Sep - 9 - 2014

Depuis notre dernier article sur la situation en Ukraine-« La chute d’avion Malaysia Airlines – À qui cela profit-t-il? » (24/07/2014) [1] –un  peu plus d’un mois s’est écoulé. Cependant, non seulement beaucoup d’eau (et beaucoup de sang) a coulé sous les ponts. Aussi la situation en Ukraine a changé.

Il y a un mois, les médias occidentaux, non seulement se scandalisaient de l’avion tombé, mais ils proclamaient aussi la victoire des bons gars de Kiev sur les sombres zombies  de Moscou qui avaient pris le sud-est de l’Ukraine. Mais la réalité du monde n’est pas une série télévisée américaine de mauvaise qualité.

De l’Avion Malaysia Airlines on a cessé  de parler, quand les enquêtes ont visé ceux qui lui ont marqué la route au-dessus d’une zone de guerre. C’est-à-dire, les contrôleurs de Kiev.

Aussi il y a eu un prudent silence de radio pendant des semaines sur le cours même de la guerre. Ce silence s’est cassé il y a  quelques jours, pour reconnaître que les troupes de Kiev étaient en train de recevoir une raclée et se repliaient sur tout le front. Pas par hasard, dans le même temps,  les négociations à Kiev avec Moscou ont recommencé. Ils auraient été inutiles dans le cas d’une défaite des «pro russes ».

Les nouvelles négociations ont commencé à Minsk, capitale de la Biélorussie (ou Bélarus), dans une réunion de M. Poutine avec Poroshenko, le président du gouvernement de Kiev. Depuis lors, il y a un confus défilé des affirmations et démentis sur les accords et désaccords. A l’issue de cette édition, il est impossible de savoir avec certitude ce qui se passe vraiment, même elles  donnent l’impression d’avoir atteint une impasse… sans qui de toute façon ils aient été officiellement enterrés.

Ces désaccords sont multiples (et pas facile à trancher), parce que en plus  il y a ici – contre les simplifications intentionnées des médias – non  seulement deux côtés, mais trois ou (éventuellement) quatre.

On a, d’une part, le gouvernement de Kiev (qui répond également aux différentes pressions, tant des États-Unis que des autres puissances de l’UE). Officiellement, Kiev défend toujours  ses positions anti-fédératives et de centralisme absolu qui ne permet même pas d’élire par le vote populaire des gouverneurs des oblast (région, province).

 À l’autre extrême on a Poutine, qui, en principe veut  un accord qui lui laisse comme un champion des peuples russophones. Pour cela, il propose d’établir en Ukraine un fédéralisme qui donne plus de pouvoirs aux oblast. Dans le même temps, le Kremlin ne veut rien savoir avec l’incorporation à la Russie de «l’État Fédéral de Novorossiya (nouvelle Russie)», constituée par les rebelles de l’est ukrainienne. Cela signifierait incorporer dans la Russie une population en révolte, où ont été formé des milices diverses qui peuvent être incontrôlables, parmi elles une «Shajtorskaya Diviziya» (Division minière) des mineurs du charbon.

Au milieu on a les rebelles de l’est où il y aurait plusieurs positions. L’une, qui était sostenue au départ, d‘un large fédéralisme, y compris pour les relations  économiques et politiques avec l’extérieur. Mais l’autre, ce qui ce serait imposé en fin, c’est  de se séparer de l’Ukraine. De là, deux possibilités s’ouvriraient: rejoindre la Russie (comme la Crimée) ou survivre comme Novorossiya (nouvelle Russie), un État indépendant… au moins formellement.

L’indépendance comme Novorossiya semble être désormais la position officielle. Après les victoires militaires du mois d’août, elle a été ratifiée  dans une très répandue conférence de presse  par Aleksandr Zakharchenko, qui apparaît également comme chef militaire et chef de l’une des principales milices de Novorossiya,  la milice Oplot (Baluarte) :

« Je voudrais qu’il soit clair – a déclaré Zakharchenko -: qu’aujourd’hui aucune fédéralisation n’est possible. Tout a son temps. Nous avons demandé la fédéralisation il y a trois mois. Ensuite, nous avons demandé la permission de faire un référendum. Cette époque a passée; maintenant, nous voulons l’indépendance. »[2]

Directions nationalistes russes… avec « pronostic réservé »

Peu de temps après le triomphe de l’Euro-Maidan et le renversement du Président Yanukóvich une autre rébellion dans l’est de l’Ukraine a explosé. Ces deux rébellions, qui ont eu lieu sur le terrain d’une division régionale historique en Ukraine entre Orient et Occident, avaient depuis le début des caractéristiques différentes.

