Medio Oriente

Monde arabe

Une révolution qui continue, s'approfondit
et s'ouvre sur le monde

Par Jacques Chastaing
Mulhouse, le 8 juin 2012

Un an et demi après le surgissement des révolutions arabes amorcé en décembre 2010 en Tunisie, où en est-on ? On pourrait avoir l'impression, au peu d'informations qui nous parviennent de ces pays, que tout s'est arrêté aux massacres en Syrie et au succès électoral des islamistes en Tunisie et en Égypte, qu'il ne s'y passe plus rien.

Pourtant il n'en est rien. Bien au contraire. La révolution continue et aborde même la question de l'émancipation sociale. On ne peut que regretter le peu d'intérêt que la presse critique ou révolutionnaire accorde ici aux évolutions de ces pays, d'autant plus qu'elles introduisent à un déchiffrage du monde. Nous proposerons donc ici une lecture de ces révolutions arabes comme signes délimitatifs d'une période qui donne le sens de ce qui agite actuellement le monde, de l'Europe au Québec, jusqu'à donner une part de la signification des résultats électoraux de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou Syriza.

La deuxième phase de la révolution ou une longue patience du peuple[1] emplie de ruptures

Il serait trop long ici de décrire, pays par pays, combien l'aspiration à la liberté, le pain, la dignité et la justice sociale qui a traversé l'ensemble du monde arabe, continue aujourd'hui de plus belle. Nous nous limiterons à décrire sa maturation dans les révolutions égyptiennes et tunisiennes où cet ensemble de soulèvements trouve aujourd'hui son épicentre.

Les surgissements du début 2011 dans ces deux pays ont été suivi d'une séquence politiquement plus discrète faite de l'insistance patiente et têtue du peuple à obtenir de la part de ceux du dessus ce que leur premier surgissement leur avait signifié. Cet acte deux de la révolution ouvrait le temps d'une longue patience du peuple meublée d'attentes et d'illusions mais aussi de bien des insistances et des méfiances et d'une série de ruptures psychologiques et politiques ouvrant sur de nouvelles perspectives que nous voulons décrire ici.

En Égypte, le peuple a cru un temps que l'armée, par son coup d’État dans la révolution qui a renversé Moubarak en février 2011, avait épousé la cause populaire. En Tunisie aussi, dans une moindre mesure. Puis à partir de l'automne 2011, une rupture s'est opérée entre le peuple et l'armée. Le peuple a alors mis sa confiance dans la démocratie électorale et les partis islamistes qui lui paraissaient plus que les autres porter des valeurs morales d'honnêteté, semblant garantir ce que la révolution avait signifié. Cela s'est traduit par les succès électoraux, relatifs,[2] de ces derniers partis. Mais il n'a fallu que quelques mois à peine, pour une seconde rupture avec les illusions sur les institutions électorales et l'islam politique.

Cette évolution est due au fait que l'attente n'a pas été passive. Elle s'est traduite par de multiples manifestations, votes, pétitions, occupations, sit-in, grèves locales ou générales, affrontements, occupations d'entreprises, de commissariats, préfectures, tribunaux, des initiatives multiformes dans tous les domaines, mises à l'écart de certains anciens responsables dans des universités ou des entreprises, jugements de personnalités impliquées dans l'ancien régime, expropriations de certains de leurs biens, créations de collectifs divers en commençant par une nouvelle confédération syndicale de 2 millions de membres en Égypte, le renforcement de l'UGTT en Tunisie et la place centrale qu'elle prend de plus en plus dans le pays, jusqu'à des associations de cinéastes, vidéastes, artistes... modifiant le paysage psychologique, médiatique et intellectuel de ces pays. On n'a plus peur, on le dit, on le filme et le montre. On ne veut plus ressentir la honte de soi que générait la passivité face à la dictature, on veut vivre debout, les yeux ouverts, construire une autre vie.

Le peuple est patient, parce qu'il répugne à la violence, portant par là le message de l'idéal de vie et de société de son soulèvement. Cependant, à force d'être mené en bateau, berné, trompé, abusé et trahi, la longue patience du peuple a commencé à prendre fin pour laisser la place à son droit à une nouvelle insurrection. Ses composantes les plus avancées savent déjà qu'il leur faudra en passer par là et la grande masse des gens est en train d'en prendre le chemin.

Les jours où la longue patience du peuple commença à prendre fin

Il y avait déjà eu des ruptures en Égypte avec l'armée en octobre 2011 lors des massacres de Maspéro et en Tunisie avec le nouveau gouvernement lors du congrès de l'UGTT en décembre 2011. Mais les dates où s'amorcèrent ces dernières ruptures de cette seconde phase des révolutions arabes ont probablement eut lieu le 25 janvier 2012 en Égypte et le 7 mars en Tunisie.

Le 25 janvier, pour l'anniversaire du soulèvement, dans des manifestations de plus d'un million de personnes place Tahrir, plus importantes qu'aucune de toutes les protestations contre Moubarak pendant les 18 jours du soulèvement, les islamistes égyptiens ont été conspués, dénoncés comme des complices du régime militaire, les manifestants leur montrant leurs chaussures, coupant la sonorisation de leurs discours, puis cherchant à envahir le nouveau parlement dominé par les partis islamistes pour dire le peu de crédit qu'ils donnaient à ce parlement qui leur paraissait complice de l'armée[3] dés le premier jour de son entrée en fonction. Les manifestants n'étaient pas là pour une commémoration comme l'armée et les islamistes le souhaitaient. Ils voulaient continuer la révolution, puisque rien, socialement, n'avait encore véritablement changé. L'effervescence du 25 janvier s'est poursuivie jusqu'au 11 février. Les manifestations politiques et les affrontements violents entre les jeunes et l'armée qui ont émaillé quasiment chacune des 10 premières journées (et nuits) quasi insurrectionnelles en février[4] après les massacres du stade de Port Saïd, ont confirmé la perte de crédit des islamistes et du processus électoral parlementaire. Cette rupture affichée dans les révoltes explosives des supporters de foot Ultra et les campagnes Kazeboon (menteurs) où des militants passaient, sur les places et dans les quartiers, des vidéos montrant les mensonges de l'armée, s'est accompagnée de la mise en place de tout un espace public oppositionnel, une nouvelle fois sans les islamistes, répétant le scénario de 2011, mais cette fois plus consciemment. L'apogée de cette prise de conscience a été le 11 février lorsque les étudiants ont brisé le consensus psychologique national[5] en appelant toute la population, et tout particulièrement les ouvriers, à la grève générale pour faire tomber le régime militaire. Jusque là, les débouchés politiques acceptés étaient la démocratie ou l'islam, présentés à longueur de journée comme la ou les seules "solutions" possibles. C'était donc la première fois que l'avant-garde révolutionnaire démocratique et les étudiants cherchaient une autre solution et tentaient de se lier aux pauvres, aux ouvriers, aux classes populaires, ouvrant ainsi la porte aux idées socialistes de l'émancipation sociale. Nouvel horizon que le vote massif des villes et quartiers populaires pour le socialiste nassérien confirmera aux présidentielles des 23 et 24 mai.

Le caractère encore prématuré de cet appel du 11 février, puisqu'il n'a été que moyennement suivi, s'est prolongé d'une nouvelle emprise du jeu électoral présidentiel sur les esprits. Cependant, l'appel à défaut d'être suivi, était entendu et une nouvelle vague de grèves à la mi-mars et encore début avril[6], où beaucoup d'ouvriers criaient leur dégoût non seulement de l'armée mais aussi des islamistes, accompagnait la campagne électorale. Bien des révolutionnaires, hier démocrates convaincus qui voulaient un pouvoir civil élu, disaient alors que les élections ne sont là que pour détourner le peuple de la vraie démocratie directe des grèves, des manifestations, et de la rue et appelaient au boycott. Quelle évolution ! Or, sur fond d'ébullition sociale permanente et de montée des idées ouvrières et socialistes, entre le boycott et la démocratie directe, la distance n'est pas si grande.

Le 7 mars en Tunisie, alors que des bandes salafistes tentaient d'imposer par la violence le niqab (voile islamique intégral) en cours et pendant les examens à l'université de la Manouba à Tunis, une jeune étudiante, Khaoula Rachidi, empêche un salafiste de changer le drapeau tunisien sur le toit du bâtiment contre le drapeau noir de l'islam. Son geste trouve aussitôt un immense soutien populaire, des manifestations de rue jusqu'au parlement, montrant clairement et publiquement la rupture qui s'était faite dans les esprits avec les partis islamistes, combien il n'était pas si difficile de les faire reculer, décrivant alors aux yeux de larges couches de la population tout à la fois son propre état d'esprit et un nouveau tournant où l'alternative populaire islamiste appartenait au passé. Dès lors, où aller ? La solution ouvrière s'invite alors dans le paysage politique par le biais du syndicat UGTT.

