Ene - 6 - 2015

“(…) l’effondrement du stalinisme en Europe de l’Est et l’ex-Union soviétique a signifié la fin de son joug historique sur la classe ouvrière, et que celle-ci ait enfin la possibilité de se reconstruire ou de mener une refondation d’elle-même sur de nouvelles bases, socialistes et révolutionnaires. Le défi est, alors, non pas de tomber dans le défaitisme, mais de reformuler un projet révolutionnaire qui, s’appuyant sur la prémisse marxiste que « la libération des travailleurs doit être de l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », soit à la hauteur des besoins et mette notre courant sur une nouvelle perspective stratégique » «(Construir otro futuro, 2000).

Quand les médias à la longueur et la largeur du monde ressortent encore une fois leurs vieux « discours de la victoire » de la fin de la Guerre Froide, il est important d’apporter quelques précisions.

En premier lieu, ce qui est tombé n’est pas « le communisme » ni « le socialisme ». Marx (et Lénine et Trotsky) définissaient le communisme ou le socialisme comme une phase de l’histoire dans laquelle l’humanité a déjà réussie à abolir les classes sociales et l’appareil oppressif de l’État. Ceci sur la base d’une maximale expansion du bien-être matériel et culturel de tous les individus, associé à la fois au plus grand progrès technique (qui permet d’abolir l’effort du travail et de conquérir le maximum temps libre possible). C’est la société qui doit prendre les affaires publiques dans ses mains.

Il est clair que l’humanité n’a jamais atteint ce stade, même pas une partie de celle-ci. Ceci, au-delà du fait que l’expropriation des capitalistes dans un tiers du globe a ouvert une possibilité historique d’émancipation que la classe ouvrière n’a pas pu saisir dans sa première vague au cours du siècle dernier.

Deuxièmement, ce qui est tombé n’étaient pas des « États ouvrières » ou, encore moins, des « dictatures du prolétariat ». La classe ouvrière de l’Europe  de l’Est et de la Rusie n’avait même pas un milligramme de pouvoir politique. Dans le cas de la classe ouvrière russe, depuis les années 1930 avec ses purges sanglantes, symbolisées par les  « Procès de Moscou ». Nous pouvons discuter à quelle date cela remonte, ainsi que rappeler que dans les pays de l’Europe de l’est (où  les capitalistes ont été exproprié après  la Seconde Guerre Mondiale) la classe ouvrière n’a jamais eu le pouvoir.

Le pouvoir était entre les mains d’une caste de bureaucrates qui vivaient comme des privilégiés. La classe ouvrière n’a pas cessé d’être exploitée économiquement, mais par le biais de rapports et des mécanismes différents que sous le capitalisme. La bourgeoisie avait été expropriée, une conquête énorme. Mais les moyens de production ne sont pas tombés sous le contrôle des travailleurs. Cela a donné lieu aux privilèges croissants de la bureaucratie. Les inégalités sociales et culturelles entre le travailleur et le bureaucrate grandissaient; Christian Rakovsky a expliqué cela dans un texte aussi initial que brillant: « Lorsqu’une classe sociale prend le pouvoir, c’est une partie de celle-ci qui devient son agent. C’est ainsi que la bureaucratie émerge. Dans un Etat socialiste où l’accumulation capitaliste est interdite aux membres du parti au pouvoir, la différenciation qui commence par être fonctionnel devient sociale » (Les dangers professionnels du pouvoir). Ce texte, écrit à la fin des années 1920, présenterait une grande partie des tendances qui se seraient évidentes dans l’Union Soviétique dans les années suivantes et qui conduiraient à un stade très différent au socialisme.

Suivant les traces de son grand ami, León Trotsky a écrit La révolution trahie, un autre texte brillant qui, pour la première fois dans le monde traitait globalement le phénomène imprévu de la bureaucratisation de la plus grande révolution ouvrière dans l’histoire.

En tout cas, si sur un aspect ces régimes étaient supérieurs aux occidentaux, c’était dans le fait que la propriété était étatisée. Cela a permis utiliser une partie des ressources socialement produits pour éviter qu’un secteur considérable de la population tombe au-dessous du seuil de pauvreté, en même temps qu’élargir les assurances sociales à la population toute entière et développer, de manière planifiée, les forces productives de la société (planification qui, de toute façon, en restant entre les mains de la bureaucratie, serait transformée en source d’accumulation bureaucratique et de nouvelles formes d’irrationalité économique). Dans le même temps, cela imposait de fortes pressions aux États occidentaux pour ’qu’ils fassent la même chose, ce qui a été la base objective des « Etats-Providence » capitalistes.

De toute façon, ce qui est tombé dans l’année 89 a été un ensemble de régimes bureaucratiques, la plupart desquels avaient été imposés d’en haut par une Armée Rouge trop bureaucratisé après la Seconde Guerre Mondiale (avec la circonstance aggravante de se constituer sur l’oppression des nationalités non russes). Aucun d’entre eux n’avait un soutien majoritaire de la population, et encore moins un soutien actif ou prépondérant. Seulement dans l’URSS, le régime avait été le fruit d’une révolution ouvrière et populaire authentique et même dans ce cas celle-ci avait été usurpé il y a beaucoup de temps par la bureaucratie.

