Feb - 10 - 2015

Dans les élections législatives de ce 25 janvier, le Syriza est arrivé en tête avec le 36,34 % des voix, avec 149 députés. Derrière se trouve Nouvelle Démocratie, parti de droite qui a gouverné depuis trois ans, qui a obtenu 27,81 % et 76 députés.

La liste continue ainsi : le parti néo-nazi Aube Dorée (6,28 %, 17 députés), « La rivière », Parti libéral et pro-européen (6,05 %, 17 députés), le Parti Communiste Grec (KKE, 5,47 %, 15 députés), les Grecs Indépendants (ANEL) parti nationaliste de droite, qui a émergé comme une scission de Nouvelle Démocratie en 2012 (4,75 %, 13 députés) et enfin le PASOK (sociaux-démocrates) allié de Nouvelle Démocratie au gouvernement qui s’est effondré à 4,68 %, avec 13 députés.

Antarsya (coalition de la gauche radicale) n’est pas parvenu à dépasser les 3 % requis pour entrer au Parlement et ne possède aucun député. C’est le cas aussi du Mouvement Démocratique Socialiste nouvellement formé, de l’ancien premier ministre Yorgos Papandreu.

Avec ces résultats, Syriza est en mesure de former un gouvernement. En fait, il le fait déjà avec un accord signé avec les nationalistes de l’ANEL. Ainsi, cet après-midi même, Alexis Tsipras assume comme premier ministre de Grèce. Demain, il va annoncer son Cabinet.

Le nouveau gouvernement du Syriza testera la politique de « équilibre » Tsipras promet d’établir : entre rester fidèle à l’Union européenne et ses institutions et en même temps résoudre les problèmes les plus pressants de la misère sociale dans laquelle la troïka (FMI, la Banque centrale européenne et la Commission européenne à Bruxelles) a plongé la Grèce.

Rejet massif des politiques de la troïka, dans le contexte d’une grave crise économique et sociale

La première chose à noter est que l’élection a constitué une preuve évidente du rejet majoritaire des travailleurs et du peuple grec des mesures d’austérité imposées par la troïka depuis le début de la crise. De ce point de vue, le résultat des élections est, d’une manière déformée, la preuve  d’un important développement de la conscience des travailleurs et du peuple grec et est en quelque sorte le « fils bâtard » du processus de mobilisation et de radicalisation qui s’est ouvert en 2008.

La situation économique en Grèce, dont on a parlé à maintes reprises, est celle d’une véritable crise économique et sociale. Loin d’atténuer les effets de cette crise, les plans de « sauvetage » de la troïka n’ont fait que l’approfondir : la dette publique est passée de 89,5 % du PIB en 2007, à 175,5 % en 2014 ; le taux de chômage de 7,8 % en 2008 à 25 % aujourd’hui. A cela il faut ajouter des dizaines d’attaques sur les retraites, la fermeture de la télévision publique ERT, le licenciement de milliers de travailleurs de l’Etat, les coupes budgétaires dans la santé et l’éducation.

Face à cette situation, les travailleurs et le peuple grec ont donné de nombreuses preuves de combativité. Le soulèvement de la jeunesse de 2008, contre le meurtre par la police d’un adolescent, a marqué le début d’un cycle de luttes et de radicalisation croissante. Plus de 30 des grèves générales, des mobilisations massives, le mouvement « Occupy » qui a occupé les places du pays. Récemment, même après les élections de 2012 où Syriza a commencé à expérimenter une croissance électorale lente mais soutenue, il y a eu des grandes luttes : la lutte contre la fermeture de la télévision publique ERT, qui a été occupée par les travailleurs ; les mobilisations massives en soutien de la grève de la faim de Nikos Romans, anarchiste grec, ami du jeune homme tué en 2008, et qui luttait pour son droit comme prisonnier à assister à l’Université.

C’est cette combativité et ce rejet de la politique d’austérité qui se reflètent donc de manière déformée dans le résultat des élections. Nous n’avons aucune illusion dans Syriza, organisation réformiste qui a déjà reculé dans plusieurs aspects de son programme. Mais il n’y a aucun doute que les Grecs ont voté pour Syriza car ils considèrent que c’est une formation « anti-austérité », opposée à la troïka et à l’UE, qui finira avec les mesures antisociales.