Il faut dire que cette affaire du niqab n'était que la pointe avancée d'une offensive du gouvernement contre les libertés appuyée sur une déferlante islamiste haineuse. Depuis des mois, c'étaient des affaires de censure et de procès contre les médias, Nessma TV, la radio Zitouna, Chems FM, le journal Al Oula, une violence inimaginable contre les habitants de Sejnane après la main mise de salafistes sur la ville la transformant en mini émirat salafiste, la bastonnade des journalistes et des universitaires devant le ministère de l’enseignement supérieur, l’agression contre le journaliste Ziad Krichène et l’universitaire Hamadi Redissi, la dénonciation virulente des grèves, l'interdiction des manifestations Boulevard Bourguiba, l'appel aux mutilations des bras et des jambes des sit-inners et grévistes par un député historique d’Ennahdha, des attaques contre l’UGTT, l’emprisonnement du directeur d’Al Tounousiya, les attaques terroristes des jihadistes contre l’armée nationale, des campagnes en faveur de l'excision féminine... Toujours est-il que cette déferlante de violence obscurantiste a réussi le tour de force de rassembler contre elle tous ceux qui, il n’y a pas si longtemps, étaient éparpillés: les femmes, les modernes et les modernistes, les laïcs et les musulmans modérés, les étudiants, les enseignants et les journalistes autour des syndicalistes et des ouvriers. Car, la révolution est passée par là, on ne baisse pas les bras ! Peu de temps après l'affaire du drapeau à la Manouba, l'UGET, lUnion générale des étudiants tunisiens, historiquement classée à gauche, a largement remporté les élections dans les conseils scientifiques des universités du pays, en récoltant 250 sièges sur un total de 284 dans une quarantaine d’établissements, face au syndicat UGTE représentant la tendance islamiste.

Ce changement d'opinion n'empêche bien sûr pas les bandes salafistes d'extrême droite de continuer à sévir. Au contraire presque. Plusieurs milliers de salafistes venus en bus de tout le pays se sont invités le 20 mai à Kairouan où ils ont investi toute la journée la grande mosquée et la médina de la ville pour y imposer leurs règles, rappelant par là les méthodes des partisans de Mussolini en Italie dans les années 1920. Cependant, l'ambiance est différente. Le 18 mai ils avaient tenté de fermer de force, avec couteaux et gourdins, une dizaine de bars et débits de boisson à Sidi Bouzid, la ville d’où est partie la révolution tunisienne en décembre 2010, pour terroriser la population. Mais cela a suscité la colère d'habitants qui ont à leur tour organisé des barrages, pourchassé les salafistes qui n'ont du leur salut qu'à la moquée dans laquelle ils se sont réfugiés, dont les habitants n'ont pas osé les chasser mais sur et dans laquelle ils ont toutefois tiré au au fusil de chasse. Le combat n'est pas sans risques, mais la population n''est pas sans ressources comme le font remarquer les policiers en grève ces derniers jours, se plaignant de voir leurs maisons brûler quand ils sont au travail.

Dans les deux pays, dans cette deuxième phase de "patience", on assiste ainsi aux mêmes ruptures avec l'armée, les institutions électorales, la religion.

En même temps, ils ne les abordent pas par le même bout, une crise politique plus marquée en Égypte, une crise sociale plus explicite en Tunisie, mais qui ouvrent toutes deux à une nouvelle rupture, avec le capitalisme cette fois.

 

1. La Tunisie et la grève générale politique qui se cherche

En Tunisie, la question du pouvoir de l'armée est moins présente et l'élection présidentielle est déjà chose acquise. Bref, tout le monde a pu voir ce que fait l'ex-opposition au pouvoir. C'est-à-dire rien en faveur des classes pauvres. La question sociale est aussi d'autant plus visible que le puissant syndicat UGTT ( 500 000 adhérents) tient une place importante depuis longtemps dans la vie sociale et politique du pays. La question centrale du pays est clairement comment faire baisser le taux du chômage qui frise avec les 20% contre 14% en 2010 - officiellement puisqu'on n'y intègre pas le travail informel - plus de 800.000 personnes en quête d’emploi dont 250 000 chômeurs diplômés de l'université[7] ? Selon une enquête récente, 86% des tunisiens pensent que le gouvernement a échoué sur l'emploi et 90% le pensent en ce qui concerne le contrôle des prix. Le chômage s'est maintenu à son taux insupportable et le prix des produits alimentaires de première nécessité a doublé en un an.

Des grèves qui cherchent la généralisation pour conclure ce qui a été commencé début 2011

La Tunisie est au bord de la grève générale politique. Une grève générale parce que depuis janvier les grèves générales partielles ou de villes ne cessent de se multiplier, politique parce qu’en plus des revendications économiques traditionnelles d'emploi et de salaire, les travailleurs en lutte ne cessent d'exiger de "dégager tous les petits Ben Ali", qui dirigent l'administration ou l'économie de bas en haut, bref de finir ce que la révolution du début 2011 avait commencé en faisant tomber la tête du régime mais en laissant ses fondations.

Durant la deuxième moitié de janvier 2012, quasiment tout le centre du pays, le plus pauvre, était en grève générale. Le gouvernement a su calmer la situation par des promesses que lui permettait encore la confiance dont il bénéficiait et l'absence de volonté de l'UGTT, dont les militants sont à l'origine de bien des luttes, de pousser son avantage au delà des frontières traditionnelles du syndicalisme puisque le syndicat, en bonne entente avec le gouvernement, a refusé de prolonger l'appel des habitants du centre du pays à généraliser leur mouvement à toute la Tunisie et surtout pas à relayer l'appel à faire tomber tous les petits Ben Ali, ce qui serait une deuxième révolution.

Cependant, au fur et à mesure que la confiance dans le parti islamiste au pouvoir et ses alliés s'émoussait, la patience sociale trouvait ses limites, le contenu des revendications prenait un caractère plus politique et une forme plus proche de la démocratie directe.

Depuis janvier, on n'assiste plus seulement à des grèves d'entreprise ou de telle ou telle catégorie mais à des grèves générales de ville semi-insurrectionnelles, ce qui suppose ou entraîne la construction de structures de coordination qui tendent vers ce qu'on a appelé "conseils" dans d'autres pays et moments. Pour les trois premières semaines du seul mois de mai, on a pu observer:

une grève générale de la ville de Tataouine le 24 avril; Kebili le 4 mai; Sahline, Médenine le 7 mai doublées ce jour-là d'une grève des agents du palais présidentiel qui accompagnent leur employeur, le président Marzouki, aux cris de "dégage"; Feriana, Gafsa, Redeyef le 8 mai avec des sit-in à Sidi Bouzid et Metlaoui le même jour; Sidi Bourouis et Laaroussa le 9 mai avec un sit-in à Siliana; manifestation des mineurs à Gafsa et grève des agents de nettoyage de l'aéroport d'Ennfidha le 10 mai; Sidi Amor Bouhaffa le 12 mai et salariés du pétrole à Tataouine; Beni Khalled le 14 mai; grève générale des enseignants du primaire le 16 mai avec appel à une suite les 30 et 31 mai; grève illimitée de la raffinerie de Skhira le 17 mai; grève des débardeurs du port de Gabès le 18 mai; attaque du siège du gouvernorat à Gabes le 21 mai; Médenine encore le 22 mai avec une grève générale de Tunisair le même jour; sit-in des diplômés chômeurs à la Kasbah le 24 mai qui a tourné aux affrontements entre manifestants et forces de l'ordre et grève générale à le Kef le 24 mai toujours ce qui entraîne une grève générale à Sakiet Sidi Youssef le 25 mai [8]...

En fait, pas un jour ne se passe sans au moins dix grèves générales ayant entraîné la paralysie de la ville concernée, 15 "sit-in" et 8 routes coupées quotidiennement selon le ministère de l'intérieur lui-même. Les ouvriers du bassin minier de Gafsa et Redeyef, notamment, qui ont joué un rôle déterminant dans la chute de Ben Ali, ont demandé à l'UGTT d'appeler à la grève générale à la fin du mois de mai, faute de quoi, ils le feraient eux-mêmes. Car à ces grèves de villes s'ajoutent, fin mai, des grèves dans l'ensemble du pays des salariés de Carrefour-Tunisie, des employés du ministère des Finances, de ceux de Tunisair, de l'Assemblée Nationale Constituante, des médecins et pharmaciens hospitalo-universitaires, des instituteurs et des magistrats...

La tête de l'UGTT contre sa base

On rencontre alors une nouvelle difficulté. L'UGTT a concentré en son sein toute l'opposition mais sa direction a refusé, pour la deuxième fois en trois mois, d'appeler à cette grève générale sur tout le pays, parce que selon elle, ce mouvement aurait un caractère politique,[9] la ferait sortir de ses attributions économiques et aurait pour conséquence la chute du gouvernement... comme ce fut le cas au début 2011 lorsqu'elle avait appelé à la grève générale précipitant la chute de Ben Ali.

En janvier, lors de la grève générale du centre du pays, alors que le ministre de l’Intérieur Ali Laârayedh déclarait que ces manifestations, grèves et sit-in étaient « suspects et criminels », disant qu'il appliquerait à leur égard la rigueur de la loi, le nouveau secrétaire général de l’UGTT affirmait qu’aucune manifestation n’était organisée par le syndicat et appelait au dialogue et à la levée de ces grèves et de ces sit-in. Pourtant la plupart de ces mouvements de lutte trouvent à leur origine des militants UGTT. Pourtant encore, la direction de l' UGTT est passé en décembre 2011 dans les mains de révolutionnaires maoïstes en même temps que peu à peu, le syndicat attirait de plus en plus la confiance de l'ensemble de la population car il restait le seul pôle organisé de résistance au gouvernement. Les dirigeants du syndicat sont tout à la fois capables de faire de grandes déclarations communistes, et, dans le même temps, défendre l'idée d'une alliance entre les patrons patriotes et leurs ouvriers pour construire ensemble, selon eux, une économie nationale forte.[10]

Lors de leur congrès de décembre, le secrétaire adjoint du syndicat insistait "sur le rejet par l'UGTT de toute atteinte aux entreprises, surtout celles qui représentent une bouffée d'oxygène économique pour certaines catégories ou régions du pays“. Le secrétaire général de l’UGTT, Hassine Abbassi, n'a eu de cesse d'appeler à l'union nationale, soutenant de fait le gouvernement, "ouvert à toutes les propositions gouvernementales", estimant que «le gouvernement est appelé à faire participer tous les intervenants dans la recherche de solution, notamment la centrale syndicale». Ainsi encore, le 1er mai à Tunis, l'UGTT a pu animer un cortège important de 30 000 manifestants mais avec le mot d'ordre d'"union nationale". Pourquoi ? Parce que début février 2012, à la surprise de tous, naissait un "Comité de haut niveau commun permanent UGTT-UTICA" (patronat), pour la défense de l'économie tunisienne. Les premières rencontres avaient lieu les 24 et 25 mai. Malgré les dix grèves générales de ville chaque jour en mai, on voit pourquoi la direction de l'UGTT refuse de donner suite à la demande d'appel à la grève générale nationale de sa base ces jours-là.

