Sep - 28 - 2014

La situation du pays n’est pas encore claire. Le sentiment que plus tôt que tard une nouvelle dévaluation s’approche, s’accroit de plus en plus. Le gouvernement tente de gérer la crise en se donnant des instruments «administratifs» (changement de juridiction pour les paiements de la dette, «loi sur l’approvisionnement», nouvelles lignes de crédit), mais le manque de devises ne peut pas se résoudre de cette façon. Il attend que la Cour d’appel de New York circonscrive la décision du juge Griesa seulement aux obligations émises dans le cadre de cette juridiction (12.000 millions de dollars), en limitant ainsi le caractère du  « défaut de paiements »

Avec une nouvelle dévaluation à l’horizon

La dynamique du pays en ce moment est marquée par les hauts et les bas du dollar «blue»[1]. Plusieurs peuvent être les facteurs qui déterminent une conjoncture: une crise politique, une affaire de corruption, l’économie comme telle, une grande lutte de la classe ouvrière, ou n’importe quoi. Bien sûr, chaque grande crise a ses fondements ultimes dans l’économie, mais celle-ci n’est pas toujours l’élément déclencheur des crises.

Mais ceci n’est pas le cas actuel: aujourd’hui toute la situation actuelle est marquée par l’économie, plus précisément, par l’évolution du taux de change. Le dollar «blue» est arrivé mercredi à 14,75 $, tandis que l’officiel se maintient à $ 8,40. En même temps, le dollar payé aux producteurs de soja se promène aux alentours de  $ 5,45 (moins les déductions), raison pour laquelle ils liquident leur récolte au compte-gouttes. Si l’écart avec le «blue» est de 75%, l’écart avec le soi-disant «dollar soja» est déjà stellaire: ¡170%!

Ces simples chiffres sont un signe de la direction des expectatives inflationnistes: bien à la hausse! Le fait est que maintenir les prix en termes réels dans un pays comme l’Argentine, signifie de les maintenir en dollars. Mais comment pourrait-on maintenir sa valeur en devises si l’on n’augmente pas les prix en pesos pour combler l’écart avec le seul dollar qui est vraiment de «libre disponibilité», le dollar «blue»?

Voilà pourquoi les expectatives inflationnistes ne cessent de croître; plus précisément, pourquoi les prix ne cessent de le faire. Même les prix qui sont autorisés par le  propre gouvernement comme celui de l’essence, ou de la lumière et du gaz (avec la suppression des subventions), qui intègrent un ajustement économique que le gouvernement, loin de arrêter, dans le cadre de son renouvelé discours «progressiste» anti-vautours[2],  est en train de renforcer.

La combinaison de l’envolée du dollar couplée avec la hausse de l’inflation (que pour le mois d’Août a atteint 30% par rapport à Janvier dernier) est ce qui est en train de mettre à l’ordre du jour et de façon inévitable, une nouvelle dévaluation générale. Les analystes économiques disent, à tous effets pratiques, que l’écart de début d’année (c’est-à-dire, l’augmentation du dollar officiel impulsé par le gouvernement pour « rattraper » le prix du dollar blue) a déjà été dépassé par l’inflation. La combinaison donc de la hausse du dollar et de l’inflation font que la seule discussion réelle en ce moment, c’est quand la dévaluation va se produire, et non pas si celle-ci aura lieu.

Le lecteur peut se demander si ce cours est inévitable. Il y aurait une possibilité de que ceci n’arrive pas: que le gouvernement obtienne un tas de dollars frais pour « combattre » la cotisation du dollar « blue » en renforçant les réserves de la Banque Centrale.

Une telle idée était celle que le gouvernement avait pendant la première moitié de l’année quand, lors de la signature du contrat avec Repsol, après le paiement des dettes du CIRDI( Centre international de règlement des différends sur l’investissement) et en accordant avec le Club de Paris, c’est-à-dire, en payant dette après dette, il avait l’espoir de revenir aux si attendus « marchés internationaux » afin d’obtenir le financement qu’il ne peut pas générer de manière propre (par exemple par le biais d’un important excédent commercial, qui est en train de se détériorer depuis des années ).

Non seulement le gouvernement national pensait à commencer à s’endetter internationalement; les gouvernements provinciaux voulaient faire la même chose afin de pouvoir soigner leurs comptes. Avec la lutte contre les «vautours» sans résolution, cette possibilité a été fermée jusqu’à nouvel ordre.

L’impossibilité de gérer une crise sans argent dans les poches

C’est dans ce contexte que les nouvelles mesures «administratives» du gouvernement rentrent en scène. Il s’agit d’une tentative tardive d’arbitrage de l’économie nationale dont la non-viabilité vient du fait qu’il n’existe pas une telle possibilité avec les poches vides. Le gouvernement est en manque de devises et, dans ce sens, d’une véritable ressource pour freiner la hausse de l’inflation. Une hausse qui ne s’arrête pas malgré le climat de récession dans l’économie car la chute de celle-ci á un rythme plus lent que la hausse du dollar.