C’est pourquoi dans les pays du Glacis (Europe de l’Est), la classe ouvrière non seulement n’a pas défendu les « murs de Berlin » mais a été partie actif de la chute de ces régimes qu’il ne considérait pas comme propres, mais plutôt hostiles; il s’agissait, ainsi, d’un mobilisation subjectivement immature, mais énormément progressive.

Le mur de Berlin lui-même était une atrocité qui artificiellement a séparé une nation, divisant des familles et des groupes sociaux. Ni d’un côté du mur ni de l’autre, les travailleurs et le peuple ont été consultés sur la division de l’Allemagne. Tant en Allemagne de l’est, qu’en Hongrie et Tchécoslovaquie les tanks soviétiques avaient réprimé des mouvements nationaux, sociaux et démocratiques des masses ouvrières et d’étudiantes dans les décennies précédentes.

Les conditions d’oppression qui régnaient à l’Est, combinées à une dégradation déjà perceptible et une détérioration du niveau de vie, ont fait exploser une mobilisation démocratique populaire de masses, qui a démoli le mur de Berlin, mais aussi tous ces régimes dictatoriaux, tant dans les pays d’Europe orientale que dans l’ex-Union soviétique.

Cette effondrement de la bureaucratie stalinienne (ou post-stalinienne) fut un triomphe démocratique. Mais l’absence d’une alternative socialiste réelle, la non-appréciation de la propriété de l’État comme une conquête (parce ce n’étaient pas les travailleurs eux-mêmes ceux qui  l’administraient et en profitaient!), l’absence de libertés démocratiques fondamentales, ainsi que le miroir de la  « prospérité » de l’Ouest, ont fait que ces processus aient été facilement conduits vers le retour au capitalisme:  « alors que les  « ossis »- comme on appelait ceux qui vivaient en Allemagne de l’Est- conduisaient ses rudimentaires Trabant, s’habillaient avec des vêtements tristes et de mauvaise qualité et buvaient des sodas sans marque, ses voisins, les « wessis »,  consommaient Pepsi, utilisaient des jeans de Levi’s et conduisaient des BMW »(Luis Corradini, La Nación, 6 novembre 2014).

Les mêmes ex bureaucraties des « républiques soviétiques » ont travaillé pour le retour du capitalisme et de la propriété privée lorsqu’ils ont évalué qu’il était nécessaire de changer le cap comme produit de la catastrophe économique et le rejet croissant des différentes nationalités à l’oppression de l’ex-Union soviétique.

Le capitalisme a été restauré par une oligarchie qui a voulu se transformer de « propriétaire de l’Etat » (« la bureaucratie a l’État comme son propriété, » disait Marx en paraphrasant Hegel) en propriétaire directe des entreprises capitalistes et a voulu le faire sur la base d’une  « thérapie de choc » que les neo-libéraux ont recommandé pour écraser rapidement la résistance populaire. En tout cas, pour la classe ouvrière et la jeunesse des « démocraties populaires », il n’y avait d’autre alternative parce qu’aucune autre issue à la crise ne semblait possible. Ce vide d’alternatives est ce qui a caractérisé la restauration capitaliste et qui a imprégné tout un periode historique marquant les limites d’une conscience populaire qui n’était plus forgée dans la lutte contre le capitalisme, mais qui a dû le faire dans la lutte contre le « Etat socialiste » (un autre aigu signalement anticipatoire de Rakovsky).

Le 89 a signifié alors la cristallisation – ou le saute en qualité – d’une situation historique: l’épuisement irréversible du stalinisme et des régimes bureaucratiques, tant dans ses aspects économiques que politiques, sociales et culturels. Une vague de révoltes populaires a balayé les pays d’Europe orientale: aucun des régimes renversées n’étaient déféndables, ni capables de se soutenir historiquement. On peut dire la même chose du régime de  l’URSS, qui tombera deux ans plus tard.

Si cela a signifié en même temps, une victoire pour le capitalisme, cela a été à la suite d’événements antérieurs qui avaient existé depuis longtemps: la défaite de la classe ouvrière russe se remonte aux années 30. Et elle a une sorte d’effet retard comme le mécanisme d’une bombe à retardement: une défaite qui est devenue visible, par son ampleur dramatique, seulement un demi-siècle plus tard. Quelque chose de similaire est arrivée avec les classes laborieuses de l’est: Berlin 1953, Hongrie 1956, Tchécoslovaquie 1967 et Pologne 1980 ont été les dates dans lesquelles le prolétariat s’est levé contre l’oppression bureaucratique et a été vaincu par les chars staliniens. Cela a empêché la maturation d’une alternative à gauche, de la classe ouvrière, ce qui se combinait avec le phénomène, déjà signalé, que l’étatisation des moyens de production n’était pas perçue (parce qu’elle ne l’était pas!) comme propre.