Le résultat, c'est que le 25 mai, les instances régionales de l’UGTT à Kef, Jendouba et à Gafsa en étaient réduites a annoncer la tenue de grèves générales dans leurs régions respectives, le 4 et 5 juin pour les premiers et sans date encore à ce jour pour les seconds.

La réaction s’engouffre dans l'espace laissé par les limites politiques de l'UGTT

Cette absence de politique nationale, cet émiettement et le sentiment de chaos, de désordre qui en découle, facilitent évidemment les attaques du gouvernement et des bandes fascistes-salafistes au nom de dieu, de l'ordre, de la patrie ou de la défense de l'économie.[11]

Début février, dans une déclaration télévisée, le chef du gouvernement indiquait que les pertes dues aux grèves étaient estimées à 2,5 milliards de dinars,[12] affirmant que la loi serait appliquée avec rigueur contre ces « actions de protestations anarchiques » qui empêchent les gens de travailler. Pour lui « le seul risque actuel en Tunisie était la situation économique et sociale dégradée » en raison de ce qu’il a appelé l’influence des « vestiges de l’ancien régime» !

A partir de la mi-février, c'est un harcèlement permanent et un bras de fer que le gouvernement engage avec les travailleurs en attaquant directement l’Union Générale Tunisienne du Travail. Ainsi, le 14 février, le pouvoir a décidé de préconiser dans les entreprises publiques ou privées «la mise en place de cellules d’écoute ayant pour mission l’examen des préoccupations professionnelles et des problèmes sociaux des salariés » avec une mission identique à celle des syndicats. Le gouvernement tente de contourner l'UGTT par la mise en place d'organismes professionnels du même type que sous Ben Ali. Fin février, des militants d'Ennahda profitaient des difficultés à la vie quotidienne provoqué par une grève des éboueurs pour attaquer certains des locaux du syndicat, y mettant le feu et déversant des ordures devant son siège central. Début mars, le gouvernement mène une vaste campagne contre l'UGTT, accusée de susciter les grèves pour saboter l'économie. Face à cela, les 3 et 4 mars, l'UGTT appelait la population à sa défense devant la menace d'un coup de force du pouvoir. Les manifestations de soutien étaient bien suivies mais l'UGTT se gardait bien de profiter de son succès pour aller plus loin.

C'est alors, le 7 mars, qu'intervint l'affaire du drapeau de la Manouba qui fit reculer momentanément le gouvernement qui décidait de se cacher alors derrière les bandes salafistes, interdisant même le 2 juin une manifestation de dénonciation des violences de ces mêmes bandes fascisantes.

Dans ce contexte, Ennahda est en difficulté, ses deux partis de gauche soutien au gouvernement, Ettakatol et CPR sont en crise, ce dernier a éclaté, les salafistes apparaissent de plus en plus comme couvrant des voyous et trafiquants, attaquant femmes, grévistes, locaux de l'UGTT ou du PCOT comme à El Kabaria. En mai, Marzouki, ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme tunisienne, ne comptant plus que sur une répression féroce telle que les journalistes tunisiens disent n'avoir jamais connu même du temps de la dictature, décidait à nouveau de prolonger de 3 mois l'état d'urgence que Ben Ali avait instauré en son temps. Cet état d’urgence permet l’instauration d’un couvre-feu, l’interdiction des grèves, de réunion, le contrôle des publications dans la presse, de la radio, de la télé, des présentations théâtrales et cinématographiques... mais pas la condamnation des violences salafistes. Pour donner un exemple du niveau de la répression en mai, deux jeunes ont été condamnés chacun à 7,5 années de prison simplement pour des propos choquant la moralité et l'ordre public pendant que d'autres le sont parce qu'ils appellent à la grève. En même temps, Marzouki annonce une année blanche pour les augmentations de salaire alors qu'il y a une forte inflation. Il privatise les biens d’État de la famille Ben Ali qui a été expropriée, prolongeant la politique du dictateur qui avait privatisé 217 entreprises nationales, faisant simplement glisser la propriété de certaines catégories privilégiées à d'autres.

Il n'est pas étonnant que Marzouki vienne de déclarer à la presse en ce mois de mai qu'il fait fréquemment un cauchemar, celui d'une deuxième révolution qui s'approche à grands pas.

Étant donné la contradiction qui traverse l'UGTT, malgré les pratiques bureaucratiques du syndicat qui tente d'empêcher toute discussion en son sein, voire même pour cela de freiner les adhésions qui affluent, le débat et les frictions vont bon train par endroit où le local du syndicat pourrait tendre à devenir le siège de structures embryonnaires des coordinations de ville. Cette situation de l'UGTT qui concentre en son sein les forces ouvrières révolutionnaires les plus déterminées à sa base et en même temps à sa tête des courants au langage anti-impérialiste mais aux pratiques nationalistes bourgeoises fait penser au syndicat des mineurs, la COB, en Bolivie en 1952. Les mineurs armés au travers de la COB ont pris les bases militaires et le pouvoir le 11 avril 1952, dissolvant l'armée et mettant le pays sous le contrôle de ses milices. Mais la direction de la COB a remis ce pouvoir au MNR, un parti qui prétendait réaliser un vaste programme d'indépendance nationale et de développement économique associant patronat et prolétariat patriotes sur fond de discours anti-impérialiste. Loin d'aider au développement du pays, la nationalisation avec indemnisation a paupérisé les travailleurs et les paysans, amené l'économie bolivienne au bord du gouffre et rendu le pays encore plus dépendant. L'UGTT semble emprunter les mêmes impasses de ce nationalisme soit-disant anti-impérialiste de la petite bourgeoisie et d'une partie de la bourgeoisie appuyés sur la bureaucratie syndicale. Avec toutefois une situation internationale différente. Nous y reviendrons.

Pour le moment, tant que le mouvement de la révolution est ascendant, cela ne porte pas trop à conséquence, mais cela pourrait avoir des conséquences dramatiques, rappelant en cela l'expérience malheureuse du mouvement ouvrier en Europe, entre les deux guerres. Il n'y a plus de place pour une union nationale ni pour un syndicalisme pur lorsque se pose l'alternative socialisme ou barbarie. Sans en être encore là en Tunisie, on assiste toutefois à une course de vitesse entre d'une part le pouvoir islamiste d'Ennahda et ses alliés de gauche qui essaie de placer leurs hommes à tous les postes de l'appareil d’État pour bloquer une deuxième révolution, fourbir les armes de la contre-révolution et d'autre part le mouvement populaire qui grandit à aussi grande allure et dont la logique de dégager les petits Ben Ali ouvre vers une troisième phase de la révolution, la construction d'un contre pouvoir, dont on pressent qu'il peut se construire au travers d'une ou plusieurs grèves générales, totales ou partielles, et au travers des organes de ces grèves, peut-être d'abord dans l'UGTT avant probablement qu'il ne la déborde. Ce qui place au centre de la question aujourd'hui, la volonté de se faire l'expression des appels de la base ouvrière pour dégager tous les petits Ben Ali au travers d'une grève générale, la porte d'une deuxième révolution et de l'émancipation sociale.

 

2. L’Égypte, d'une crise politique à la crise sociale

Les militaires et les partis islamistes se partagent depuis fin janvier 2012 les pouvoirs institutionnels, collaborant ensemble contre la révolution mais non sans conflits entre eux.

Car la révolution continue,[13] ce qui trouble l'union sacrée armée/islamistes. La pression populaire oblige l'armée à demander plus d'engagement de la part des islamistes pour mettre fin au mouvement, ce qu'ils essaient mais n'osent pas complètement ayant peur de perdre leur soutien populaire et, à partir de là, de ne plus avoir d'utilité pour l'armée. Un des effets de cette pression populaire a été la montée des salafistes qui dénoncent les Frères Musulmans pour leurs compromissions avec l'armée, obligeant ces derniers à une nouvelle contradiction entre leur radicalisation[14] pour séduite les salafistes et une modération pour convaincre les larges secteurs de la population, laïcs ou chrétiens. Un jour ils manifestent pour la révolution et contre l'armée, un jour ils dénoncent les manifestations au nom de l'ordre militaire et dieu. Ce qui provoque un certain nombre de fractures en leur sein.[15] Les conflits au sommet entre armée et islamistes bloquent les solutions institutionnelles, aggravant la crise politique. Et la crise politique ouvre la voie à la question sociale et à une solution de ce côté. Ainsi, contrairement aux élections législatives marquées par la seule opposition confessionnelle islamistes/libéraux, les candidats aux élections présidentielles des 23 et 24 mai ont centré leurs interventions sur les questions économiques et sociales. Personne ne croit réellement et sérieusement à leurs promesses sociales pour la simple raison que les attributions et les pouvoirs du président ne sont pas encore définis alors que le parlement des Frères Musulmans a déjà accordé que le budget militaire ne sera pas contrôlé par le pouvoir civil. Or 40% de l'économie est sous contrôle direct des militaires condamnant tout pouvoir civil institutionnel à n'être qu'un pantin dans leurs mains. Ce qui fait que la crise politique se déporte vers celle de l'économie et ses solutions sociales.

