Ene - 30 - 2016

Les résultats des élections du dernière 20D ont laissé un scénario politique sans précédent dans la démocratie depuis la transition de 1978. Pour la première fois en près de quarante ans, la possibilité de former un gouvernement n’est pas garantie par les pactes et les alliances entre les partis traditionnels du bipartisme espagnol qui s’alternent au pouvoir. Pour la première fois en quarante ans, le roi doit convoquer une deuxième série d’auditions pour trouver un candidat pour être investi et former un gouvernement. Si les longues négociations n’aboutissent pas, on devra appeler de nouvelles élections.

La question est que face à la crise, la lutte et l’organisation en réaction aux politiques austericides menées par le PP et le PSOE ont remis en cause les piliers fondamentaux sur lesquels se fonde l’Espagne d’aujourd’hui et ont exposé les limites et la pourriture du régime du 78, un régime qui pue de partout, où la question catalane et la destruction de l’État providence sont les deux aspects qui montrent avec plus de clarté cette situation et où le régime est plus faible. Pour la première fois en 40 ans l’Espagne d’aujourd’hui discute quelle voie politique suivre.

Nous assistons à une situation où les luttes et les contradictions de classes qui existent par en bas s’expriment, de manière déformée, par en-haut. De cette situation ont rendu compte les résultats des élections où une grande majorité a exprimé son refus à Rajoy, au PP et à ses politiques austericides et cela se reflète également dans la crise des partis traditionnels, qui ont perdu des millions de voix et qui sont confrontés à de réelles et sérieuses des difficultés politiques de former un gouvernement, soit ensembles soit séparément.

Le PP et Ciudadanos n’ont pas obtenu une majorité suffisante pour gouverner comme il était prévu par les capitalistes et la droite, obligeant à chercher une réédition de la grande coalition PP-PSOE. Mais la « surprise » l’a donné Pablo Iglesias vendredi dernier, deux heures après avoir rencontré le roi dans le cadre des consultations pour demander à un candidat d’essayer former un gouvernement, lorsqu’il a proposé la formation d’un « gouvernement du changement » avec le PSOE et IU.

La proposition d’un Iglesias à l’offensive et légitimé par les voixx obtenues a eu ses conséquences. D’une part, il a provoqué la démission de Rajoy à l’investiture dans le premier tour, dans une claire acceptation de la défaite même s’il ne souhaite pas l’accepter. En revanche, il a mis la pression sur un PSOE en crise et même sur un Pedro Sánchez qui subit des pressions tant par la gauche que par la  droite, de l’intérieur et de l’extérieur.

Iglesias cherche à former un « gouvernement du changement »

Tout juste de sortir de la rencontre avec le roi, Iglesias a déclaré dans la conférence de presse que, agissant avec  « responsabilité d’État », avec  « loyauté institutionnelle » et respectant l’investiture du roi comme chef de l’Etat, il lui avait informé de sa volonté de  « former un gouvernement du changement avec le PSOE et IU qui obtienne l’appui suffisant pour une investiture, former un gouvernement pluriel, avec une composition proportionnelle aux résultats du 20D ».

Fort avec ses 5 millions de votes, Podemos essaye de faire pression « par la gauche » sur le PSOE, lui mettant face à la perspective d’un gouvernement  « progressiste » ou d’être responsable, directement ou indirectement, de la continuité du PP. Si jusqu’il y à quelques mois Pablo Iglesias jurait qu’il ne ferait pas un pacte avec le PSOE en minorité, son orientation actuelle repose sur l’idée qu’il y aurait un  « PSOE des anciens appareils et des anciennes élites » et un  « PSOE du changement »: la légitimité pour Podemos de gouverner avec un des piliers du bipartisme et responsable de coupes budgétaires comme le PSOE viendrait de cette « double âme » des socialistes.

En outre, l’énorme proximité dans les résultats entre le PSOE et Podemos (Iglesias a déclaré que  « la possibilité qu’a Sanchez d’être premier ministre, c’est un sourire du destin qu’il aura toujours à remercier ») permet de justifier le fait de former un gouvernement « paritaire » au lieu de soutenir « de l’extérieur » ou de faciliter un gouvernement PSOE indirectement. Enfin, loin de ses premiers  prétentions rupturistes, le leader de Podemos a précisé  « nous sommes là pour gouverner ».

Il est claire, Pablo Iglesias a mis la responsabilité du côté du PSOE et plus précisément de celui de Pedro Sánchez mettant plus en évidence la division à l’intérieur du PSOE par rapport à la décision à prendre, si aller à un nouveau pacte avec le PP ou aller vers « un gouvernement de gauche ». Toutefois, cette orientation de Podemos a des problèmes et des implications graves comme nous le verrons plus tard.

Le PSOE, pression par la droite et par la gauche

Le PSOE, pour sa part, n’a fermé aucune porte. Alors qu’ils se plaignent du « manque de respect » dans la manière dans laquelle Iglesias a fait la proposition, certains dirigeants du PSOE, parmi eux Pedro Sanchez lui-même, proposent un « gouvernement à la portugaise », c’est-à-dire une coalition de gauche. A partir de là  Sanchez a déclaré sa volonté de construire un « gouvernement du changement et progressiste », en plus de remarquer que « les électeurs du PSOE et de Podemos ne comprendraient pas que nous ne nous mettions pas d’accord » (ce que par ailleurs soulignent certaines enquêtes).