La rébellion de l’Euro-Maidan, centrée à Kiev et dans les oblast d’Ukraine occidentale, avait principalement comme protagonistes les secteurs des classes moyens, les employés, mes étudiants, etc.. Et, surtout, presque depuis le début, elle a également eu des directions politiques qui lui dirigée et contrôlée strictement: deux grands partis électoraux bourgeois (Batkivschina et Udar) et deux fortes groupes d’extrême droite  qui ont fourni la force militante (les fascistes de Svoboda et les néo-nazis de Pravy Sektor)

L’ultérieure rébellion orientale, par contre, avait quant à elle non seulement des acteurs sociaux beaucoup plus plébéiens, de classe ouvrière et des travailleurs. Au départ, elle n’avait pas des directions politiques du même poids que celles qui ont contrôlé le Euro-Maidan. Bien sûr, comme nous l’avons noté à l’époque, ces « vides » sont insoutenables. Inévitablement, quelqu’un les occupe. Ceux qui ont principalement occupé  ce vide, ce sont les différentes organisations (et mini-organisations) du nationalisme (et de l’ultranationalisme) russe, [3] qui existaient déjà d’un côté de la frontière et de l’autre, et qui se sont également renforcés par un afflux de combattants volontaires de la Russie et d’autres pays. Depuis lors, elles ont fait monter et descendre des figures et des dirigeants, tant par des sombres combats  internes que par des pressions de Moscou…

La propagande occidentale, dessine la caricature d’une « invasion militaire de la Russie », entre autres raisons pour justifier les défaites des troupes de Kiev. La vérité est différente et plus complexe. Comme le souligne le sociologue ukrainien V. Ishchenko, «…la propagande gouvernementale [de Kiev] insiste sur le fait que tout le mouvement [orientale] est dirigé par la Russie, mais c’est faux. » Bien sûr, parmi les russes qui sont venus en tant que volontaires il doit y en avoir des agents de l’État [russe]. Mais la plupart sont juste cela, des volontaires…»[4]

Toutefois, sans être des simples agents auxquels Poutine donne des ordres, Moscou a des forts moyens  de leur faire pression ; par exemple, l’expédition ostensible de l’aide humanitaire (comme les caravanes récentes de camions) et  probablement des armes légères et des munitions… bien que par rapport à cela tout indique que le rationnement est strict.

Mais, en même temps, les nationalistes panrusses qui ont pris la direction, ont aussi des moyens pour faire pression sur Poutine. Face à l’opinion publique en Russie, Poutine ne peut pas leur tourner complètement le dos.

Bien sûr, notre défense du droit à l’autodétermination des peuples de l’Est de l’Ukraine, ne peut pas  signifier le moindre soutien ou confiance  politique dans ces directions nationalistes, bien qu’ils se revendiquent «de la Révolution Française». Il  ne faut pas confondre une chose avec l’autre. C’est-à-dire, ni croire que ces directions sont progressives, parce qu’ils défendent une cause juste (comme le croient certains secteurs de la gauche),  ni délégitimer non plus cette cause juste à cause des éléments qui la dirigent maintenant (comme font d’autres secteurs).

Cela nous amène à la grande question: comment se régleront ces contradictions. C’est-à-dire, les possibilités de directions indépendantes et de classe qui se  forgent dans cette lutte et reprennent les extraordinaires traditions socialistes révolutionnaires des travailleurs de l’est de l’Ukraine. Cela semble bien loin, mais les besoins et les contradictions de classe  sont fortes.

En ce sens, le sociologue russe Boris Kagarlitsky, met en lumière «une radicalisation politique croissante au sein du mouvement. En août, a été publié une lettre ouverte des combattants de base des milices, qui demande la mise en place de la consigne de « républiques sociales «avec laquelle ont été proclamées les républiques de Donetsk et de Lougansk. Pour cela, ils exigent que les propriétés des oligarques soient nationalisées et des mesures en faveur des travailleurs soient prises. Le poste de président du Soviet Suprême a été pris par Boris Litvinov, un militant communiste qui a rompu avec la direction officielle de son parti. Il a publié une loi annulant la privatisation de la santé publique, avec des timides tentatives de la nationaliser «[5]

Dans le même temps, Kagarlitsky décrit l’immédiate réaction, dans la direction opposée, de Moscou. Sa réponse a été de faire pression pour révoquer les dirigeants qui ont « capitulé » ou se sont montés dans ces tendances « radicales », jusqu’à se mettre d’accord avec l’oligarque ukrainien Rinat Akhmetov pour qu’il agisse comme médiateur dans les négociations avec Kiev.

Déjà, ceux-ci et d’autres éléments de radicalisation qui souligne Kagarlitsky n’impliquent pas la constitution d’une alternative politique indépendante, loin de là. Mais ils  montrent que le processus n’est pas statique et que les pressions de Moscou n’ont pas réussi à faire taire les voix de ceux qui réclament des mesures radicales.

Un point particulièrement sensible pourrait être celui de la « propriété privée ». L’est est la région industrielle de l’Ukraine. Les oligarques, qu’ils soient de l’est ou de l’ouest, se sont alignés avec Kiev, pratiquement sans exception. Avec quelle excuse ne pas les exproprier? qu’est-ce qu’on va faire avec leurs entreprises? Les re-privatiser? Leur donner à la Russie? Ou les nationaliser pour que leurs travailleurs relancent la production, sous leur contrôle?

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[1]– Socialisme ou barbarie no 297.

[2] – Vidéo de la conférence de presse de Zakharchenko: https://www.youtube.com/watch?v=6ju29v1fh9c

[3]. Dans l’interview que nous avons commentée, pour se débarrasser de l’accusation d’être « fascistes russes » (symétriques aux fascistes ukrainiennes de Svoboda et le Pravy Sektor), Zakharchenko jure que ses principes sont ceux de la révolution française, « liberté, égalité, fraternité », etc, etc..

[4]-Volodymyr Ishchenko, « Ukraine’s Fractures », New Left Review n° 87, mai / juin 2014.

[5]-Boris Kagarlitsky «Eastern Ukraine people’s republics between militias and oligarchs», Links, 18/08/2014.

Par Claudio Testa, journal Socialisme ou Barbarie N°303, 04/09/2014

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