L'armée, l'économie et la solution ouvrière

Si la plupart des forces révolutionnaires n'ont pas eu conscience jusqu'au 11 février 2012 de l'importance de la question ouvrière, l'armée elle, la connaît. Depuis la révolution du 25 janvier 2011, le pouvoir militaire a pris pour cible le mouvement ouvrier et n'a pas cessé depuis. Trois jours seulement après la chute de Moubarak, le Conseil Supérieur des Forces Armées dénonçait les grèves qui affaiblissent l'économie. Le 23 mars 2011, une des premières lois du nouveau régime interdisait les grèves, les assemblées générales, les manifestations qui peuvent gêner l'économie avec à la clef des peines de 1 an de prison et des amendes d'un demi million de livres égyptiennes. Les Frères Musulmans, les Salafistes, le Wafd, les libéraux, le grand Mufti, le pape copte ne cessent de dénoncer les grèves qui, selon eux, violent tout autant les intérêts communs nationaux que les recommandations de dieu. Le terme "fi'awi", "intérêts particuliers", sous-entendu intérêts corporatistes égoïstes des ouvriers, est dénoncé très quotidiennement dans presque tous les médias, surtout depuis l'appel à la grève générale du 11 février 2012 par les étudiants. La propagande intense contre le "fi'awi" qui sabote "la roue de l'économie" emplit les multiples chaines satellitaires TV quelles soient religieuses, d’État ou privées. Les radios, les journaux en sont plein, ne cessant de répéter que les gens en auraient marre de la révolution, qu'ils voudraient paix et stabilité, que les forces révolutionnaires seraient minoritaires.[16] Du coup, aujourd'hui, beaucoup, comme l'écrivait l'écrivain Wa'il Gamal dans Al-Shorouq, pensent que "le peuple veut maintenant une autre roue de l'économie, car celle-ci produit pauvreté, ignorance et maladie."

Les "grands" candidats aux présidentielles ont donc multiplié les promesses sociales mais ont fait dans leurs campagnes comme si l'armée n'occupait pas toutes les places de l'administration et de l'économie, ce qui fait dire à bien des révolutionnaires qui boycottent ces élections: "participer aux élections, c'est collaborer avec l'armée." Qu'on en juge.

L'adjoint au ministre de la santé pour les affaires financières et administratives est le Major Général retraité Ashraf Khairy avec d'autres généraux à différents niveaux du ministère. L'équipement médical est aux mains du général Nader Fouad. Le responsable de l'information est le Major Général Salah Badr. Le Major Général Ismail Abdel Moneim Nagdy est le responsable de l'Autorité du Développement Industriel. L’Autorité des Nouvelles Communautés Urbaines qui s'occupe notamment de l'attribution des terrains industriels est aux mains de plusieurs généraux. Le secteur semi public des Industries Alimentaires est tenu par les généraux Magdy Amin, Ahmed Hassanein et Mohamed Hafez. Le superviseur de la Compagnie nationale des Ciments est le Major Général Mohsen Mostafa et l'armée possède la plupart des entreprises de ciment, un de secteurs industriels les plus importants d’Égypte. Dans le secteur du tourisme, le président de "Égypte Voyage" est le Major Général Fouad Sanad et la compagnie "Tourisme, Hôtels et Cinema Holding" est pleine de généraux comme Essam Abdel Hady. La direction de l'Autorité Administrative de Contrôle censée lutter contre la corruption, est aux mains d'un général et ses sous-fifres dans chaque gouvernorat en sont aussi. Le ministère de l'environnement compte 65 généraux. Le directeur de l'Autorité du Canal de Suez est l'officier retraité Ahmed Fadel. Les compagnies du Canal et des ports sont aux mains des généraux. Les positions des militaires dans le pétrole sont du même type. Le responsable de l'Autorité d'Urbanisation du Sinaï est le Major Général Mohamed Nasser. La très grande majorité des gouverneurs, responsables de districts ou de villes sont des militaires à la retraite.

L'élection du président était présentée comme la clef de voute de la transformation du pays, puisque les militaires étaient censés rejoindre leurs casernes ensuite. Aujourd'hui, plus grand monde n'y croit encore. La démocratie et l'islam qui ont confondu leurs intérêts et dominé le paysage politique jusque là ne paraissent plus être des solutions. Quelle solution s'offre alors ?

Les luttes du prolétariat qui n'ont eu de cesse de poser concrètement la question de l'armée offrent cette solution. Les vagues de grèves qui traversent l’Égypte depuis la révolution sont les plus importantes de son histoire. De plus, elles se donnent comme objectif, en même temps qu'elles avancent leurs revendications économiques, de "dégager" tous les petits Moubarak, à tous les niveaux de l'administration ou des entreprises, c'est-à-dire bien souvent les militaires, jusqu'à avoir réussi dans deux entreprises, à les "dégager" réellement. Une des premières protestations ouvrières après la révolution, en février 2011, pour des augmentations de salaires, avait été également dirigée par 1500 ouvriers de l'Organisation Arabe de l'Industrialisation contre son directeur, le Major Général Hamdy Waheebad. En août, ils étaient 16 000 dans l'action. En 2011 toujours, ce sont 5 000 ouvriers des entreprises militaires N°9, 63 et 200 qui entrent en grève associant revendications économiques à celles, politiques, de "dégager" leurs dirigeants militaires. En février 2011 également, 2 000 travailleurs et ingénieurs du secteur pétrolier protestaient contre les conditions de travail et contre la militarisation progressive de leur travail. Les mois suivants, d'autres milliers de travailleurs des entreprises Petrojet et Petrotrade du même secteur entraient également en lutte. On voyait encore ces mêmes ouvriers du pétrole fin mars 2012 continuer à défier l'armée et le Parlement. Fin mars 2012 encore, la plupart des grèves touchaient beaucoup de secteurs contrôlés par l'armée, usines militaires ou entreprises du port et du canal de Suez. Depuis le 20 mars 2012, un camp de tentes a été érigé devant le siège de l’Organisme des impôts avec comme slogans principaux: « A bas le règne des militaires : notre organisme n’est pas un camp !» Il faut dire que l’épouse de Sami Anan, le numéro 2 du Conseil Supérieur des Forces Armées, Mounira Al-Qadi Radi, est présidente du secteur des zones fiscales au sein de l’Organisme. Le 3 mai, l'armée intervenait à Suez, après bien d'autres fois, pour libérer le gouverneur militaire de Suez séquestré par les ouvriers du port qui dénonçaient la corruption et voulaient sa démission. Il y a un mois, ce sont ceux des usines 45 et 999 rejoints par ceux de Muhemmat à Gharbiya, au total des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs de secteurs militaires, qui ont demandé avec des hausses de salaires que leurs dirigeants militaires soient "dégagés" pour corruption.[17] Revendications identiques contre les anciens du PND. Les grévistes de Suez demandent le jugement du magnat de l'industrie de la céramique, ancien du PND, impliqué dans la "bataille des chameaux". Les employés du Gaz du Caire exigeaient mi mai de récupérer les locaux du PND. Les grévistes des transports publics demandent la purge de la police... Fin mars, les 40 000 employés de bus du Caire entraient en grève réclamant clairement la renationalisation de la compagnie des bus, comme plus généralement de l'économie, en chantant "ils sont habillés à la dernière mode et nous vivons à dix dans une seule pièce” signifiant là le succès électoral des socialistes nassériens de mai.

Dès lors, la répression traditionnelle ne suffisant plus, le pouvoir lançait encore plus violemment ses bandes fascisantes de voyous armés de sabres et couteaux contre les dirigeants du syndicat des employés de bus comme contre les travailleurs de Suez en lutte ou les étudiants grévistes de l'université du Caire. Les forces s’arque-boutent autour de la question de l'armée. Le 6 mai, les patrons se sont sentis obligés de manifester pour dire leur soutien à l'armée pendant que le même jour, les jeunes manifestaient eux-aussi mais pour exiger la libération des détenus fait prisonniers lors des émeutes des 2 aux 5 mai de la place Abbassiya au Caire et qu'enfin encore le 6 mai, le parlement dominé par les islamistes autorisait les tribunaux militaires à continuer à juger les civils[18] malgré le large mouvement de protestation à ce sujet.

Le premier tour des présidentielles qui a qualifié pour le second, les 16 et 17 juin, un candidat de l'armée et un candidat des Frères Musulmans et le verdict du procès de Moubarak qui l'a condamné à la prison mais a amnistié ses fils et les principaux responsables de la répression de son régime a conduit à nouveau du 2 au 5 juin, les foules révolutionnaires dans la rue dénonçant tout à la fois le jugement du tribunal mais aussi le résultat des élections considéré comme truqué ainsi que la candidature d'un général, ancien premier ministre de Moubarak. Malgré les Frères Musulmans, qui ont participé à ces manifestations par démagogie électoraliste parce qu'ils espèrent tout de ce scrutin mais craignent surtout sa déligitimation, le ton dominant place Tahrir était au boycott du deuxième tour et à la démocratie directe, réclamant un conseil présidentiel de salut public Morsi, Fotouh, Sabbahi et des tribunaux révolutionnaires. Mais comment passer d'une à des places Tahrir partout ?

