Dic - 16 - 2014

À la fin de novembre dernier, nous signalions  que  « les États-Unis vivent une vague de protestations et mobilisations antiracistes comme on n’a pas vu depuis des décennies. Les raisons ne manquent pas. Un « grand jury » a décidé que Darren Wilson, le policier raciste blanc qui à Ferguson, État de Missouri, a tué le jeune homme noir Michael Brown  alors qu’il levait les bras montrant qu’il était désarmé ne sera pas inculpé. … Ainsi, la justice états-unienne a confirmé la règle d’impunité qui couvre à la police et aux organes répressifs de l’état  (et également aux gardes  de  « sécurité » privés), quand il s’agit d’assassiner un noir ou un latino qu’ils trouvent « suspect », même s’il n’y a aucun fait, comme une attaque, une arme à feu ou tout autre élément matériel qui confirme cette  « impression » subjective. » (Socialisme ou Barbarie no 315, 27/11/2014)

En outre, nous avons prévu que l’acquittement scandaleux du flic assassin Darren Wilson stimulerait la brutalité policière-raciste, convaincue d’avoir garanties de totale impunité pour n’importe quel  crime qu’elle voudrait commettre. Mais nous avons également remarqué que l’indignation que cela provoquait pourrait générer  un large mouvement, qui se  poursuivît au-delà des manifestations ponctuelles par le cas de Michael Brown.

La massivité et l’impact de ces protestations permettaient de penser que dans les profondeurs de la société américaine pourraient être en train de se développer divers facteurs et des matières explosives similaires à ceux qu’au siècle dernier ont fait exploser le grand mouvement pour les droits civils, qui ne se réduisait pas au réformisme de Martin Luther King, mais qui a également vu naître des forts secteurs combatifs et indépendants comme les Black Panthers ou Malcolm X.

Les derniers jours semblent ratifier ces possibilités. Des nouvelles mobilisations et protestations des afro-américains et des secteurs antiracistes, se sont succédé «d’un bout à l’autre du pays » de New York à la Californie. Elles ont été motivées non seulement par l’assassinat impuni de Michael Brown, mais pour des nouveaux crimes et d’autres affronts.

New York – Nouvel acquittement du policier assassin  génère des protestations dans tout le pays

Pas dans le petit village de Ferguson, mais à New York, « vitrail » mondial des États-Unis, a eu lieu un autre  procès à un policier tueur de noirs, Daniel Pantaleo, qui bien sûr a été acquitté…

Cette fois la chose est encore plus choquante, si c’est possible. Contrairement au crime de Ferguson, il a été enregistré dans une vidéo comment Pantaleo étranglé le jeune afro-américain Eric Garner, à Staten Island, New York. On entend Garner, désespéré, crier « Je ne peux pas respirer! Je ne peux pas respirer! », tandis que d’autres policiers, en riant, collaboraient à l’assassinat en attachant Garner. Cette vidéo a fait le tour du monde.  Il a été regardé non seulement dans les réseaux sociaux, mais aussi dans une grande partie de journaux télévisés. Le seul endroit  où ils n’étaient pas  au courant, il semble, a été dans le grand jury qui a libéré Pantaleo.

Quel crime avait commis Garner? Père de six enfants et chômeur, Garner gagnait sa vie dans les rues en vendant des cigarettes, donc sans payer des impôts… Le 17 juillet dernier, un groupe de policiers dirigé par Pantaleo lui a arrêté pour ce  « crime très grave ». Garner a protesté, et ils l’ont étranglé…

Il y a quelques jours, un autre grand jury, dans le style de Ferguson, a décidé de ne pas imputer au policier étrangleur Daniel Pantaleo. Et ses assistants dans le meurtre n’ont même pas été jugés!

Cette moquerie judiciaire, cette infamie raciste, s’est produite en plus à New York et pas dans un petit village perdu dans la carte du Middle West, comme Ferguson. Ainsi il a jeté plusieurs tonnes de carburant au feu. Les protestations se sont multipliées, cette fois avec une plus grande extension nationale et avec l’épicentre à New York. Les manifestants ont réussi à bloquer des parties de la ville, comme le pont de Brooklyn, le Lincoln Tunnel, le Side Highway et la Sixth Avenue autour du Rockefeller Center, où se déroulait la cérémonie d’allumage du sapin de Noël.

Après Ferguson, dans les mêmes jours de l’acquittement scandaleux de l’étrangleur, autres crimes racistes ont provoqué des protestations mineures mais significatives. Ils indiquent que ces crimes ne passent plus sous silence.