En ce sens, l’élément le plus objectif à retenir de cette élection est celui-ci : que les grecs ont voté massivement contre l’austérité, en écrasant ainsi les partis classiques du régime. Ce fait sera source de contradictions, des crises et des conflits, dans un gouvernement qui va être entre le marteau des Diktats de l’Union européenne et sa résolution de ne pas quitter l’euro et l’enclume des pressions du mouvement de masse.

C’est un fait d’énorme importance que surgisse dans la Grèce, un des pays les plus durement touchés par la crise et la politique de la troïka, un gouvernement bourgeois « anormal », qui n’appartient pas aux partis traditionnels de la bourgeoisie. En 2007, la Nouvelle Démocratie et le PASOK concentraient encore le 80 % des voix ; dans ces élections, ces deux piliers du bipartisme grec arrivent à peine au 33 % ensemble. Ainsi, nous assistons à une crise politique profonde, qui ne manquera pas d’avoir des surprises, et qui exprime l’érosion, même avec des limites, des bipartismes classiques de la bourgeoisie.

La montée du Syriza pourrait aider à approfondir ces phénomènes centrifuges dans les autres pays européens. Dans les semaines précédant les élections, les formations réformistes comme Podemos (Espagne) ou le Front de Gauche (France) ont tenté de surfer sur la « phénomène Syriza » autant que possible. La victoire de cette formation est une impulsion pour ces courants, et plus généralement, internationalement parlant, montre l’évolution de « un canal de sensibilité politique et électorale » à la gauche des formations traditionnelles.

Une impulsion pour le « nouveau réformisme » européen

Comme nous avons l’avons souligné, en plus de Syriza, l’autre gagnant de ce scrutin est le « nouveau réformisme » européen, représenté par des courants comme le Front de Gauche et Podemos. Les principaux journaux du continent indiquent que s’ouvre une « nouvelle ère » en Grèce, mais aussi dans toute l’Europe.

La campagne grecque a été traversée par l’utilisation faite par différentes organisations européennes. Dans le meeting de fin de campagne de Syriza, Pablo Iglesias de Podemos, Cayo Lara d’Izquierda Unida et Pierre Laurent du Front de Gauche accompagnaient Tsipras. Tous essaient de s’approprier du capital symbolique que représente Syriza.

La victoire de la Syriza sera sans aucun doute un courant d’air frais pour ces formations. Le meeting pro-Syriza organisé à Paris a réuni des membres critiques du PS, les écologistes (qui jusqu’à récemment faisaient partie du gouvernement Hollande), le PCF et le Parti de Gauche. L’espoir qui les liait était de créer « un Syriza à la française ».

En Espagne, le grand bénéficiaire de la victoire de Syriza est sans aucun doute Podemos et son leader, Pablo Iglesias. Son ascension rapide dans les sondages l’a transformé dans une des « vedettes » du meeting de fin de campagne de Syriza et ses dirigeants s’apprêtent à déclarer que « les vents de changement » arriveront également en Espagne. Izquierda Unida, un autre candidat pour profiter de l’essor du Syriza, traverse une crise majeure, et son ascension a été fortement bloquée le parti d’Iglesias.

Toutefois, il n’y a pas que les « nouveaux réformateurs » européen qui espèrent en bénéficier de l’effet « Syriza ». En ce sens, les dirigeants de la droite espagnole, du Parti Populaire, ont déclaré qu’ils espèrent qu’un gouvernement de Syriza montrera les limites d’un tel projet et l’obligation de « faire des pactes ». Et que cela signifierait un frein à la hausse de Podemos.

Les nombreux reculs de Syriza, donnent un appui solide à cette attente.  Puisqu’au fur et à mesure que Syriza se renforçait comme une alternative de gouvernement, son programme s’approchait de plus en plus aux exigences de la troïka. Ceci a été le cours a maintenant, bien que nous ne devons pas perdre de vue la pression qui pourraient exercer le masses populaires sur le nouveau gouvernement. Et, même, la possibilité d’un débordement par la gauche du nouveau gouvernement de Tsipras, dans le cas où celui-ci commettrait une trahison trop scandaleuse.

