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Jul - 10 - 2015

Cet article a été écrit le mercredi 8 juillet, avant que la version finale de l’accord proposé par le gouvernement grec ne soit rendue publique. Finalement, cette version a confirmé toutes les prévisions exprimées dans cet article et qui étaient presque de notoriété publique avant même la demande formelle : l’accord proposé par la partie grecque est 99 % identique à celui qui a été rejeté lors du référendum du 5 juillet. Une fois de plus, comme nous l’avions dénoncé, Tsipras trahit la volonté populaire pour se soumettre aux conditions de la Troïka et signer un nouveau mémorandum. Le seul point encore ouvert est la question de la restructuration de la dette : les signes positifs de l’impérialisme se sont succèdes dans les derniers jours à cet égard, mais il est encore difficile de savoir si une restructuration sera incluse dans l’accord de dimanche (ce qui faciliterait la tâche à Tsipras de vendre l’accord à son propre Parlement) ou si à nouveau les références à la restructuration ne seront que des promesses.

La résistance contre cette nouvelle capitulation de Tsipras commence à s’organiser. Au niveau super-structurel, Lafazanis, Ministre de Reconstruction Productive, d’Environnement et de l’Energie et membre de la Plateforme de Gauche de Syriza, a dénoncé le nouvel accord, ce qui laisse prévoir un rejet de la Plateforme de Gauche à celui-ci ; on dit que Lafazanis (qui n’a pas signé la proposition aux créanciers) pourrait démissionner de son poste de Ministre. En outre, Stathis Kouvelakis, député de Syriza et membre influent de son aile gauche, s’est également prononcé contre l’accord, qu’il a comparé au vote des crédits de guerre de la part du Parti Social-démocrate Allemand en 1914. Le vote contre l’accord d’une partie importante des députés de Syriza obligerait le gouvernement à obtenir le soutien des partis To Potami, PASOK ou Nouvelle Démocratie, avançant vers la formation d’un « gouvernement d’unité nationale » et approfondissant la crise politique.

Au-delà de ces vicissitudes par en haut (qui pourraient cependant avoir des conséquences importantes), l’essentiel à l’heure actuelle sont les appels à retourner à la mobilisation. Les organisations de la gauche révolutionnaire, essentiellement autour d’Antarsya, avaient annoncé des manifestations en cas de conclusion d’un nouvel accord. La gauche de la direction d’ADEDY, puissante Confédération de la fonction publique, a demandé une réunion d’urgence la direction de celle-ci et a appelé à se mobiliser les prochains jours. Diverses manifestations sont prévues dans les principales villes du pays cet après-midi. Ce sont les premiers pas de la grande mobilisation qui devra être développé pour lutter contre les nouveaux plans d’austérité prévus par le gouvernement de Tsipras.

Comme nous avons indiqué dans notre déclaration après la victoire du NON au référendum[1], celle-ci a été encore une défaite pour l’impérialisme européen et les pro-austérité, défaite infligée par les travailleurs et le peuple grec. En ce sens, il s’est agi d’un phénomène très progressif, qu’il s’agit d’approfondir pour faire du NON dans les urnes le coup d’envoi d’un grand combat contre l’austérité et pour solution de fond au service des travailleurs grecs.

Mais nous avons aussi souligné que le gouvernement de Syriza conduisait la Grèce à une impasse, et qu’il utiliserait la victoire du référendum pour revenir à la table des négociations, comme l’avaient expliqué leurs propres dirigeants. C’est ce qui s’est finalement passé : Tsipras a l’intention de confisquer la volonté populaire exprimée le 5 juillet pour le mettre au service d’une nouvelle capitulation.

Le gouvernement de Syriza cherche une capitulation

Vingt-quatre heures ont suffi à Tsipras pour trahir ouvertement le peuple grec. Le soir même de la victoire du référendum, Tsipras a parlé à la télévision en défendant l’idée que dans le référendum « il y a ni gagnants ni perdants » et que « mandat que vous m’avez donné (…) C’est de renforcer notre pouvoir de négociation ».

Parler d’une situation « sans gagnants ni perdants » est une absurdité. Il est clair aux yeux de tout le monde que la Troïka, les grands médias privés, les partis pro-austérité comme le PASOK et Nouvelle Démocratie ont fait une campagne furieuse et terroriste pour le OUI : le matin même du référendum, le Président du Parlement européen a déclaré qu’une victoire du NON signifiait la sortie de la Grèce de l’euro.

