu’il ferait si le nouveau gouvernement lance un ajustement économique, il nous a dit convaincu : « Ah non, s’il lance un ajustement économique on va tout péter »…

Le problème de fond est que la classe ouvrière n’a pas réussi à faire des pas dans la compression de ses intérêts historiques. C’est le problème classique dans la tête des travailleurs argentins : ils ne sont pas capables d’avancer d’un millimètre dans la compression de leurs intérêts stratégiques!

Il faut souligner ceci face à toutes bêtises sur la « rupture électorale avec le péronisme» sur la perspective immédiate que les travailleur « dépassent cette barrière et aillent vers l’extrême gauche » (Parti Ouvrier dixit), ou que dans ces élections la gauche allait « faire histoire » (selon le PTS) : toutes ces unilatéralités ne sont qu’un reflet de l’électoralisme !

Comme l’expérience l’a montré un millier de fois, il ne peut pas y avoir de rupture de la conscience dans le terrain purement électorale. Il peut y avoir des avancées, même très importantes par rapport à ce qui est le « espace » habituel de la gauche révolutionnaire. Mais pour qu’ait lieu un bond historique dans la conscience, qui crée les conditions pour qu’émerge une base des masses pour nos organisations, doivent se produire d’abord des événements révolutionnaires.

D’où le double ou le triple crime du FIT : ne pas avoir profité des campagnes électorales pour essayer d’avancer, même un pas, dans l’éducation socialiste de la conscience des travailleurs.

Le vote hétérogène des travailleurs, la confusion qui existe dans la conscience de larges secteurs, peut être un facteur qui affaiblisse la réaction ouvrière face aux attaques qui viendront.

Nous espérons, toutefois, que finalement la compréhension des « dures nécessités » s’imposera : la conscience des intérêts touchés par l’ajustement économique qui vient, ce qu’à un moment donné va déclencher, sûrement, des chocs violents de classe.

Le rôle sinistre de la bureaucratie

C’est dans ce contexte qu’il faut placer le rôle sinistre de la bureaucratie syndicale. Son comportement tout au long de l’année était prévisible. Sa logique est plus ou moins comme suit : ils respectent une certaine « division du travail » avec les partis bourgeois: « ce n’est pas aux travailleurs de se projeter au pouvoir ». Leur rôle, celui des syndicats, est purement syndicaliste. C’est-à-dire: « nous ne contestons pas l’ordre des choses », « nous ne contestons pas l’exploitation des travailleurs »: « nous voulons simplement une partie plus importante du gâteau dans le cadre du système actuel  » (et parfois même pas cela, les traîtres!).

Ainsi les choses, il est naturel que les fractions bureaucraties aient déserté le champ de bataille. Ils ont impulsé deux grèves générales passives au premier semestre de l’année, puis ils se sont retirés de la scène.

La prédication est le même dans l’ensemble : laisser le champ libre pour les partis bourgeois, pour les élections, pour que dans celles-ci soit décidé qui gouverne le pays. Une fois que le nouveau gouvernement ait été élu sans le concours de la classe ouvrière, ou avec la participation passive de « un homme, une voix », ils reviennent sur scène pour voir comment ils se trouvent une place dans le nouveau casting politique.

La logique est la logique classique du péronisme : la classe ouvrière peut être la colonne vertébrale, mais jamais la tête. Et sous le nouveau gouvernement, même pas ça, parce que c’est un gouvernement bourgeois presque directement composé de patrons, dont la base sociale principale sera composée par l’impérialisme, la crème de la crème de la bourgeoisie et les classes moyennes.