Les reculs de Syriza et son rôle de contention

Loin sont les promesses de Syriza d’interrompre de manière unilatérale le paiement de la dette extérieure, de sortir de l’OTAN et d’autres promesses qu’il s’est permis de faire lors des élections législatives de 2012. Cette dernière période de Syriza comme « grande opposition », a été un long voyage pour rassurer les dirigeants européens et les banques et leur démontrer qu’ils n’ont rien à craindre.

Tsipras lui-même a commencé par exprimer son admiration pour les gouvernements comme ceux de Kirchner et Lula qui, malgré son discours « anti-impérialiste », ont systématiquement payé la dette extérieure. En ce sens, Syriza a abandonné le programme de cessation des paiements, pour mettre en place le programme beaucoup plus tiède de « restructuration » et de « audit » de la dette. C’est-à-dire, de renégocier les conditions de l’austérité.

A cela s’ajoute la promesse de rester dans l’Union Européenne, coûte que coûte. Or, garder l’euro et la soumission à l’UE et en même temps rejeter les mesures d’austérité, c’est une contradiction impossible de résoudre.

Comme nous l’avons dit après les élections européennes: « C’est une chimère qui ne peut pas aller très loin. Le problème, c’est précisément que la « construction historique » de l’UE correspond aux intérêts des bourgeoisies centrales et impérialistes : la bourgeoisie française et l’allemande. […] L’Union européenne et l’euro ne sont pas une « coquille vide », dont il suffirait de « changer le contenu ». Au contraire, la raison d’être de l’Union Européenne est la cristallisation d’une relation inégale entre les États membres. Une relation propice aux économies centrales : l’euro est la courroie de transmission qui permet de réaliser cet objectif. Donc, prétendre, comme le fait Syriza, que la Grèce peut rester dans l’euro et rejeter les plans d’austérité ne résiste au moindre analyse »

SYRIZA a également reculé sur d’autres aspects de son programme. Il ne défend plus la sortie de l’OTAN, mais promet de « respecter les obligations prévues dans les traités ». De la demande d’un salaire minimum de 1 300 euros, maintenant on défend un salaire minimum de 750. De la nationalisation de la Banque, on a passé à la simple présence de « membres de l’Etat » dans les directions des grandes banques. Son programme constitue une alternative « néo-keynésienne », à toutes fins pratiques pas envisageable dans le contexte de crise économique internationale qui suit son cours et qui menace même de s’approfondir dans des pays clés tels que les économies dites émergentes.

La conséquence de cette « course vers la gouvernance » sera une politique systématique de maintenir sous contrôle et même d’arrêter la mobilisation des masses. Mais c’est possible que les mobilisations s’approfondissent, étant donné les attentes sur le nouveau gouvernement « de gauche », sûrement considérés par beaucoup de gens comme « leur gouvernement ». Mais c’est aussi un fait qu’avec la confiance initiale dans le nouveau gouvernement qui touche des larges secteurs, Tsipras peut arriver non seulement à contrôler, mais également à appeler à « se calmer », à dire aux masses de « rester chez elles ».

Bien sûr, on ne peut pas exclure des contradictions avec les « chefs » de l’Europe. Mais, étant donné le moment historique actuel, il est beaucoup plus probable que le nouveau gouvernement de Syriza s’apprête à réaliser une sorte d’accord en réduisant au minimum le programme « anti-austérité », et travaillant, en même temps, pour démobiliser les masses.

C’est une politique délibérée de ces organisations, qui, en plus, ont une base strictement parlementaire, et dont le poids dans les organisations ouvrières et populaires est très limité. Ce n’est pas par hasard si Pablo Iglesias (leader de Podemos) a déclaré il y a quelques jours en Espagne que « l’heure des protestations est terminée, il est maintenant le temps des élections ». De la même manière, des dirigeants syndicaux de Syriza sont opposés aux grèves dans l’éducation, avec l’argument qu’il fallait « attendre les élections ».

Pour ces raisons, Syriza ne sera nullement le « point de départ » d’une révolte populaire, et il ne s’agit pas d’une organisation « indéterminée » qu’il suffirait de « pousser » pour qu’elle rompe avec le capitalisme et prenne la voie révolutionnaire (tel que certains ont théorisé par rapport aux gouvernements comme celui de Chavez ou d’Evo Morales).