C’est pourquoi cette troupe d’impérialistes, partis bourgeois, capitalistes locaux et étrangers sont les perdants du référendum, aux mains des travailleurs grecs. Parler de « ni vainqueurs, ni vaincus » n’est qu’une concession pour le camp du OUI, le plus furieux pro-austérité, au lieu de s’appuyer sur la victoire pour balayer une fois pour toutes cette bande de parasites.

Si quelqu’un avait des doutes, la décision de Tsipras au lendemain du référendum a tout clarifié : il a appelé l’ensemble des partis d’opposition, à l’exception de l’Aube Dorée, à une réunion afin d’obtenir leur appui, de construire « l’unité nationale » pour renforcer les négociations avec l’UE.

C’est sans aucun doute une expression du renforcement Tsipras, qui a « forcé » le reste des partis, très affaiblis après le référendum, à se plier derrière le nouveau « héros national » et de lui servir la soupe dans ses négociations avec l’UE. Mais si c’est une « tactique habile » de Tsipras pour les négociations, ceci exprime aussi le caractère des négociations elles-mêmes et la stratégie de Syriza.

Comme nous l’avons dit, l’appel à cette réunion, en soi, signifie de l’air frais pour les pro-austérité vaincus dans l’organisation d’un référendum et se fait sous l’idée d’unité nationale, c’est-à-dire l’unité entre capitalistes et travailleurs. Mais le contenu du communiqué final est également une capitulation. Il note que « le mandat du peuple grec est de négocier et non pas de rompre »…

C’est pourquoi le gouvernement a déjà exprimé clairement qu’il demandera un nouveau sauvetage. Ses contours ne sont pas encore clairs, puisqu’il n’y a pas une proposition claire avancée par le gouvernement et les dirigeants européens se sont donné le temps jusqu’à dimanche pour parvenir à un accord. Mais il est clair que, en trahissant la volonté du peuple, le gouvernement grec se dirige vers un nouvel accord.

Même s’il subsiste une incertitude quant à l’accord, les sources européennes disent qu’il serait très semblable à la proposition du 30 juin. C’est-à-dire, avec quelques réformes cosmétiques, ce qui paraît se dessiner est un accord où le gouvernement grec accepte les exigences essentielles de la Troïka, comme il l’avait fait avant le référendum: l’augmentation de la TVA, la réforme des retraites, la poursuite des privatisations. Les informations les plus récentes semblent confirmer ceci : le gouvernement grec seraient prêt à mettre immédiatement en œuvre les réformes, alors qu’avant le référendum il demandait quelques mois supplémentaires pour leur mise en place.

Cependant, il est difficile de donner un pronostique univoque à l’avance. On pourrait avoir un scénario dans lequel chacune des parties considère que l’accord de l’autre sera impossible de faire accepter dans ses propres rangs. Même si la proposition grecque est très similaire (sur certains points encore pire) que celle précédant le référendum, la volonté de la Grèce d’exiger une restructuration de la dette est encore sur la table, comme l’ont souligné les dirigeants de Syriza.

Il s’agit en outre d’un projet qui semble se tracer un chemin entre des secteurs de la bourgeoisie : en témoigne le rapport du FMI qui recommande de réduire d’au moins 30 % la dette grecque et il semblerait que l’un des points de désaccord entre les Etats-Unis et l’Allemagne serait précisément celui-ci. Par exemple, il est significatif que le New York Times, porte-parole de l’impérialisme américain, soit en colère contre « l’hypocrite » Allemagne qui « oublie » qu’on lui a pardonné la dette en 1953 : pour le New York Times, cela démontre non seulement l’hypocrisie de l’Allemagne, mais aussi le fait que « nous avons géré de manière correcte ces situations dans le passé » c’est-à-dire, en pardonnant la dette.