Dans ce scénario, il semble difficile, dans l’immédiat, une réunification de la CGT. Très rapidement, Moyano [principal bureaucrate syndical du pays, qui a passé de soutenir le gouvernement à s’y opposer il y a deux ans] a couru pour se mettre la casquette du nouveau parti au pouvoir. Un Moyano qui est plus à droite que dans le passé : il justifie le nouvel ajustement avec le discours de « harmoniser les variables économiques »…

Sûrement aussi Calo [du syndicat de la métallurgie], Pignanelli [du syndicat de l’automobile] et beaucoup d’autres sont déjà en train de voir ce qu’ils font, de regarder les marges de la légitimité du nouveau gouvernement, les mesures prises, la possibilité d’établir un « pacte social » qui dissimule l’attaque sur les salaires et sur la productivité réelle, sans perdre de vue le problème de quel sera le niveau de chômage dans la prochaine période.

Pour le moment et en vue de garantir la « gouvernabilité », il n’y aura pas des nouvelles journées d’action. Le rôle de la bureaucratie dans le système des institutions argentines (et la bureaucratie est non seulement une institution du régime, mais de l’État!), c’est précisément d’être le garant de la gouvernabilité.

L’excuse sera évidente: « Le nouveau gouvernement vient de prendre ses fonctions », « il faut lui donner quelque », « il a été élu par la moitié plus un du peuple argentin », « si t’as voté pour lui, pourquoi tu te plains », etcétéra…

La bureaucratie trouvera beaucoup d’excuses, ce qui fera les premières luttes contre le gouvernement de Macri seront très probablement d’avant-garde et très dures.

L’ajustement économique qui vient

Allons maintenant vers l’un des terrains centraux : l’économie. Terrain qui marquera les limites de la mascarade dépolitisé qui vise à réduire les problèmes politiques et sociaux à des problèmes de « gestion ». Comme si l’administration des contradictions était quelque chose de purement « technique », n’obligeant à aucune « choix social »: une question uniquement de « efficacité ».

En ce qui concerne la situation économique que laissent le Kirchner, les choses semblent complexes. Le gouvernement de Cristina laisse les caisses vides : il n’y aura plus de réserves dans la Banque Centrale depuis que le gouvernement a remboursé jusqu’au dernier sou de ses obligations internationales.

Le pays n’est « en faillite »: il est décapitalisé, ce qui n’est pas exactement la même chose. Le fait est que le niveau de la dette extérieure est très faible, ce qui ouvre des larges possibilités de contracter de nouvelles dettes.

Nous le répétons : les Kirchner ont « désendetté » le pays, mais ils l’ont aussi décapitalisé. « L’achat de souveraineté » a été l’un des aspects les plus mensongers de leur discours, parce qu’un pays qui n’a pas de réserves pour les échanges avec le monde ne peut pas être « souverain »: ils ont décapitalisé l’Argentine en payant  l’énorme somme de 200.000 millions de dollars, hypothéquant ainsi toute possibilité d’indépendance économique.

Le pays n’a pas de réserves. C’est le premier problème que devra affronter le nouveau gouvernement, le déclencheur de toutes les mesures qu’il mènera dans le domaine économique.

Le marge de manœuvres qu’il aura est qu’en étant « un bon élève » il pourrait recommencer rapidement un nouveau cycle d’endettement.

En tout cas, la feuille de route de ce nouvel endettement n’est pas si simple. C’est pourquoi maintenant Macri a modéré son discours sur la sortie du contrôle imposé sur l’achat de dollars, qu’il promettait faire « en 24 heures ». Il testera probablement une sortie progressive des restrictions à l’achat de devises pour donner du temps à la Banque Centrale pour récupérer de la « puissance de feu »: c’est-à-dire, trouver dollars pour être en mesure de réguler le taux de change.

Dans la feuille de route la première chose à faire serait d’accorder avec la Chine la transformation du swap octroyé par le gouvernement oriental dans des dollars en métallique, quelque chose qu’on ne sait pas si les chinois accepteront.

Ensuite il s’agirait d’obtenir des crédits à l’étranger. À cette fin, il faudrait résoudre d’abord le différend avec les « fonds vautours », qui connaissant leur pouvoir de chantage ne seront pas « souples » avec le nouveau gouvernement (même à un gouvernement néo-libéral comme celui de Macri : les affaires sont les affaires!).