Toutefois, autres secteurs, principalement les « barons » régionaux comme la baronne Díaz et compagnie sont beaucoup plus hostiles à un pacte avec Podemos, évoquant centralement la question du référendum sur l’autodétermination de la Catalogne comme un point non négociable. Pour ces secteurs et pour Sánchez Pedro lui-même, un pacte avec Ciudadanos seraient des bonnes nouvelles, ce qui établirait également un contrepoids contre Podemos.

Pour l’instant, alors, on ne sait pas clairement quel chemin prendra le PSOE: la vérité est que le temps est compté et les pressions et les contradictions explosent à l’intérieur et à l’extérieur, par sa droite et par sa gauche.

Les pressions de l’extérieur d’un côté sont les résultats du 20D qui ont exprimé, électoralement, un virage à gauche et qui ont sévèrement puni les partis traditionnels en mettant sur la table la possibilité d’un gouvernement de « gauche » avec Podemos. La pression par la droite est historiquement imposée, car le PSOE est l’un des deux piliers du régime du 78 et le partenaire « naturel » par excellence du PP. Et cette pression par la droite se sent à l’intérieur du PSOE incarnée par un secteur des droite comme Gonzalez, Guerra, Zapatero, Rubalcaba, Susana Díaz et de nombreux barons liés aux intérêts du capital, qui occupent des postes dans les banques et les entreprises d’Etat stratégiques et qui sont susceptibles de se mettre d’accord avec le PP plutôt qu’avec Podemos.

Mais en revanche Pedro Sánchez semble avoir pris note des résultats du 20D et il est conscient qu’après le pire résultat de son histoire et de ce virage à gauche que les élections ont exprimé, un soutien pour un gouvernement de droite peut enterrer davantage le PSOE, et le fantôme du PASOK en Grèce n’est pas trop loin, ni géographique ni temporellement.

C’est le dilemme de Sanchez, il ne veut pas négocier avec le PP ni  faciliter un gouvernement de droite, mais il ne veut pas parier complètement dans un gouvernement de gauche avec Podemos.

« Gouvernement du changement » ou une rupture de fond avec le régime?

Sans aucun doute, un gouvernement PSOE + PODEMOS + IU serait soutenu par des millions de voix et par large secteur social représenté par cesvoix : les élections reflètent le ras-le-bol avec les politiques austericides du PP, et la « démission » de Rajoy reflète ce rapport des forces. Sans doute il y a et il y aura de grands espoirs dans les effets concrets que pourrait avoir un « gouvernement du changement »: « loi bâillon », LOMCE, réforme du code du travail, entre autres.

Mais les récentes expériences européennes ont montré que malgré des discours radicaux et des « programmes alternatifs », la soumission à l’UE du capital, aux institutions actuelles et la renonciation à toute perspective de rupture ne peuvent conduire qu’à une impasse. Elu sur la base de sa promesse de rompre avec la troïka et l’austérité, le gouvernement de Syriza en Grèce a fini par capituler à toutes les exigences des bailleurs de fonds internationaux et mené les pires attaques contre les travailleurs des dernières années.

Un « gouvernement du changement », reduit au niveau purement institutionnel, ne peut conduire qu’à la même impasse: dans le cadre du « marais » dans laquelle se trouve la crise internationale et la volonté de l’UE de poursuivre avec sa ligne d’austérité, un gouvernement pareil mènera tôt ou tard un ajustement plus ou moins violent. La perspective qu’un gouvernement avec un parti de la caste du régime comme le PSOE pourrait apporter des changements substantiels, perspective à laquelle parie désormais Podemos, est démentie non seulement par l’expérience internationale, mais par  des exemples de l’État espagnol: là où le PSOE gouverne, comme en Andalousie, il applique les mêmes politiques d’austérité et il est aussi corrompu que le gouvernement de Rajoy.

C’est pourquoi la perspective purement parlementaire, institutionnelle, ne peut pas être une solution de fond pour les problèmes des travailleurs et le peuple espagnol. De rencontre en rencontre avec le roi, de négociation parlementaire en négociation, Podemos a abandonné un élément clé: l’organisation et la mobilisation par en bas. Dans la situation actuelle, il ne s’agit pas d’avoir « loyauté institutionnelle », mais de faire sauter dans l’air les institutions pourries du régime du 78 avec la mobilisation sociale, d’abattre toutes les politiques antisociales, que ce soit le PP ou un  « gouvernement du changement » qui les mette en place.

Un « gouvernement de gauche » ou « du changement » qui serve vraiment pour transformer la société devrait émerger de façon complètement différente à celle que défend Iglesias, devrait émerger de la mobilisation directe et l’organisation des travailleurs, les secteurs populaires, les femmes, les jeunes et tous les exploités et opprimés et pas des institutions de la démocratie bourgeoise et de la monarchie. Si cela arrivait, ce gouvernement aurait le soutien des socialistes révolutionnaires contre le capital, en même temps que nous nous battrions loyalement pour surmonter les limites de son caractère réformiste. Cependant, Iglesias et Podemos defendent le contraire : faire partie de la « gouvernance » actuelle, gouverner selon ses termes et sur la base du régime corrompu de la Moncloa, et dans ces conditions il ne fait qu’imiter le cours de capitulation que nous avons déjà vu avec Tsipras en Grèce.

Carla Tog

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