En manque de dollars, vinrent les essais d’administration des prix. En effet, la patronale fit tout un scandale autour de la nouvelle loi de l’approvisionnement, beaucoup plus bénigne que celle de 1974 (qui incluait des peines d’emprisonnement), qui d’ailleurs ne s’est appliqué jamais. Pendant l’apogée de Guillermo Moreno, on a utilisé toujours des politiques “ rigides” pour réguler les prix, mais jamais de vrais mesures efficaces ou en s’appuyant sur des mesures légales.

Dans cette occasion, le gouvernement ne semble non plus prendre ce chemin. Il s’agit seulement de voter une loi qui fonctionne comme un avertissement pour pouvoir mieux négocier avec les hommes d’affaires, rien de plus que cela. Et ceci jusqu’à ce qu’ils réussissent à parvenir à un accord avec les vautours.

Dans cette ligne se sont déroulées les négociations avec les multinationales de l’automobile. Enfin on est arrivé à une sorte d’accord « volontaire » (bien que celui-ci sera évalué cas par cas avec chaque entreprise) dans le sens de produire des modèles pour le plan Pro.Cre.Auto, en privilégiant en même temps l’importation de pièces pour la production de voitures nationales, en limitant l’importation de voitures déjà finies.

Au niveau international, le gouvernement a obtenu la semaine dernière une résolution de condamnation des « vautours » à l’ONU, et Cristina se réunira déjeuner avec le pape Francisco quatre jours avant son discours à la Chambre des Nations Unies à New York ; il s’agit d’efforts pour obtenir des soutiens politiques et diplomatiques dans les querelles avec les vautours (une partie de cela est le combat récent de Timmerman avec le Chargé d’affaires des États-Unis dans notre pays, qui a dit que tout serait résolu si le gouvernement paierait les vautours).

Que les vautours sont mauvais il n’y a aucune doute. Mais le gouvernement a besoin de dollars pour éviter qu’une nouvelle dévaluation s’impose plus tôt que tard (ou, même, une grave crise politique) ; voilà la limite de l’arbitrage qu’il essaie de mettre en place.

Vers une crise de gouvernance?

Par en bas la situation se détériore chaque jour qui passe. La récession frappe toujours plus fort. S’ils seraient arrivé à une entente avec les vautours qui calmasse l’horizon économique, sûrement cela aurait fonctionné comme un élément pour amortir la crise et pour relancer l’économie, ceci au-delà du fait que la scène économique internationale favorise de moins en moins des pays émergentes comme le nôtre (les matières premières ont tendance à tomber par le ralentissement de la Chine et le renforcement du dollar, entre autres raisons ; le crédit international tend à se limiter vue de la tendance à l’augmentation des taux d’intérêt).

Mais ceci n’est pas arrivé, mais bien au contraire : la récession s’aggrave malgré les plans du gouvernement. Cette crise  s’exprime dans l’augmentation du chômage technique et même maintenant plus ouvertement, des licenciements. Pas par coïncidence, l’inquiétude concernant la situation dans l’industrie et, surtout, dans l’industrie automobile, est revenu au premier plan des journaux ces derniers jours.

Encore plus si une nouvelle dévaluation arrive. C’est un fait que, avec les récentes négociations salariales, on a perdu autour du 20 % du salaire de l’année dernière. Que se passera-t-il maintenant si une nouvelle dévaluation est à venir ? Un événement de ce type devrait multiplier les pressions sur les salaires réels et soulever la question de la réouverture générale des négociations salariales bien avant leur expiration formelle qui arrivera dans au moins six mois, voire plus.

Une dévaluation de la monnaie poserait une crise générale, surement plus grave que celle de janvier dernier (ce serait déjà plus grave même par mois où cela s’est produit ; ce n’est pas pareil de dévaluer pendant les vacances d’été que durant l’année de travail ; cela au-delà du fait que la détérioration économique aujourd’hui est supérieur qu’au début de l’année).

Une crise non seulement économique mais politique marquée par la possibilité de problèmes en matière de gouvernance. Ce n’est pas par hasard si Cristina a dénoncé que l’on parle « de possibles pillage pour décembre » en se prévenant et en appelant – indirectement – tout le monde entrepreneur, syndical et politique à serrer les rangs derrière la gouvernance.

Une autre question est comment est le climat de lutte par le bas. La grève générale du 28 août a été réussie, énergique, mais cependant beaucoup plus froide que celle du 10 avril dernier. Dans le même temps, la vague de dures luttes d’avant-garde marquées par des grèves historiques comme à Gestamp et Lear n’a pas amené à des victoires, bien que si elles se caractérisent par avoir donné des riches enseignements et ils se poursuivent dans un autre plan.