Une autre possibilité serait que les exportateurs de produits agricoles déclarent les devises pour 8000 millions de dollars. Mais pour que cela arrive, un nouveau taux de change devrait être établi à un niveau plus élevé que le dollar officiel actuel, ce qui n’est pas si simple, parce ce signifierait consacrer une dévaluation, ce que Macri craint de faire pour le moment.

La « quadrature du cercle », c’est que tout le monde exige et se bat pour ses propres intérêts. Mais le nouveau gouvernement, même s’il le souhaite, sera incapable de satisfaire tout le monde en même temps : il devra choisir.

Il y a bien une première mesure économique que Macri a ratifié: il a dit que le 11 décembre, il éliminera les impôts sur les exportations, sauf sur celles de soja. C’est connu, cela inclut le blé et la viande (et le lait?). Mais il est moins connu que ces impôts sur l’exportation évitent l’augmentation des prix intérieurs.

Parce que les prix intérieurs sont les prix d’exportation moins l’impôt : c’est le prix que les exportateurs touchent, qu’ils vendent dans le marché intérieur ou extérieur (si il n’y avait pas ces impôts, ils exporteraient tout et laisserait le marché intérieur sans stock, ou avec des prix exorbitants!).

Précisément : éliminer ces impôts à l’exportation libère le marché. Son effet ? Celui que nous venons de souligner : augmenter dans le marché intérieur le prix du pain, du lait et de la viande dans un pourcentage égal à celui de l’impôt éliminé !

Donc, la première mesure annoncée par Macri a pour but de satisfaire une partie de sa base sociale : les gros producteurs agraires, ce qui signifiera un transfert de ressources des travailleurs vers eux de 30% !

Ceci montre de manière claire, si c’était nécessaire, le caractère de classe du nouveau gouvernement, en plus du fait que cette mesure sera, lorsqu’elle sera implémentée, le début de l’ajustement économique qui vient.

Une expression claire de ce que nous disons, c’est que pour le poste de Ministre de l’Agriculture Macri avait pensé au départ, à l’actuel président de la Société Rurale, confédération des grands propriétaires terriens.

Avec l’élimination des impôts sur les exportations agricoles on aura une première mesure de l’ajustement économique qui vient. Pour le moment, YPF et d’autres multinationales pétrolières ont augmenté le prix de l’essence de 5 %, démarrant ainsi l’escalade des prix.

Quelle est la logique de l’ajustement économique à venir ? Macri essayera de récupérer de la compétitivité économique en réduisant les dépenses (publiques et privées) et en augmentant les revenus (privés et publics).

Il cherchera à augmenter les profits des patrons, l’entrée des devises à l’Etat et aussi à réduire le déficit de l’État, condition en outre de la baisse de l’inflation tout en limitant l’émission monétaire (voir l’élimination des subventions à la consommation qui vient).

C’est un ajustement que nous pourrions qualifier de classique : typique d’un gouvernement bourgeois plutôt que normal, presque réactionnaire gouvernement : un conseil de ministres plein de dirigeants de multinationales et des grandes holdings habitués à regarder d’en haut les travailleurs !

Ajustement orthodoxe, car en même temps que se dévalue la monnaie et les Prix augmentent, elle vise la chute des salaires réels, à faire en sorte que la différence entre les revenus et les dépenses des patrons se maintienne, afin d’avoir de la compétitivité en termes d’exportation afin de faire rentrer des devises.

Dans quelle mesure un plan comme ceci pourra s’appliquer, cela dépend non pas d’une « équation économique » mais de la lutte des classes. C’est pourquoi nous disons que la mesure de toute chose sera le degré de résistance des travailleurs et d’autres secteurs populaires aux mesures que tentera de mettre en place le nouveau gouvernement.

Vu de l’autre côté du comptoir, il faudra également évaluer le degré de « mesure » qu’exprimera Macri dans la mise en œuvre de ces mesures afin d’empêcher un saut dans les conflits sociaux. Il faut voir aussi le financement externe qu’il réussisse à obtenir et qui lui permette de manier avec plus de marges la conjoncture économique.