Comme en 2011, une crise de la hausse des prix, des pénuries et des subventions

La hausse dramatique des prix de presque tous les produits de première nécessité ces derniers temps a provoqué une onde de choc dans la population qui a contribué à faire de la question sociale une question de premier plan. Par ailleurs des pénuries répétées d’articles essentiels, comme les bouteilles de gaz qui jouent un rôle vital dans la vie quotidienne en Égypte, éclatent régulièrement formant le terreau d’une révolte sociale d'ampleur. Tout le monde se souvient que l’explosion des prix des produits alimentaires de base, la menace que l'arrivée du fils de Moubarak au pouvoir signifie la suppression des aides d’État aux produits subventionnés ont donné l'étincelle de la Révolution du 25 Janvier. Aujourd’hui, la misère est telle, alors que le gouvernement s'interroge à nouveau sur la suppression des subventions qu'elle peut réveiller "l'intifada de la faim de 1977" car la hausse des prix et la pénurie enrichissent les plus riches et appauvrissent les plus pauvres.

Le prix du poisson a augmenté de 170%, celui de la viande gonfle alors que les salaires n'ont quasiment pas bougé. L'huile, le sucre augmentent aussi. Autrefois, seuls les plus pauvres achetaient le pain subventionné. Mais depuis plusieurs mois, le prix de la farine a été presque multiplié par trois. Chaque matin, la foule – et les tensions- ne cessent de grossir devant les boulangeries subventionnées où le pain, dix fois moins cher que le pain normal, est même devenu presque inaccessible pour nombre des ménages, y compris des classes moyennes.

Il en va de même devant les dépôts de gaz. La pénurie des bonbonnes de gaz s’est accentuée et le prix de la bonbonne a doublé. Tous ceux qui ont opté pour des chauffe-eau électriques se trouvent pris dans le piège de la hausse des prix vertigineuse de l’électricité avec les vagues de chaleur torride qui frappent le pays en été, l'amplification de l’utilisation des ventilateurs et des climatiseurs et une hausse prévue du prix de l'essence d'environ 100% début juillet. Les experts gouvernementaux mettent alors en cause la politique de subvention des prix au prétexte que cela favoriserait le marché noir et que les caisses sont vides. L'été pourrait bien être "chaud".

Vers un été chaud et des places Tahrir partout ?

Les résultats du premier tour des présidentielles, malgré la qualification pour le second tour des seuls candidats de l'armée et des Frères Musulmans, sont une claque politique pour ces derniers.

D'abord, la faible participation – 45,7%, officiellement, beaucoup moins qu'aux législatives - malgré les 70% pronostiqués le plus souvent pour ce scrutin qui était présenté depuis des mois par tous les partis[19] comme l'élection capitale, la clef de la situation, montre la perte de confiance grandissante des égyptiens dans les solutions électorales institutionnelles.[20]

Ensuite le vainqueur politique est assurément celui que personne n'attendait, le socialiste nassérien Hamdeen Sabbahi. Il n'est arrivé que troisième avec 21% des voix contre 25 et 24% respectivement aux candidats des Frères Musulmans, Morsi, et de l'armée Shafiq. Mais l'ampleur des fraudes lui a probablement volé la première place. Surtout, il est très nettement arrivé en tête dans les grandes villes, Le Caire, Alexandrie[21], Port-Saïd... c'est-à-dire que la pointe avancée de la révolution qui joue un rôle déterminant et entraînant dans le processus révolutionnaire a voté très largement Sabbahi. Le vote islamiste s'est littéralement effondré[22] puisqu'il passait de 70% aux législatives à 25% pour les Frères Musulmans aux présidentielles, 42% au total pour les islamistes si l'on rajoute le résultat du candidat islamiste dissident révolutionnaire, Abol Fotouh. Les villes et les quartiers ouvriers ont voté tout particulièrement Sabbahi révélant clairement des tendances de classe.

On peut s'attendre que la participation au deuxième tour les 16 et 17 juin -s'il a lieu - soit encore plus faible puisqu'il apparaît clairement à beaucoup que le choix entre l'armée et les islamistes n'en est pas vraiment un. Comme le disait un ouvrier dans le Sinaï, "si ce sont Shafiq ou Morsi qui sont élus, on fera des places Tahrir partout, dans toutes les villes et villages". Une opinion partagée par beaucoup et qui explique probablement que du 2 au 5 juin et encore le 8, lors des manifestations qui ont accueilli et dénoncé le verdict du jugement de Moubarak, la participation ait non seulement été massive et doive se poursuivre encore ultérieurement, mais qu'on y ait retrouvé aussi la ferveur révolutionnaire des débuts. La non condamnation des fils de Moubarak comme des hauts responsables de l'appareil de répression, la morgue des avocats de Moubarak assurant qu'ils étaient sûrs d'obtenir sa relaxe en appel malgré sa condamnation a vie en première instance, l’arrivée du président au pouvoir sans prérogatives déterminées et l'impasse dans laquelle cela engage le pays, le chaos juridique et constitutionnel sans précédent qui règne, la rumeur sur l’intention du Conseil militaire de promulguer une déclaration constitutionnelle « complémentaire » définissant avec plus de détails les délimitations des pouvoirs du président élu mais surtout les prérogatives de l'armée, tout cela contribue à une situation critique où l'armée de plus en plus contestée[23] pourrait être tentée par un coup de force avant que son autorité ne soit plus sérieusement ébranlée. Et même s'ils retournaient aux casernes, les militaires n'abandonneront pas leur pouvoir économique comme ça.

L'été 2012 mêlant crise politique et sociale pourrait bien être celui d'un affrontement de plus en plus marqué entre deux camps, représentés d'un côté par les militaires et les partis islamistes et de l'autre par les révolutionnaires, les travailleurs, les étudiants et les Ultra.

Évidemment, tout autant l'UGTT que les socialistes nassériens de Karama, même s'ils peuvent être poussés par le bouillonnement populaire plus loin qu'ils ne le voudraient, ne veulent pas remettre en cause le capitalisme[24] ni même se faire les porte-paroles de ces revendications ouvrières de dégager tous les petits Ben Ali ou Moubarak, chemin vers une deuxième révolution sociale. Mais une nouvelle génération de jeunes militants est apparue issue des classes pauvres, des quartiers populaires, des usines. Les 74 morts du massacre du stade de Port Saïd le 2 février 2012 ont eu comme effet d'unifier les clubs de supporters de foot "Ultras" et de se définir plus consciemment comme une part de la révolution alors que jusque-là, ces jeunes issus des milieux pauvres, bien qu'ayant joué un rôle de premier plan dans l'action, avaient toujours refusé de faire de la politique. Les "Chevaliers Blancs" de Zamalek et les ultras "Alhawy" ont organisé un meeting commun avec plus de 3 000 participants décidant d'une espèce de parti commun, les "Ultras de la place Tahrir". Leur dernière chanson "Oh CSFA, fils de pute", fait directement référence aux travailleurs, ces derniers devenant pour la première fois une icône de la culture "Ultra". Une révolution mentale s’opère en leur sein, les faisant évoluer de simples soutiers de la révolution à celui de candidats au leadership révolutionnaire, cherchant en quelque sorte leur Malcom X et les faisant applaudir par la foule lors de leur arrivée place Tahrir. Une autre révolution mentale traverse également les milieux étudiants et lycéens ainsi que les militants ouvriers syndicaux les plus avancés qui les pousse depuis le 11 février vers le programme socialiste y cherchant les outils intellectuels d'une deuxième révolution, même si la direction du syndicat, elle, semble chercher plutôt du côté de l'UGTT.

L'enjeu de la période à venir se trouve là. Y aura-t-il des hommes et des forces politiques parmi les militants ouvriers, les étudiants, les intellectuels, les Ultra, les socialistes révolutionnaires pour construire cette politique ouvrière indépendante de "dégager les petits Moubarak" ?

La question pourrait bien trouver sa réponse à l'échelle internationale.

 

3. Des ruptures qui ouvrent sur un autre monde

Spécificités arabes ou révolutions qui ouvrent à la lecture des trente dernières années ?

Jusque là, même si les "indignés" avaient porté l'écho des révolutions arabes au-delà de leurs frontières, la logique de ces révolutions semblait pour beaucoup appartenir à une aire culturelle spécifique. Pour justifier cela, il a souvent été dit que les raisons des révolutions arabes reposaient sur une contradiction spécifique à ces pays, entre, d'une part, des régimes dictatoriaux sclérosés et d'autre part une jeunesse hautement scolarisée, ouverte aux influences du monde moderne, mais au chômage. On a cherché également dans les particularités de régimes économiques rentiers, que ce soient la rente pétrolière ou celle d'un système "compradore" qui bloqueraient par la corruption et le clientélisme tout développement économique, les causes spécifiques de ces révolutions. Dans cette logique "arabisante", on a déconnecté ces surgissements des résistances ouvrières européennes, ne voyant qu'une coïncidence dans la simultanéité des révoltes sur la planète et dans le monde arabe.

Il est vrai que les révolutions arabes n'ont pas été provoquées par la crise de 2007-2008 qui est, par contre, en train de pousser en Europe les prolétaires dans les rues. Les révolutions égyptiennes et tunisiennes ont commencé avant la crise. L’Égypte avait connu un mouvement de contestation politique démocratique dans les années 2004-2006 suivi par une large vague de grèves en 2006-2008, qui ont créé la base du renversement du régime. En Tunisie, ce sont les soulèvements ouvriers dans le bassin minier de Gafsa en 2007-2008 qui ont jeté les fondements de la révolution. En Europe, par contre, les toutes premières manifestations datent de décembre 2008 avec la révolte de la jeunesse grecque suivies au printemps 2009 par les manifestations contre les licenciements en France, la grève générale aux Antilles françaises, etc.