Dans le même temps, alors qu’on parle d’une éventuelle « explosion sociale » en décembre, les bureaucrates syndicaux ne veulent pas prendre des décisions sur les étapes à suivre. Ils sont un facteur de stabilité, il n’y a aucun doute de cela. C’est pourquoi ils se déplaceront avec « pieds de plomb »: ils disent attendre jusqu’à la première semaine d’octobre pour organiser une plénière de secrétaires généraux des syndicats où l’on définirait les étapes à suivre. Mais il est probable que cette nouvelle « étape » ne soit pas une nouvelle grève générale (Schmid, porte-parole de Morano, a déclaré que «on ne peut pas faire des grèves tous les jours »), mais une nouvelle mobilisation droitière contre la délinquance…

Dans tous les cas, une chose est certaine : c’est possible qu’il y ait plus de peur du chômage que dans les années précédentes et que cela fera les travailleurs réfléchir deux fois  avant d’entamer des luttes. Mais si une nouvelle dévaluation arrive, si celle-ci pulvérise les salaires réels(comme c’est inévitable), la mobilisation sociale connaîtra une hausse importante ; il ne semble pas plausible que les travailleurs se laissent piller leurs salaires sans donner bagarre, de la même façon qu’ils n’ont pas laissé passer le chômage technique et les licenciements impunément; de là les petites et grandes batailles en matière d’emploi que nous avons vécu ces derniers mois et qui ont donné tant de maux de tête à Cristina et à Pignanelli (bureaucrate du syndicat de l’automobile) et qui continueront sûrement de leur en donner.

Construire un grand rencontré nationale du syndicalisme combatif

C’est dans cette conjoncture de probable renforcement de la crise que la gauche doit donner une réponse. Dans une note séparée, nous décrivons le vrai scandale du FIT qui a voté de manière alignée avec le reste de l’opposition bourgeoise contre la Loi du changement de lieu de la dette pilotée impulsée par le gouvernement. Il est évident que c’est une loi, en tout cas, qui a pour objectif de payer la dette. Mais il est également évident que voter aligné avec l’opposition bourgeoise caractérisée par la position pro-impérialiste de payer la dette coûte que coûte, semble être une erreur de grandeur : le vote le plus grave qui a effectué le FIT dans l’enceinte parlementaire dans l’année.

À notre avis il y avait une autre façon de s’opposer, autant au gouvernement qu’a l’opposition patronale: par exemple, en s’abstenant de voter, ou en quittant le parlement. Il y avait, en outre, d’autres blocs qui se sont abstenus (le centre-gauche Lozano). Mais en ne faisant pas cela (bien que les arguments du FIT étaient évidemment différents de ceux de l’opposition bourgeoise), ils sont restés dans le même «bloc» avec le dissident PJ, UCR, PRO, PS[3] et autres partis d’opposition, alors qu’il y avait d’autres options tactiques pour faire valoir une plus grande indépendance de tous les champs bourgeois.

Ainsi les choses, et en lien avec la lutte contre l’austérité (qui est toujours le centre de combats quotidiens), nous devons aussi être vigilants sur la question de la dette et lever haut les drapeaux du non payement de celle-ci, en surmontant les déviations opportunistes comme le vote du FIT que nous venons de souligner, ou des revendications comme le plébiscite qui sont non seulement complètement erronés, mais n’ont pas de place lorsque les faits marquent des choix en temps réel: payer quoi qu’il en arrive (la position de l’opposition bourgeoise), payer mais en négociant (la position des Kirchner), ou ne pas payer (la position qui devrait être celle de la gauche indépendante).

Enfin, à cette heure encore traite quelle initiative prendra la gauche face à l’aggravation de la crise. Notre parti vient de participer à une mobilisation pour la défense des délégués de la ligne de train Sarmiento, auxquels le gouvernement a ouvert un procès pénal pour leur participation à la grève nationale. Plus généralement, la persécution des délégués et militants indépendants (comme c’est le cas maintenant dans Lear), ainsi que la lutte pour la réintégration des collègues licenciés (Gestamp, Lear et autres plantes), est toujours au sommet de l’agenda de la gauche, dans le cadre d’un programme de lutte contre l’austérité, le chômage technique et les licenciements, pour apporter du soutien à chaque combat ». Allons donc vers une grande rencontre unifiée du syndicalisme combatif qui aide à préparer l’avant-garde ouvrière, étudiante militante pour les nouveaux rebondissements dans la crise qui semblent être dans l’horizon. La réunion qui vient de réaliser la Direction Provisoire du Rencontre d’Atlanta avec des camarades de Lear semble aller dans ce sens.

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[1] Nom que l’on donne au dollar qui s’achète dans le marché noir, vu les restrictions à l’achat imposés par le gouvernement : tandis que dollar « officiel » cotise à 9 pesos, le dollar blue est monté jusqu’à 15 pesos.

[2] Du nom donné aux « hold-outs » qui querellent l’Argentine autour de la dette : les fonds vautours.

[3] Partis bourgeois historique de l’Argentine.

Éditoriale Journal Socialisme ou Barbarie N°305, 18/09/2014

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