L’interrogation autour de la gouvernabilité

Passons maintenant au problème de la gouvernabilité.

Quel scénario s’ouvre maintenant ? Un scénario de polarisation des clases traditionnel, ou un marquée par des disputes entre ceux d’en haut ?

En principe, nous pensons que le scénario, au moins au début de la gestion du nouveau gouvernement, sera un scénario assez classique. Cristina s’en va avec le capital politique d’une gestion réussie (en termes capitalistes) de douze ans, quelque chose sans précédent dans le pays. C’est un capital qui donnera lieu à des nouveaux développements : il est clair qu’il ne s’agit pas d’un cadavre politique.

Toutefois, il est également clair qu’il n’y a de nombreux prétendants au trône du Parti Justicialiste [le « parti péroniste »]. La survie du Front pour la Victoire [alliance électorale des Kirchner qui dans certains villes et provinces et intégré par l’appareil historique du PJ et dans d’autres non] loin du contrôle de l’appareil d’État n’est pas si évidente. Mais nous insistons : le kirchnerisme aura une survie quelconque en tant que courant de masses. Mais le pouvoir à l’intérieur du PJ, tout le monde dit qu’il va maintenant passer aux gouverneurs des différentes provinces.

De là qu’il reste à savoir quels secteurs représente le « cristinisme [par Cristina Kirchner] dur » quand il s’agira de s’opposer au gouvernement de Macri.

La plupart du PJ et de la bureaucratie syndicale, au moins au début, certainement vont s’aligner avec l’idée de « ne pas remettre en question la gouvernabilité », comme le montrent les déclarations de Scioli et de Moyano.

Après, il y a la question de la base du nouveau gouvernement. Il y a un premier élément à souligner : du point de vue institutionnel, la « troïka » constitué par l’exécutif national, le gouvernement dans la province de Buenos Aires et dans la Capitale Fédérale [tous les trois dans les mains du « macrisme »], compense le fait qu’il soit en minorité dans les deux chambres [avec une majorité « kircherniste » aujourd’hui].

Ce n’est pas que la question parlementaire soit sans importance. Mais cette « troïka »  du pouvoir institutionnel et territorial est très importante.

En même temps, il y a deux problèmes. Premièrement, que le PRO [le parti de Macri] n’a pas d’influence dans les syndicats. Et il y a une autre question que nous tenons à souligner : on ne va pas vers un gouvernement de coalition. Cambiemos [alliance électorale qui a emporté Macri au pouvoir] c’était une coalition pour gagner l’élection, mais elle n’aura pas une grande expression dans le casting du nouveau gouvernement.

Le « renoncement » honteux de Sanz [dirigeant du Parti Radical (membre de l’alliance Cambiemos) qui a refusé la proposition d’être Ministre de Justice] à la politique a des raisons profondes : le scandale que le radicalisme ait contribué à la victoire Macri et sans rien obtenir en retour.

Pour l’instant, au moins en ce qui concerne les ministres annoncés, la mise en scène semble superbe : un cabinet de ministres technocratique dont on ne sait pas quelle capacité politique il aura pour gérer les problèmes.

Dans tous les cas, le principal problème de la gouvernabilité n’est pas la constitution du nouveau cabinet de ministres: ce sont les rapports des forces qui seront testés entre le nouveau gouvernement et les masses.

Nous avons parlé des rapports des forces dans tout le texte. Nous voulons juste souligner ici la contradiction que semble représenter un cabinet de ministre à droite du « point » dans lequel sont les rapports de forces aujourd’hui (mais aussi plus à droite que ce que la majorité des gens attendait).

Lorsque nous avons parlé de « choc des attentes » dans d’autres textes nous avions en tête, plutôt, le vote « conservateur-progressiste » confronté à la gestion conservatrice d’un Scioli. Mais maintenant, étant donné la « confusion » dans la tête des travailleurs, rendant difficile de savoir quelles attentes ils ont dans leur tête, il y a quand même le problème que le nouveau cabinet de ministre ouvre trop de fronts de bataille en même temps.