Le samedi 6 dernier a eu lieu l’enterrement de Akai Gurley, 28 ans, citoyen noir tué il y a quelques semaines par un policier blanc à Brooklyn, alors qu’il était totalement innocent, comme l’a définitivement admis le chef de la police de New York. Des centaines de personnes étaient à son enterrement et celui-ci est devenu encore une manifestation, qui a eu à la tête le cinéaste Spike Lee, biographe de Malcolm X, et des dirigeants des mouvements noirs.

Le jeudi précédant, un officier de police de Phoenix a tué un noir désarmé, Rumain Brisbon. La justification a été celle de toujours: « l’agent a cru qu’il avait une arme à feu ». Mais cette fois, le fait a provoqué que centaines de manifestants protestent contre le massacre avec des mobilisations et blocages.

Les protestations et mobilisations ont atteint la Californie, un endroit qui était le centre des mouvements de lutte du siècle dernier et de la gauche, l’UCB, Université de California Berkeley.

En novembre, sous le prétexte de l’Halloween, un groupe a accroché un mannequin représentant le lynchage d’un noir. Cette provocation raciste et les événements de Ferguson et New York ont fait réagir les activistes de l’UCB.

Le 4 décembre plus de 200 membres du Black Student Union (BSU) ont bloqué une des principales salles à manger à l’Université, avec le slogan « personne ne va manger aujourd’hui, quand on a une faim de justice ». D’autres nombreux blocages d’étudiants latinos, asiatiques et blancs les ont rejoints pour les soutenir.

La situation et les perspectives de la continuité de la lutte

Dans un précédent article sur les manifestations extraordinaires dans le cas de Ferguson, nous nous demandions: « Vers un grand mouvement? »Au XXIe siècle, sera réédité  aux États-Unis, la terre du racisme par excellence, un grand mouvement comme celui de la communauté afro-américaine au siècle dernier? Un mouvement qui maintenant pourrait  se combiner avec les autres, pas moins discriminés, les latinos?

Il est encore trop tôt pour donner une réponse à cette question. Mais nous devons observer, que les protestations et manifestations n’ont pas fini avec Ferguson ni se sont limitées à cette affaire. Il y a eu une tendance à la continuité, mais toujours « désorganisée ».

Il est vrai que cela a été renforcé par les autres épisodes de la barbarie raciste, comme le scandale de l’étranglement impuni du vendeur ambulant Eric Garner. Mais il y a quelque temps, ces choses passaient sans impact majeur, presque tous les jours. De même que des faits comme le meurtre de Ferguson. Il semble qu’il y a un changement d’humeur pour que ces événements courants soient maintenant résonnants.

Notons en même temps que, jusqu’à présent, les politiciens bourgeois américains ne prennent pas au sérieux le problème. Les politiciens du régime, qu’ils soient républicains ou démocrates, ne prennent  aucune mesure de fond pour décompresser la situation, comme par exemple des dispositions fortes pour punir le racisme de la police.

La grande majorité des républicains sont racistes, ouverts ou déguisés, élus par le biais de manœuvres destinées à exclure des listes électorales les noirs et latinos. De leur côté, les dirigeants démocrates, dirigés par le premier président noir des États-Unis, sont non moins honteux. Ils se vantent d’être antiracistes, mais ils soutiennent ou tolèrent ces policiers assassins. Ainsi, le gouverneur du Missouri, où se situe Ferguson, est un démocrate, mais il n’a pas bougé un doigt à cet égard. Même les démocrates les plus « libéraux », comme le maire de New York Bill de Blasio, marié à une femme de couleur, ne proposent que quelques réformes cosmétiques en ce qui concerne la police et ses procédures criminelles.

Dans le même temps, cela se produit dans le cadre d’un profond malaise de larges secteurs de la société américaine. Comme l’on a déjà dit lors des récentes élections, la grande masse des travailleurs, même ceux faussement classifiés comme « classes moyennes » prennent conscience des pertes structurelles graves qu’a amenées la crise (que l’establishment veut leur vendre comme « résolue »). En tout – salaires, emploi, conditions de travail, logement, santé, etc. – ils ont chuté. Et les « ascenseurs » de la vieille « mobilité sociale » aux États-Unis ne fonctionnent presque plus. Le «Rêve Américain » est fini!

Pour la communauté noire, c’est pire encore. Cela signifie qu’il n’y a aucun espoir que réapparaissent les possibilités qui, au siècle dernier, ont permis aux Obama et aux Condoleezzas, ainsi qu’à une minorité, de sortir du ghetto.

En synthèse, la communauté noire est face à l’impérative de se lever et de rééditer ses luttes du siècle dernier. L’autre alternative est une descente aux enfers, dans le cadre d’un capitalisme impérialiste en déclin qui seulement peut garantir qu’il sera de plus en plus pire.

Par Rafael Salinas, 27/11/14

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