En ce sens, la question de la restructuration pourrait être un point de blocage des négociations. En vérité, c’est une contrepartie que la partie grecque cherche depuis un certain temps, puisqu’elle faciliterait l’acceptation de l’accord dans son propre pays. Toutefois, la demande du gouvernement comprend également un recul à ce niveau. Dans la lettre envoyée au Mécanisme Européen de Stabilité, demandant un nouveau plan d’aide, la partie grecque « salue l’occasion d’explorer d’éventuelles mesures qui pourraient être adoptées afin que la dette du secteur public soit durable et viable à long terme » ; impossible de mettre plus de conditionnels dans la phrase pour la faire plus « soft ».

L’autre élément qui risque d’entraver un accord est la pression interne dans la Grèce. Il est difficile de mesurer les effets du référendum, encore plus de loin. Il a sans aucun doute renforcé Tsipras, lui a permis de revenir à une table de négociation que l’impérialisme considérait comme fermée et rassembler derrière lui les restes battues des dirigeants politiques grecs. Mais en même temps, la victoire écrasante du NON a mis en mouvement des vastes secteurs de la société grecque, avec un fort élément de classe et de la jeunesse, puisque dans les quartiers ouvriers et parmi les jeunes le NON a gagné avec plus de 70 %.

C’est pourquoi la signature d’un accord n’est pas sûre, ou qu’en cas d’arriver elle aurait des conséquences graves. Costas Lapavitsas, député de Syriza qui fait partie de la Plateforme de Gauche, l’a défini en ces termes: « Le référendum a sa propre dynamique. Le peuple se révoltera si [Tsipras] revient de Bruxelles avec un mauvais accord ». La plateforme de gauche, qui avait menacé de voter contre le dernier accord de Tsipras, sera prête à voter une version à peine modifiée de cet accord après la victoire du NON ?

En tout cas, il ne s’agit pas faire de futurologie, mais de constater que la situation est ouverte et d’en dégager les conclusions et les tâches politiques qui se posent. La première conclusion est que, comme nous l’avons soutenu lors du déroulement du référendum et après son résultat, le gouvernement de Syriza n’a comme objectif que la négociation d’une capitulation qui ne changera rien d’essentiel de la politique appliquée à la Grèce ces dernières années. Lors du référendum, les dirigeants de la Syriza ont sapé la campagne du NON, du fait de leurs appels constants à la négociation avec la Troïka et en raison de son absence d’une alternative cohérente ; maintenant, ils essayent de « confisquer » ce triomphe, de le détourner de son sens véritable et de l’utiliser pour leur stratégie de négociation.

La deuxième conclusion est qu’il y a une lutte ouverte pour empêcher la capitulation de Syriza, tout accord avec la Troïka et avancer dans un NON à tous les plans d’austérité. De manière contradictoire, la bataille autour du référendum a été un pas en avant à cet égard, nous devons poursuivre et à approfondir.

Le référendum: une bataille de classe que nous devons continuer

Peut-être l’un des éléments clés du bilan du référendum est qu’il a été une vraie bataille de classe. Les données montrent clairement que ce qui s’est exprimé derrière le OUI et le NON sont deux secteurs fondamentalement opposées de la société, élément qui s’était déjà exprimé autour de la polarisation croissante et la composition de classe des mobilisations.

En ce sens, le vote du NON (qui a obtenu 61 %), s’élève à 85 % pour les personnes âgées de 18 à 24 ans et 72 % pour les personnes de 25 à 34. Parmi les employés du secteur public, du secteur privé et les chômeurs, le pourcentage de ceux qui ont voté NON est de 70 %. L’analyse géographique des résultats reflète que les quartiers de plus grande concentration ouvrière se sont penchés pour le NON à 70 %.

Un autre élément important est la mobilisation qui a eu lieu autour du référendum. Loin d’être un acte purement passif comme c’est habituellement la démocratie bourgeoise, le référendum grec a entraîné une dynamique importante. Les rassemblements impressionnantes du NON (plus de 100.000 personnes à Athènes) avant le référendum vendredi ont été le corollaire d’une véritable dynamique par en bas de larges couches de la société, et en particulier des courants de gauche, qui ont pris dans leurs mains la campagne pour le NON afin d’infliger une défaite à la troïka.

D’autre part, la lutte autour du référendum a été également une occasion formidable pour l’intervention de la gauche révolutionnaire. Les militants anticapitalistes d’Antarsya ont mené une vaste campagne sur le référendum, avec des secteurs de l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme qui généralement appellent au boycott. Callinicos, du SWP anglais, signale que des militants de Syriza et d’Antarsya ont mené également des actions communes autour du référendum. Celui-ci a également servi à prouver la politique stérile du KKE (Parti communiste grec): la plupart de sa bas électorale a ignoré la politique de sa direction (qui appelait à l’abstention) et s’est penché vers le NON.