Nous nous expliquons : dans une guerre, il est toujours préférable de se battre dans un seul front plutôt que dans plusieurs en même temps. Donc, si s’applique un ajustement économique, si le Ministre de l’Education attaque les enseignants, si le Ministre de la Santé est un réactionnaire sexiste dans le pays du #Ni una menos, si la politique étrangère est celle d’un alignement avec les putschistes au Venezuela, ceci signifie de se battre avec tout le monde en même temps.

Les rapports de forces permettront d’aller aussi loin ? L’institutionnalisation du pays sera-t-elle suffisante pour un virage à droite aussi fort ? Cela reste à voir. Il n’y a pas de légitimité suffisante pour partir avec une telle attaque contre toutes les positions acquises par les exploités et les opprimés. Dans ce cas des très durs affrontements viendront. Des affrontements encore plus grands dans la mesure où, en outre, il ne faut pas oublier qu’un des points centraux du gouvernement de Macri est de mettre en œuvre « une nouvelle politique de sécurité » consistant à réprimer les mobilisations.

Il ne faut pas prendre ce dernier point à la légère. Ceci pourrait s’appuyer dans une légitimité autour de l’idée de « ne plus emmerder les gens » (lors des blocages d’autoroutes ou d’avenues, fréquents en Argentine), surtout s’il s’agit de luttes isolées.

Voilà la perspective à laquelle on doit se préparer aujourd’hui : des durs combats d’avant-garde qui seront confrontés à la nouvelle politique de sécurité « antiblocages » que va essayer d’appliquer, sans aucun doute, le nouveau gouvernement.

Si des secteurs importants rentrent en lutte, ce sera une chose. Mais si cette mobilisation générale est entravée par la bureaucratie syndicale, les attentes dans le nouveau gouvernement ou autre chose, le combat ne sera pas facile.

C’est pourquoi nous devons nous préparer à des luttes dures (ou très dures!) au début du gouvernement de Macri.

La gouvernance en général dépendra de ce que fera ou non Macri lui-même : s’il va vers une attaque sur tous les fronts, la gouvernabilité ne sera pas facile : nous sommes en Argentine, un pays avec d’énormes traditions de lutte dont il faut tenir compte avant de lancer des attaques généralisés contre les exploités et les opprimés.

C’est pourquoi nous dévons être fins vis-à-vis des nouveaux développements. D’une part il faut rejeter la superficialité, l’objectivisme de croire qu’ici « rien n’est arrivé »: Il y a bien quelque chose qui est arrivé, et pas des moindres : il y a un nouveau gouvernement réactionnaire qui n’apportera rien de bon pour les exploités et les opprimés, et qui pourrait être plus fort que les gouvernements qui l’ont précédé.

Dans le même temps, nous ne devons pas être impressionnés : il ne faut jamais perdre de vue que les élections sont une expression déformée de la lutte de classes. Les élections consacrent des gouvernements ensuite il faut les prouver dans le terrain réel. Et la mesure réelle des rapports des forces pour eux et pour nous va être dans la lutte des classes de la prochaine période, dans les petits et grands affrontements qui auront lieu, où devra se forger la nouvelle génération ouvrière, étudiante et militante.

Unifier la lutte contre le nouveau gouvernement

C’est dans ce contexte qu’il faut placer le rôle de la gauche dans la prochaine période. L’année électorale est terminée. Terminée la situation « anormale » où les « luttes » avaient lieu dans les médias. Maintenant les combats auront lieu dans le terrain concret, réel, matériel, de la lutte des classes.

Nous avons déjà écrit ailleurs sur le bilan électoral de la gauche. Ce n’est pas un texte de bilan de l’année, mais un premier brouillon dont le but est de transmettre des éléments du contexte politique aux militants.

La gauche a une responsabilité. Elle a réussi à conquérir une représentativité sociale, syndicale et électorale qui sera désormais en jeu dans les luttes qui viennent.