Cependant, raisonner ainsi serait une erreur, car ce serait faire de la crise financière une cause, un début alors qu'elle ne l'est que secondairement, étant principalement un aboutissement, fonctionnant comme un dévoilement des mutations du monde des 30 dernières années, où, sous l'influence d'une crise de surproduction mondiale née au milieu des années 1970, la planète s'est transformée, de Pékin à Tunis, en passant par Le Caire, Athènes ou Madrid. Là est la cause.

On sentait vaguement que tout avait bougé ces trente dernières années, la crise l'a révélé, mais ce sont les révolutions arabes qui en donnent le sens. On pressent tout d'un coup à travers ce prisme arabe, la portée politique des milliers de gratte ciels surgis de terrains vagues à Shenzen ou Padong. Trois usines chinoises du Taïwanais Foxconn, principal fournisseur d'Apple, comptent deux fois 200 000 salariés, 400 000 sur son seul site de Shenzen où on se suicide en se défenestrant de ses buildings. Continueront-ils à le faire longtemps ? Hong-Kong est la ville qui compte le plus de millionnaires au monde mais aussi 250 000 pauvres qui vivent dans les gaines d'ascenseur ou d'aération des tours. Sans conséquences ? Sao Paulo abrite sur ses gratte-ciels plus de 250 héliports pour ses millionnaires qui préfèrent se déplacer ainsi plutôt que de se risquer dans les rues livrées à la violence de leur système social inégalitaire comme on n'en a jamais vu. Chacun des 53 000 milliardaires indiens possède au minimum 200 000 fois le revenu moyen de 5 000 roupies (95 euros) par mois. Et 500 millions d’Indiens ne disposent pas d’un euro (65 roupies) par jour pour vivre comme 40% d'égyptiens mais 250 millions d'indiens ont un téléphone portable et un taux du même ordre en Égypte. Gurgaon, banlieue ouvrière de Dehli, sorti de rien, qui abrite plus de mille entreprises automobiles et 500 000 ouvriers dans sa seule zone industrielle, prend tout d'un coup un caractère politique. Les enfants abandonnés survivent dans les égouts ou les canalisations des systèmes de chauffage urbain à Oulan Bator. Comme dans les égouts de Vienne, la "rouge", à la fin du XIXème siècle, mais sans internet. On travaille dans les ateliers du delta de la rivière des perles comme il y a 100 ans dans les abattoirs de Chicago, mais avec 300 millions d'ouvriers chinois. La foire de Paris parait une dinette de poupées à côté de la foire exposition d'Yiwu et ses 50 000 exposants permanents dans le monde oxymorique et orwellien du "socialisme de marché". La Chine est la deuxième puissance mondiale par son PIB, le Brésil ravit à la Grande Bretagne sa sixième place... Le mur de Berlin est tombé, mais de nouveaux s'élèvent à l'échelle mondiale comme jamais, entre ceux qui ont des millions de dollars et ceux qui ont moins d'un euro par jour.

La tectonique des plaques que révèlent les révolutions arabes annoncent bien d'autres séismes

En trente ans, la libéralisation économique mondiale cassant toutes les vieilles protections a poussé de nouveaux prolétaires à chercher une vie meilleure dans les villes et a conduit à une urbanisation débridée et à des migrations massives. L'Égypte a une urbanisation et une densité de population six fois plus importante que celle de la Hollande, pourtant la plus forte d'Europe. Le Caire est passé de 3 millions d'habitants dans les années 1960 à 20 millions aujourd'hui. Sanaa, la capitale du Yémen, de 50 000 en 1960 à 2 500 000 aujourd'hui. Une foule de villes moyennes et petites a émergé. En 1950, sur les 100 millions d'habitants du monde arabe, 26% vivaient en ville, aujourd'hui ils sont plus de 66% pour les 350 millions actuels. Près de 55% des habitants de notre planète sont citadins aujourd'hui. La Chine a 80 villes de plus de 1 million d'habitants, un monde infiniment plus politique que celui qui a créé la démocratie parlementaire qui ne comptait autour de 1900 que 14% de citadins. Nos révolutions industrielles et urbaines européennes du XVIIème au XIXème siècles étaient des jeux d'enfant par rapport à ces trois siècles ramassés en seulement 30 ans.

En même temps, la mobilité des hommes et des marchandises a été multipliée par mille depuis 1800. Des vagues d'immigration d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité ont créé de nouveaux collectifs cherchant à briser les vieilles institutions dans lesquels ils sont enfermés.

L'urbanisation et l'émigration s'accompagnent d'une véritable révolution matrimoniale qui sape les bases des régimes dictatoriaux comme les assises de la religion traditionnelle fondés tous deux sur la famille patriarcale, le mariage en bas âge et entre cousins germains, la soumission des femmes et un taux de fécondité élevé. En 30 ans en Égypte – mais l'évolution est semblable dans tous les pays arabes - avec une urbanisation considérable et une immigration importante, bien des femmes se sont mis à travailler, l'âge du mariage qui était de 17-18 ans pour les femmes est passé à 23 ans, 27 pour les hommes. Ce qui signifie un célibat plus long. La fécondité est passé de 6 à 7 enfants à environ 3. On estime le taux de contraception à près de 60%. Le nombre d'avortements, encore interdits, explose. L'écart d'âge traditionnellement élevé entre époux diminue comme l'habitude du mariage endogame. La durée du mariage, assez courte du fait des facilités de répudiation pour les hommes, s'allonge. La polygamie a quasiment disparu. La place Tahrir où cohabitaient hommes et femmes, a donné un visage à ce chamboulement qui traverse tout le monde arabe et ébranle ses régimes dans leurs fondements. Cette cohabitation sans problèmes, montre que ces archaïsmes ne sont pas inscrits au plus profond de la "nature humaine" mais ne tiennent que par ces régimes dictatoriaux qui y trouvent leurs assises. Mais ces archaïsmes ne concernent pas que l'aire arabe, ils sont planétaires. La plaque de la société bouge et heurte celle des institutions et des coutumes annonçant bien des séismes; du Québec à l’Égypte, la propriété, la famille, le mariage, l'héritage, les frontières nationales, l'éducation, les formes de collectivités, la représentation politique... sont tous en crise.

C'est pourquoi, sur ce fond social, des dictatures réputées indestructibles tombent en quelques semaines. Des peuples que les experts et les préjugés vouaient à des arriérations séculaires se placent à l'avant-garde du mouvement. Des jeunes dont on se désolait de leur apolitisme, leur apathie ou leur conformisme, montrent non seulement un courage incroyable mais font bouger les lignes à tel point que nos habitudes de pensée ont du mal à suivre le rythme. Regardez la jeunesse israélienne qui a su entraîner la population entière du pays en clamant clairement qu'elle s'inspirait des arabes de la place Tahrir. Cette jeunesse, d'un pays au PIB en pleine progression, aux industries high-tech qui feraient pâlir d'envie leur équivalent européen, s'enthousiasme pourtant pour la jeunesse misérable d’Égypte et de Tunisie et laisse entrapercevoir, parce qu'elle choisit les études et la vie plutôt que le budget militaire et la guerre, les jalons d'un remodelage géopolitique de toute la région que des décennies de combats nationalistes avaient conduit à l'impasse.

C'est le même cri que les "indignés" espagnols, des USA ou d'Allemagne avec "Occupy", ont lancé à la face du monde, dénonçant la farce qu'est devenue la démocratie parlementaire aux mains des banques et le scandale de cette société qui ne sait qu'offrir des jeux sans même le pain aujourd'hui. Ce sont encore les Grecs qui refusent de payer les dettes illégitimes d'une société passée entièrement aux mains de la finance. C'est toujours le même mouvement, au Chili ou au Québec où la jeunesse en réclamant le droit aux études, à la vie, entraîne la population contre l'austérité. En Grande Bretagne ses émeutes montrent la nécessité d'un repartage des richesses. Ce sont les grèves et luttes à répétition en Italie et l'appel par le plus grand syndicat de la métallurgie, la FIOM, à des AG ouvertes sur les places publiques pour qu'ouvriers, chômeurs et étudiants, décident ensemble de leur avenir. C'est le peuple roumain qui fait tomber son gouvernement après un mois de luttes. En Espagne et au Portugal, le rythme des résistances ressoude la péninsule ibérique. Ce sont les mouvements sociaux qui unifient à nouveau par leurs préoccupations communes la Slovénie, la Bosnie, la Serbie, la Croatie ou le Monténégro après plus d'une décennie de guerres fratricides. L'ensemble posant les premiers jalons d'une nouvelle unification de l'Europe par en bas.

C'est le même esprit qu'on retrouve dans le LKP en Guadeloupe jusqu'au succès initial du NPA qui dénotait de cette même envie de se débarrasser de vieux oripeaux politiques et institutionnels dont tout le monde sent qu'ils entravent l'action et la pensée. Cette même insurrection des esprits s'est emparée des candidatures Mélenchon ou Syriza en Grèce, Sabbahi en Égypte. Nous avions déjà connu cet esprit subversif avec la jeunesse lycéenne lors du mouvement des retraites en France. Déjà, on pouvait déceler dans le dynamisme "surprenant" de jeunes équipes syndicales et militantes balayant les frontières qui séparent leurs chapelles en refusant des manifestations "plan plan", l'air d'un temps nouveau qu'on retrouvera demain. C'est pourquoi ces révolutions arabes durent.

Des révoltes, des processus révolutionnaires ou des révolutions ?

C'est par ce contexte qu'on peut parler de révolutions arabes et pas seulement de révoltes ou même de "processus" dont on ne sait pas bien quels seraient ses aboutissements. C'est par ce contexte qu'on peut les observer, les penser et comprendre sur quel chemin elles s'engagent, nous engagent.