Pour cette raison, et pour éviter que les capitulations de Syriza ne favorisent la droite, comme cela a été le cas avec la crise du « nationalisme bourgeois du XXIe siècle » en Amérique latine (où, cependant, dans certains cas, il y a eu des débordements électoraux par la gauche comme dans l’Argentine), la construction d’une alternative révolutionnaire indépendante est plus que jamais indispensable, une alternative qui puisse diriger le processus vers une voie vraiment anticapitaliste.

Construire une alternative révolutionnaire indépendante

Comme nous l’avons dit, le peuple grec a montré des réserves énormes de combativité dans ces dernières années, et le vote à Syriza reflète, même de façon déformée, un virage à gauche de celui-là. Dans le contexte d’une crise internationale qui se poursuit, il y aura des luttes d’ampleur où intervenir ; des combats qui ouvriront un grand auditorium pour la gauche révolutionnaire.

Aucune sortie de la crise ne viendra de la main de « renégociation », de « respecter les accords » ou de transactions avec la troïka. Bien qu’elles soient prêtes à faire quelques concessions, les bourgeoisies européennes ont déjà laissé très claire que leur perspective stratégique est de continuer à opprimer le peuple grec jusqu’à son dernier souffle.

Pour résoudre la crise durablement, la seule solution est d’approfondir la lutte révolutionnaire contre le capitalisme grec et européen. L’annulation de la dette, la nationalisation des banques, la nationalisation sous le contrôle des secteurs clés de l’économie, la santé et l’éducation publique ne peuvent être obtenue qu’avec la mobilisation de la classe ouvrière et du peuple.

Et cela passe, également, par une sortie anticapitaliste de l’euro, la monnaie de l’Union européenne. Sans une monnaie propre, obtenue sur la base d’un gouvernement réellement des travailleurs, il sera impossible de vaincre l’austérité, l’ajustement, la pauvreté et l’exploitation capitaliste. C’est pourquoi le plan Tsipras et Syriza est une chimère.

Il faut continuer et étendre les luttes qui donnaient existaient les élections, sans avoir aucune confiance dans le gouvernement de Tsipras. Il faut développer l’auto-organisation par en bas, comme la seule garantie de dépasser les directions syndicales bureaucratiques et de construire une véritable démocratie directe : construire des organes indépendants des secteurs en lutte (des organismes qui sont encore très peu développés en Grèce).

Pour se battre pour cette perspective, la construction d’une organisation révolutionnaire indépendante est indispensable. Une organisation qui lutte de manière conséquence contre tout attaque ou imposition des organes de l’Union européenne et qui en même temps soit intransigeante dans son indépendance face au nouveau gouvernement, qui lutte de manière frontale contre toutes les attaques que Syriza essaie contre la classe ouvrière, qui dénonce sans relâche toute éventuelle trahison des justes aspirations du peuple grec.

Une organisation qui ait comme tâche stratégique de se construire organiquement dans la classe ouvrière et la jeunesse, pour s’enraciner dans les secteurs qui mèneront les combats contre l’austérité. Qui tisse des liens avec les travailleurs du reste de l’Europe, victimes aussi de l’austericide imposé par l’UE.

Nous n’avons aucun doute qu’il y a des réserves énormes de combativité dans le prolétariat et le peuple grec. Encore plus : la grande joie qui s’exprime aujourd’hui pour le triomphe de la Syriza, pourrait se manifester demain dans des grands combats dans les lieux de travail, d’études, dans les rues.

Sous le feu de la crise économique, le gouvernement de Tsipras aura une marge de manœuvre très étroite et sûrement reviendra bientôt sur ses promesses, comme en témoigne le gouvernement qu’il est en train de construire avec les nationalistes xénophobes des Grecs Indépendants. Le fait est qu’il n’y a aucun moyen de sortir ce type d’impasse sur une base purement parlementaire. C’est une autre limite stratégique énorme du nouveau gouvernement : il n’est pas basé sur la mobilisation révolutionnaire des masses, mais seulement sur le jeu politico-parlementaire. C’est-à-dire, tout simplement, que sa perspective n’est pas révolutionnaire mais réformiste.

Nous nous solidarisons avec ces luttes à venir et nous parions avec toutes nos forces à la construction d’organisations révolutionnaires indépendantes en Grèce dans la perspective d’un gouvernement des travailleurs dans ce pays.

Déclaration du courant international Socialisme ou Barbarie, le 26/01/2015

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