Et comme partie intégrante de la gauche en général, le même est vrai pour notre parti, qui s’est fait une place plus importante au sein de la gauche l’année dernière, non seulement en matière électorale, mais aussi au sein des travailleurs, du mouvement étudiant, et dans le mouvement féministe.

Quelle est l’orientation politique générale que nous allons défendre contre le nouveau gouvernement ? Celle que nous avons posé dans le communiqué du dimanche 22 : la nécessité d’abandonner tout sectarisme, d’avancer dans l’unité d’action et dans des fronts unis pour unifier les luttes des travailleurs, populaires, des étudiants et du mouvement des femmes.

Ici notre proposition d’organiser une rencontré ouvrière est d’énorme importance. Il est évident que cette proposition n’exclut pas un terrain de lutte au sein de l’avant-garde. Déjà certains initiatives sont prises à cet égard et notre parti commence, aussi, à déployer ses orientations dans ce domaine, autant contre des propositions d’appareil, de rencontres superstructurales qui ne reflètent pas le processus par en bas, que contre des politiques d’auto-proclamation sans aucune base dans la réalité.

Dans ce domaine, comme toujours, le parti commence en se renforçant par en bas, en appuyant les luttes, en s’appuyant sur des représentations syndicales conquises. Mais il est également essentiel que nous apprenions à faire de la politique, que nous apprenions à pour éviter tout risque de « auto-exclusion ».

Dans tous les cas, nous ne pouvons faire ici que des considérations générales, pas en détail. Par exemple, se prépare déjà une mobilisation le 14 décembre (lors de la visite de fonctionnaires de l’OIT qui recommanderont des moyens pour mettre en place un « pacte social »), il semble qu’elle suscite une adhésion large parmi l’avant-garde ouvrière et ce serait la première mobilisation unitaire des travailleurs sous Macri.

Voici donc le premier « reflex » d’une politique révolutionnaire aujourd’hui : promouvoir la plus large unité d’action contre l’ajustement du nouveau gouvernement, face à la répression qui va sûrement lui être inhérente.

Dans ce contexte, il semble assez évident qu’il y a deux ou trois axes prépondérants de l’action politique. Le premier consiste à unifier la lutte contre l’ajustement de Macri : dans la défense du salaire, contre les licenciements, contre l’attaque sur les salaires des enseignants et des fonctionnaires, éviter que soient introduits des reculs dans la législation contre la discrimination syndicale, etcétéra.

Le deuxième, affronter tous les côtés réactionnaires du gouvernement : la répression et la tentative de faire sortir les luttes de la rue, le attaques qui peuvent venir dans le domaine de l’éducation, de l’enseignement et du mouvement étudiant, des attaques contre les droits des femmes.

Troisièmement, il est important d’être alerte et d’avoir une sensibilité face à la nouvelle politique extérieure du gouvernement, par exemple en nous mobilisant contre la tentative d’exclure le Venezuela du Mercosur.

Fait partie également de cette orientation la préparation pour le 24 mars de la mobilisation pour le 40e anniversaire du dernier coup d’Etat militaire, défendre la poursuite des procès contre les militaires responsables, d’être vigilants à l’égard des coups réactionnaires comme celui du journal La Nacion du lundi 23 [le lendemain de ces élections, ce journal de droite a demandé la libération de militaires emprisonnés par des crimes contre l’humanité].

Il s’agit d’un ensemble de lignes directrices que nous devrons préciser au fur et à mesure que prenne forme la nouvelle situation ; dans tous les cas, certaines des lignes directrices générales décrites ici sont une première étape sur ce chemin, où le centre ne sera plus une politique « ni / ni » comme dans ces dernières années, mais un affrontement concentrée contre le nouveau gouvernement de Macri.

Une forte organisation nationale d’avant-garde

Pour conclure, ce que nous posons au parti est au fond très simple. Nous ne serons pas face à des temps de stabilité. Le virage à droite et le triomphe de Macri devront être testés dans le domaine concret des luttes de tous les jours. Comme nous l’avons déjà souligné, c’est là où la portée et les limites du virage conservateur que le pays vit seront testées.