Une véritable crise d’alternatives s’est ouverte, crise qui dure jusqu’à nos jours. Parce que si à long terme la chute du stalinisme a été un phénomène émancipateur, à court et à moyen terme elle a été instrumentalisée par le capitalisme comme un triomphe sur les perspectives historiques de la classe ouvrière, la perspective de la mise en place d’un autre système social. L’histoire a semblé ainsi « conclure ». Et cependant, les effets simultanés de la crise économique capitaliste et la crise d’hégémonie états-unienne, ainsi que les révoltes populaires que l’on vit, mettent les choses sur un nouveau terrain: celui d’un redémarrage de l’expérience historique des exploités et des opprimés.

Dans sa couverture de l’anniversaire de la chute du mur, Luisa Corradini donne une définition très aigue de l’époque actuelle: elle parle des « promesses non tenues de l’aube nouvelle », qui soi-disant  la chute du mur aurait signifié, ajoutant: « Un quart de siècle plus tard nulle besoin d’être un idéologue de gauche ou de droite pour reconnaître que le monde occidental a de graves problèmes ».

Cette chute n’a pas non plus impliqué une amélioration dans les conditions de vie des masses dans ces pays. Ou du moins pas catégorique et homogène, mais qui a ouvert la porte à une dégradation par le biais de la restauration capitaliste, où toutes les promesses libérales se sont avérées être des  « de la poudre aux yeux »: l’Europe de l’Est reste le parent pauvre de l’Europe occidentale et son endroit de recrutement de main-d’œuvre bon marché. Les privatisations et ajustements ont détruit les réseaux de sécurité sociale, tant dans l’est et que dans l’Ouest, en laissant des millions d’êtres humains à la dérive. La fragmentation géopolitique a ouvert la boîte de Pandore des affrontements interethniques, religieux, etc.

Cela dit, il faut noter que la chute du mur de Berlin ne peut pas être considérée comme une tragédie historique (comme le font ces nostalgiques du stalinisme et du tiers-mondisme nationaliste bourgeois). Le mur devait tomber parce que sa fonction était uniquement oppressive, et son but était de soutenir l’insoutenable: le contraste entre le niveau de vie entre la RFA (République fédérale d’Allemagne) et de la RDA (République démocratique allemande) a montré que le projet de cette dernière était inviable. Une autre chose aurait été que ce processus aurait fait partie d’un vrai processus révolutionnaire, de l’extension de la révolution socialiste au reste de l’Europe, quelque chose qui n’est jamais arrivé. Cela a été plutôt l’imposition d’une transformation par le haut, sur une population autochtone vaincue après la catastrophe du nazisme:  « Diamétralement opposé à une véritable révolution c’est le cas de l’ancienne RDA: une vraie monstruosité historique’.  Puisqu’il n’y a eu aucune révolution là. Au contraire, les changements ont été contraints par la présence de l’Armée Rouge stalinienne. Il est clair que le débat n’est pas simple. Ils ont vaincu l’envahisseur impérialiste allemand. Mais aucun socialisme ne peut surgir des fusils d’une armée qui, dans une grande mesure, était une armée d’occupation » (« Las huellas de la historia », Roberto Saenz, www.socialismo-o-barbarie.org).

Le 1989 a signifié le début d’un nouveau cycle historique où la conscience des nouvelles générations doit retracer l’héritage laissé par soixante ans de abrutissement bureaucratique. La corruption de la conscience politique socialiste qui a remplacé les enseignements révolutionnaires du XIXe siècle, les premières décennies du XXe siècle, la vague révolutionnaire du 17, etc., par un ensemble de toiles d’araignée mentales, exprimées dans le culte de l’oppressante, dans le fétichisme de l’appareil, dans le remplacement du sujet révolutionnaire, dans le critère anti-socialiste de « donner à la société le moins possible et en retirer autant que possible » (Lénine).

Mais le 89 a signifié (et signifie) aussi une opportunité: l’opportunité d’éduquer à l’avant-garde ouvrière et de la jeunesse dans la véritable perspective du socialisme, de récupérer les traditions révolutionnaires authentiques leur mettant à jour selon le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et les leçons de l’expérience passée. Un processus qu’on vit lentement avec l’accumulation d’expériences des actuelles révoltes populaires, des « indignés » de différents pays, de la jeune génération ouvrière qui rentre (fragmentairement) sur la scène politique.

Et qui s’exprime, comme tendance historique dans l’accumulation soutenue des courants socialistes révolutionnaires, c’est-à-dire, du trotskisme, qui dans notre pays, a obtenu une place hégémonique incontestée entre l’avant-garde ouvrière et de la jeunesse.

Il y a la graine de l’avenir, la seule chose qui peut sortir le monde de l’abîme auquel lui mène le capitalisme, dans le cadre de la lente dissolution de l’ancien ordre mondial qui prédit la réouverture d’une époque de grandes crises, guerres et révolutions.

Par Ale Kurlat et Roberto Sáenz

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