La crise de surproduction a fait glisser le caractère emblématique de la production vers une zone Asie-Pacifique. L'URSS a éclaté mettant fin à la main mise du stalinisme sur la pensée ouvrière. L'idéologie nationaliste des révolutions coloniales s'est usée. De l’Égypte à l'Inde, mais aussi dans le monde occidental, depuis les années 1990, les quelques protections étatiques des pays pauvres décolonisés et de plus amples en Occident se sont effondrées ou dégradées face à la déferlante de privatisations et la mise en concurrence des travailleurs du monde.

L'économie des pays riches du Nord a mis les travailleurs du Sud à la merci des forces du marché dépendant des investisseurs du Nord pendant que des travailleurs du Nord ont perdu leur travail mis en concurrence avec les bas salaires du Sud. L'économie de rente et le clientélisme dictatorial des sociétés arabes peut expliquer bien des émeutes. Mais c'est la vague de privatisations, la destruction des protections étatiques, des services publics, le blocage de l'avenir pour les jeunes diplômés dans le contexte mondial des trente dernières années, celui de la crise de surproduction, de l'extension et modification de la géographie industrielle, l'urbanisation, les révolutions familiales, matrimoniales, communicationnelles, migrationnelles et les évolutions de l'espace oppositionnel public mondial pour finir par la financiarisation de toute la société, qui expliquent les révolutions.

Bien sûr, tout cela n'est pas mécanique, linéaire, ni sans dangers. Qui aurait pu imaginer il y a 6 mois, dans l'enthousiasme de ces révolutions dites Facebook et de la démocratie, que la première loi du nouveau pouvoir en Libye serait de rétablir la polygamie ? Qui aurait pu prévoir ce raz de marée électoral des islamistes en Tunisie ou en Égypte alors que ces derniers étaient absents de cette révolution ? En Libye, les guerres fratricides entre tribus et l'éclatement du pays sont à l'ordre du jour. En Syrie, le conflit en cours peut tourner à une guerre civile s'étendant au Liban ou à l'Irak faisant éclater la région en autant de micro-communautés dominées par des chefs de guerre en conflit permanent s'appuyant sur des divisions confessionnelles ou ethniques. Au Bahreïn où les conflits sociaux ne cessent pas, les luttes chiites-sunnites sont doublées de vieilles revendications territoriales sur cette ancienne province perse volée par la Grande Bretagne, qui peuvent en faire le lieu de conflits voire d'une guerre entre les ambitions de l'Arabie Saoudite et celles de l'Iran. Avec extension régionale à d'autres problèmes, ce que les bruits de botte en Jordanie ou Israël semblent confirmer. Il peut en être de même au Sahel où la fragilité des États, de la Mauritanie au Mali en passant par le Niger ou l'Algérie peut laisser la place à un chaos barbare. Et l'apparition de bandes fascisantes en Tunisie est inquiétante pour l'avenir comme leur écho de repli national d'extrême droite en occident. Bref, l'ébranlement de la région peut amener bien des retours en arrière.

Pourtant la situation n'est pas la même qu'en 1979 au moment de la main-mise théocratique de Khomeiny sur la révolution iranienne. Le monde a bien changé. L'espace public oppositionnel qui s'est développé à partir du milieu des années 2000 en Égypte ou en Tunisie n'est pas à séparer de celui qu'on voit surgir à peu près aux mêmes dates à l'échelle mondiale. Nous n'avons pas assisté à des émeutes sans but emplies de désespoir. Nous assistons au début d'une prise de conscience pour un autre monde. Les places Tahrir ou d'autres sont pleines d'espoirs, de générosité, d'utopies, pleines de gens se répondant les uns aux autres par delà les frontières qui ne veulent plus vivre sous le règne de rapports humains marchandisés. Les grèves et manifestations ouvrières sont pleines de rage donnant un caractère explosif aux "indignations" socialisantes. Les révolutions arabes durent, s'approfondissent et vont s'ouvrir encore plus parce qu'elles participent du même réveil du monde.

On a assisté ces dernières décennies à un essor fantastique des moyens de communication et d'Internet, faisant s'estomper puis s'effondrer de nombreuses frontières et lignes de démarcation traditionnelles en même temps que sont nées des institutions, des émotions, des opinions mondiales. Les forums sociaux mondiaux ont fait entrer en contact des dizaines de milliers de personnes et échanger leurs expériences. La décentralisation de la production des connaissances et de la recherche, amplifient les évolutions scientifiques, techniques et culturelles, l'uniformisation culturelle facilite la diffusion de l'interprétation commune des problèmes, l'écologie déplace la réflexion à une échelle planétaire et marque toutes les autres sciences de cette emprise. Le décloisonnement qu'on peut percevoir à nouveau dans les milieux universitaires depuis 10 ou 15 ans participe de ce mouvement d'une science pour la planète donc pour les gens, à partir des gens. Cette domination des Sciences de la Vie et de la Terre entraîne la science à sortir à nouveau de son illusion de neutralité. L'interdisciplinarité, la World History - l'histoire globale - la sociologie des mouvements, le système des genres, l'archéogénétique, l'anthropologie cognitive ou historique, la psychologie et la biologie évolutionnistes, la paléopathologie, etc., font partie des éléments constitutifs de cette situation, cette période, au même titre que la place Tahrir, les indignés, le NPA ou le FDG et, par là, donnent de nouvelles bases pour que le marxisme rompe avec le déterminisme rationaliste mécaniste qui lui a servi d'ersatz pour des générations militantes.

Après Hegel à Haïti, ne devrait-on pas commencer à imaginer Darwin à Shangaï, Marx à Gurgaon ou Bangalore ? Ou, plus modestement, un échange entre socialistes révolutionnaires de ces pays.

L'avenir des travailleurs européens se joue aussi bien à Athènes qu'au Caire ou à Tunis

Dans l'acte deux de la révolution en Égypte et Tunisie, la longue patience du peuple, les éléments les plus avancés ont donc rompu avec trois grandes illusions qui généraient leur patience. Ces ruptures ouvrent la porte à une quatrième rupture et, par là, une troisième phase de la révolution. La perte de confiance dans les institutions - armée, élections, religion - additionnée à une effervescence sociale qui continue de plus belle pour "dégager tous les petits Moubarak ou Ben Ali" ouvre le chemin à une rupture avec le capitalisme. Cela signifie tout à la fois dans ce bouillonnement général que les luttes auront un contenu différent, que les polarisations se feront autour des classes fondamentales et que les structurations des luttes prendront la forme de contre-pouvoirs. Ce mouvement entrera alors plus clairement en résonance avec les causes profondes des autres ébranlements du monde, entraînant l'ensemble dans une phase d'influences réciproques plus nettes.

La rupture avec l'armée nationale ouvre la porte, tout particulièrement en Égypte, à deux évolutions psychologiques et politiques: une rupture avec le nationalisme qu'elle symbolisait et une rupture avec le régime de propriété puisqu'en Égypte l'armée a la main sur environ 40% de l'économie. Le retour à un équilibre économique entre le secteur public et le secteur privé que porte le socialisme nassérien mais aussi celui de Mélenchon, de Syriza ou de l'UGTT en sont une illustration. Mais on voit bien comment la mondialisation économique et sociale depuis 30 ans, n'offre pas un grand avenir à ces formes éculées de socialisme national. Il est probable qu'on voie derrière cette première étape "socialisante", la renaissance d'un socialisme plus global mieux en phase avec les évolutions de ces derniers temps, pan-arabique ou encore plus internationaliste, renforçant de nouveaux courants socialistes révolutionnaires internationalistes prolétarisés, rajeunis et renouvelés.

La rupture avec l'islam politique, elle, ouvre d'autres portes sur l'avenir, tout aussi considérables et complémentaires sur le plan culturel, la largeur d'esprit, notamment les relations entre les hommes et les femmes, le type de famille, le mariage, l'héritage, l'éducation, la déterritorialisation des nouveaux collectifs humains... c'est-à-dire ouvre sur un langage commun à l'humanité qui dise le contraste croissant entre l'évolution de la société et la sclérose de ses coutumes et ses institutions.

La rupture avec les illusions sur la démocratie parlementaire ouvre sur de nouvelles formes de démocratie directe, on l'a déjà vu avec les réseaux sociaux ou les "places" que portent les "indignés", mais bien d'autres encore demain. La convergence de ces ruptures dans le cadre d'une troisième phase anticapitaliste ouvre dés lors l'ensemble vers une phase où les hommes deviendraient acteurs de leur propre histoire par la construction d'organes adaptés de contre pouvoirs, que ce soient des associations de quartiers, syndicats et ONG diverses, des comités de grèves d'usines, ou de villes et leurs coordinations à des échelles, pourquoi pas, transfrontalières. En effet, si la "révolution" s'invite à nouveau par la porte arabe dans les luttes et débats du mouvement ouvrier du vieux monde, la "classe ouvrière" et ses valeurs anticapitalistes, à défaut encore d'un véritable programme socialiste, ne peuvent que s'inviter, elles aussi, dans les questions d'une révolution arabe en train de se chercher du côté d'une communauté des "producteurs associés".

Le prolétariat et le communisme sont plus que jamais d'actualité

La situation pose à nouveau la question d'identités qui ne soient plus seulement locales ou même régionales mais planétaires. La mondialisation, l'internationalisation, le fantastique recouvrement du globe par l'industrie posent la question du prolétariat. Un prolétariat qui ne peut exister qu'en étant révolutionnaire et international. Les révolutions arabes, les "indignés" et les résistances ouvrières européennes convergeant vers un tout, ne seraient-elles pas le premier pas d'une renaissance de cette conscience prolétarienne révolutionnaire internationale ?