Cette intervention doit se poursuivre et se renforcer dans les prochains jours. Les militants anticapitalistes d’Antarsya prévoient déjà la réalisation de nouvelles manifestations contre les possibles accords de Tsipras. L’espace pour ces mobilisations et plus généralement pour le développement d’une politique anticapitaliste, révolutionnaire, semble avoir augmenté ces dernières semaines, et l’existence d’organisations indépendantes de Syriza sera un facteur déterminant dans l’évolution de la situation.

La seule issue est la mobilisation indépendante

Le gouvernement de Syriza est déterminé à « confisquer » le NON, à le détourner de son vrai contenu de rupture et de lutte, pour le transformer en une carte de plus à jouer dans l’impasse des négociations. Les appels à l’unité nationale vont dans ce sens : faire croire que le NON est un « mandat pour négocier » et non pas pour rompre, ceci de la main des éléments les plus pourris de l’ancien régime. C’est aussi une tentative pour réduire la polarisation sociale qui a marqué la Grèce ces derniers jours, d’éviter d’aller vers une véritable épreuve de force entre les classes, ce qui pourrait remettre en cause le gouvernement de Syriza.

Ce dont il s’agit donc est de lutter pour empêcher cette confiscation, pour doter le NON de son vrai contenu de rupture et de lui donner une continuité qui permettra des progrès dans les revendications de fond de la classe ouvrière. Dans ce sens, il faut approfondir davantage les brèches dans le système, promouvoir une plus grande polarisation des classes, ce qui ne peut être réalisé que dans les rues. En effet, si un événement en principe « inoffensif », comme un référendum, s’est transformé en un grand champ de bataille de classe, c’est précisément du fait de la tradition de lutte et de mobilisation de la Grèce qui a été confirmée au cours des dernières années. La réalisation elle-même du référendum était une expression déformée de cette combativité, dans la mesure où une capitulation directe de Syriza a été évitée. En outre, comme le soulignent correctement les camarades grecs de l’OKDE-Spartakos, « Cette lutte de casse ne s’est pas limitée aux urnes (…) elle s’est exprimée dans la rue, les lieux de travail, les universités, les quartiers. Sans les énormes manifestations et rassemblements, la peur aurait dominé et le résultat du vote aurait probablement été différent. »

La politique du gouvernement de Syriza conduit à une nouvelle impasse, trahissant la volonté du peuple du 5 juillet. Il faut une autre politique, révolutionnaire et indépendante du gouvernement de Tsipras, qui rende concrète dans les rues, les lieux de travail, les universités et les quartiers la lutte pour le NON à tout accord avec la Troïka, le NON au paiement de la dette, le NON à l’Union européenne impérialiste. C’est seulement sur la base de la mobilisation ouvrière indépendante que nous imposerons les issues de fond dont les exploités grecs ont besoin : la nationalisation des banques et du commerce extérieur, le non-paiement de la dette, la nationalisation des secteurs clés de l’économie.

Il faut continuer la lutte pour le NON, s’appuyer sur cette grande victoire pour approfondir la radicalisation et la polarisation sociale qui revient dans le centre de la scène en Grèce. Dans cette lutte, la construction d’organisations révolutionnaires, indépendantes du réformisme de Syriza, qui défendent un programme clair de rupture avec l’Union européenne et le capitalisme en s’appuyant sur l’organisation de la classe ouvrière, sera un élément clé. La campagne développée pour le NON de la part des camarades d’Antarsya et des organisations trotskistes à son intérieur comme l’OKDE-Spartakos, qui ont réussi à jouer un rôle clé et à défendre leur propre programme autour du référendum, sont un grand point d’appui et augurent un futur plein d’espoirs pour la classe ouvrière et la gauche révolutionnaire grecque.

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[1] Grèce – Grande victoire populaire contre les austericides, Déclaration de Socialisme ou Barbarie Europe, 05/07/2015, 22hs, http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=5405

Par Alejandro Vinet, le 10/07/2015

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