La question concrète est que l’on ne peut gouverner pour « tous les Argentins, pour ceux qui ont voté moi et pour ceux qui ne l’ont pas fait ». Le nouveau gouvernement de Macri devra choisir et il choisira sans doute de supprimer les conquêtes des masses.

Sûrement sera déclenchée une dure conflictivité sociale. C’est ce qui est déjà le cas, par exemple, dans le cas des travailleurs municipaux de la ville de Córdoba. Mestre (gouverneur de Cordoba) a commencé son nouveau avec un plan de privatisation sous le bras, ce qui est déjà en train de donner lieu à de luttes et à de la résistance.

C’est là où est devra se forger le parti, où il devra faire son expérience. Tous nos jeunes militants doivent assumer que nous construisons un parti révolutionnaire, un parti de lutte des classes. Luttes qui doivent être « notre élément »: ce qui signifie que nous devons orienter toute notre activité à y participer à fond.

Pas n’importe comment : il n’y a aucun parti qui puisse participer dans toutes les combats. Mais chaque fédération et le parti dans son ensemble, doivent faire l’expérience dans certaines des luttes les plus importantes dans la prochaine période et s’y construire.

Il s’agira de massifier les luttes autant que possible, de multiplier les points d’appui, de réaliser les plus les plus larges initiatives de fronts unis et unité d’action, ne laissant pas de côté, de façon sectaire, aucune des questions démocratiques qui se posent.

Et dans cette expérience, le groupe apprendra à se concevoir comme une organisation de lutte : comme un parti révolutionnaire pour lequel se pose, à partir de maintenant, une tournure de son activité par rapport à ce qui a été 2015. Même s’il ne faut pas perdre de vue, même pas pour un instant, que les obligations électorales continueront d’être présentes en 2016 sous la forme de défendre de manière intransigeante la légalité nationale de notre parti.

Cela ne signifie pas non plus de laisser de côté nos conquêtes de l’année dernière, par exemple en termes de figures politiques publiques et d’accès aux médias. Il s’agit tout simplement de faire en sorte que nos figures politiques ainsi que les camarades qui s’occupent des médias devront s’efforcer et se forger comme le reste du parti, dans le domaine des luttes quotidiennes.

Une nouvelle expérience s’ouvre pour notre parti, un cycle politique s’est fermé et un autre commence : un nouveau cycle où le parti devra se tester et apprendre en tant que parti révolutionnaire, en tant que parti qui avec une extension nationale accrue devra continuer à se transformer en une véritable organisation d’avant-garde, défi que la place conquise par le Nouveau MAS au sein de la gauche de notre pays, et nos réussites constructives, mettent de plus en plus à l’ordre du jour.

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[1] Attention, il s’agit d’un éditorialiste réactionnaire et qu’en général fait des moitié analyses moitié campagnes politiques autour des intérêts qu’il défend; de toute façon, de temps en temps, il fait des analyses assez fines, même si ces analyses servent toujours à aller contre les Kirchner, à en finir avec eux, comme dans ce cas. De toute façon, la citation est intéressant, au-delà du fait qu’il parle de « rapports de force parlementaires » alors que nous parlerons, plus loin, de rapports de force plutôt extraparlementaires.

[2] Ministre de transports et candidat de la « gauche » kircherniste, il ne s’est pas présenté aux primaires contre Scioli (plus clairement marqué à droite), sous ordres strictes de Cristina Kirchner.

[3] Nous parlons ici du seuil minimum de voix qu’il fallait obtenir dans les primaires pour pouvoir présenter des candidats aux élections générales.

[4] Lors de la crise qui a opposé le gouvernement Kirchner aux latifundistes agraires en 2008 autour des impôts sur les exportations de grains, le Nouveau MAS a défendu la position « Ni avec le gouvernement ni avec les patrons agraires ».

Par Roberto Sáenz

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