Après tout, Marx ne considérait-il pas que la Commune de Paris de 1871 était une révolution prolétarienne malgré la quasi absence d'ouvriers en son sein par la préfiguration des temps à venir qu'elle signifiait. Les évènements arabes seraient ce premier pas parce qu'ils révèlent l'urbanisation/industrialisation/mondialisation de la planète et ses conséquences.

Un monde en effet qui n'a jamais été aussi petit pour les capitaux, mais en même temps dont les structures politiques n'ont jamais autant être des entraves à la circulation des pauvres et des ouvriers. Dans bien des pays pauvres, les nations et les idéologies nationales, pourtant hier libératrices, sont devenues de vastes prisons physiques et idéologiques où le nouveau prolétariat mondial est condamné à survivre ou mourir. Plus de 22 millions d'arabes ont émigré ces dernières décennies, souvent dans les pays du Golfe mais aussi en Europe ou encore plus loin. Dans le désespoir qui frappe ces pays, il n'y avait qu'un échappatoire: fuir à l'étranger, y travailler, faire des études, partir, rêver d'un ailleurs meilleur. Mais les frontières européennes deviennent hermétiques et avec les conflits militaires, une bonne partie des émigrés dans les États du Golfe est revenue. Un enfermement qui n'a pas été pour rien dans les mouvements actuels et dit leur trajectoire à venir. Dans l'ancien Régime, les notables locaux européens ont servi pendant très longtemps d'intermédiaires dans les luttes entre les classes populaires et le pouvoir central. Le XIXème siècle a été le temps de la disparition progressive de ces intermédiaires au profit des fonctionnaires d’État nationaux. On peut se demander aujourd'hui, si on n'assiste pas à la disparition progressive du nouvel intermédiaire que sont les États nationaux dépendants, dont Ben Ali ou Moubarak sont les symboles, entre les soulèvements populaires et les vrais pouvoirs transnationaux du capitalisme.

La troisième phase dans laquelle entrent les révolutions arabes pourrait donner partout dans le monde, encore plus qu'au travers du pouvoir symbolique des "places" ou du pouvoir imaginatif des "indignés", le goût et l'envie d’expérimenter de nouvelles formes de vie, de déclarer de nouveaux droits, qu’il s’agisse vivre en harmonie avec la planète et les autres hommes sans aucune frontière, de socialiser les banques et de faire de l'argent un service public, de sortir du nucléaire ou de mettre en place un revenu universel garanti à tous. On imagine facilement la résonance mondiale (faut-il dire "raisonnance" ?) d'une telle troisième phase et combien, à travers elle, ces propositions jusqu’ici "utopiques" apparaîtront de plus en plus réalistes parce qu'elles sortent de l'impossible.

Il reste encore à traduire cette résonance internationale en politique consciente internationaliste. Il faudrait se demander comment, maintenant, avec les idées communistes on pourrait changer le monde, comment cette idée communiste et le mouvement social des exploités peuvent à nouveau habiter le mouvement féministe, le mouvement anti-raciste ou le sentiment national des peuples opprimés. Les chutes des dictateurs arabes, l'immaturité du mouvement des "indignés" comme des prolétaires, ont permis un instant derrière l'enthousiasme sur l'absence de leaders qui traduisait surtout l'absence de dirigeants en phase avec les aspirations de la période, le leadership du "socialisme" national des Karama, UGTT, FDG ou Syriza. Mais ce chapitre devrait se clore rapidement tout autant que celui des cultures identitaires sociétales et des théories qui les portaient.

Cependant, le mouvement socialiste révolutionnaire est lui-même en crise, incapable de prendre le tournant de la période, de sortir de ses vieilles habitudes propagandistes ou de suivisme critique, pour passer à une véritable politique indépendante s'adressant directement aux travailleurs en se faisant l'expression de leurs besoins, aspirations et conscience qui germent dans cette période. C'est pourquoi pour sortir complètement du cadre mental imposé par l'idéologie dominante, faudra-t-il probablement un catalyseur. Dans les années 1830-1840 en Europe, quand les espoirs levés par 1789 paraissaient avoir été trahis, les révolutionnaires découragés, il a fallu les Canuts voire juin 1848 ou plus tard la Commune pour que se cristallise une nouvelle prise de conscience mondiale. Dans le moment qui vient, la question est de savoir si on verra des soulèvements ouvriers d'une telle ampleur à nouveau capables d'activer l'imaginaire politique collectif pour faire revivre l'idéal communiste auprès des militants socialistes révolutionnaires et de nouvelles générations militantes, bref donner tout leur sens de premières étapes aux révolutions arabes. En Chine ?



[1] Formule empruntée à Sophie Wahnich en référence aux années 1789-1792 en France

[2] Les participations aux scrutins ont oscillé entre 45% et 50% pour les législatives dans les deux pays, pour tomber officiellement à 10% aux sénatoriales et 45% aux présidentielles en Égypte. Beaucoup moins en réalité probablement.

[3] Le 30/01/2012, une grosse manifestation contre le parlement accusait les Frères Musulmans et l'armée de collusion

[4] Nous avons décrit ces événements dans le détail sur le site en ligne de Carré Rouge.

[5] Jusque là, une campagne omniprésente dans les médias accusait l'égoïsme et le corporatisme des grèves ouvrières, présentées comme contre-révolutionnaires puisqu'affaiblissant soit-disant l'économie de la nouvelle Égypte

[6] Les vagues de grèves de l'année 2011 et du début 2012 ont largement dépassé en importance la précédente vague de 2006-2008 pourtant déjà la plus grande de l'histoire égyptienne.

[7] Une Union des Chômeurs Diplômés ( UDC) est née, très active, à l'origine de bien des manifestations, notamment les affrontements de Kef le 24 mai 2012 qui ont fait 15 blessés.

[8] Comme dans la plupart de ces mouvements de "villes", le siège de la délégation (préfecture) de Sakiet Sidi Youssef et la résidence du délégué ont été incendiés. La grève générale a touché tous les secteurs sauf les boulangeries et l’hôpital, paralysant de ce fait la vie économique et sociale de la région. En outre, la route reliant la ville au Kef a été bloquée comme le point de passage frontalier tuniso-algérien... et appel à la grève générale régionale le 4 juin.

[9] Dans une rencontre avec le nouveau syndicat indépendant égyptien à la mi-mai 2012, l'UGTT conseillait à son homologue de ne surtout pas faire de politique et de se cantonner à sa fonction purement économique

[10] On trouve comme justification à cela, le caractère spécifiquement "arabe", rentier, parasite, de l'économie Ben Aliste (mais il y a l'équivalent en Égypte ou à l'échelle du monde arabe), dont il suffirait d'éradiquer cet aspect avec toutes les forces vives sincèrement tunisiennes, patronales comme ouvrières, pour construire une véritable économie nationale forte: idéologie commune aux socialismes nationaux qu'ils soient staliniens, maoïstes ou nassériens.

[11] Attaques physiques également. Ainsi le 30 mai le Secrétaire général de l’Union régionale du travail de Bizerte était agressé physiquement par une bande de "salafistes" aux cris de: «vous avez saboté le pays avec vos grèves!»

[12] Moins toutefois que les intérêts de la dette que le gouvernement islamiste honore sans broncher

[13] Le Centre égyptien des droits sociaux et économiques a compté 284 grèves, coupures de routes, manifestations, sit-in et prises d’assaut de certains locaux et bureaux de responsables sur la période du 15 avril au 15 mai 2012

[14] La campagne électorale les a vu par exemple mener une campagne gratuite d'excision des femmes

[15] Tensions et fractures entre ceux qui veulent continuer à exercer des responsabilités politiques et ceux, plus engagés dans le mouvement social, qui souhaitent que la confrérie se cantonne à ses œuvres sociales.

[16] Ce qui est régulièrement démenti par les grèves, manifestations, émeutes qui ne cessent pas depuis septembre 2011

[17] les forces armée connaissent leurs premières crises. Après la quasi disparition de la police des rues, les conscrits de l'armée du ministère de l'intérieur (CSF) chargée de toutes les répressions, se sont mutinés le 6 mai 2012, à cause du mépris, des brutalités dont ils sont victimes de la part de leurs officiers

[18] 12 000 civils, y compris des enfants, ont été condamnés en 2011 par des tribunaux militaires

[19] Les révolutionnaires démocrates ont participé eux-mêmes jusqu'il y a peu à cette illusion en n'ayant cesse de réclamer un pouvoir civil élu, que seul, selon eux, un président rapidement élu et la constitution pourraient garantir.

[20] Des personnalités, écrivains ou artistes, ont dit toute leur méfiance. Le 25 mai, l'écrivain Khaled Al Khamissi écrivait dans Al masry al youm: "Les élections sont le plus souvent une technique anti-révolutionnaire, un procédé pour faire avorter les révolutions en imposant un système – sous prétexte de démocratie – basé sur la domination du capital. Qui peut réussir en effet dans cette farce appelée élections sans y investir des dizaines de millions de livres égyptiennes [...] L'espoir repose sur le mouvement social et révolutionnaire. Le changement viendra d'en bas... "

[21] Alexandrie, fief de l'islamisme, a très largement voté pour Sabbahi avec plus de 600 000 voix, mettant le candidat des Frères en 4ème position avec à peine plus de 260 000 et le candidat de l'armée en 5eme avec 210 000 seulement.

[22] L'effondrement salafiste s'est particulièrement vu à Imbaba, quartier populaire du Caire, leur fief passé à Sabbahi

[23] Une mutinerie en mai des conscrits des forces de répression contre leurs officiers montre un moral militaire atteint

[24] Ou encore Syriza ou le FDG