Oct - 6 - 2015

Depuis l’éclatement de la crise économique de 2008, les plans d’austérité appliqués en France ont été plus modérés que dans le cas grec, espagnol ou italien par exemple. Cependant, à partir de la réforme des retraites de 2010, qui s’est terminé par une défaite malgré une énorme lutte, les attaques se sont poursuivies. La « moindre profondeur » des attaques par rapport à ce qui arrive dans d’autres pays de la zone euro, répond en partie au fait qu’il s’agit du deuxième pays en importance dans la structure de l’Union européenne et qui a également une importante tradition de lutte. C’est pourquoi la bourgeoisie est consciente de l’énorme  coût d’une politique de choc au style grec et les réponses que celle-ci déclencherait: cela augmenterait dangereusement la température de la lutte des classes.

Il faut souligner toutefois que ces dernières années, la bourgeoisie a imposé une série de défaites à la classe ouvrière, changeant le rapport des forces en sa faveur. C’est pour cela qu’on assiste à une multiplication et à un approfondissement des attaques sur des conquêtes historiques de la classe ouvrière, visant à mettre enfin la compétitivité français au même niveau que celle de l’Europe et du reste du monde.

Depuis ses débuts, le gouvernement PS avec Hollande à la tête a eu comme objectif de « remettre en ordre de l’économie », soulignant la nécessité de restaurer la compétitivité de celle-ci. Le taux de croissance est encore insuffisant, ce qui reflète une reprise lente et faible et pas aussi dynamique que dans les voisins européens. Selon un récent rapport de l’INSEE, le signe positif de cette année (+ 1,1 % du PIB) est dû aux mesures prises ces dernières années par le gouvernement, comme le CICE et le Pacte de Responsabilité de 2013. C’est-à-dire quela « croissance » est le résultat des cadeaux fiscaux aux entreprises, avec les conséquences que cela entraine dans le système de sécurité sociale par exemple.

En ce qui concerne la loi Macron de 2014, jeudi 24/09 le premier ministre Valls a annoncé l’application de l’un de ses points controversés : l’instauration du travail de dimanche dans les « Zones Touristiques Internationales », permettant de redoubler encore plus la liberalisation des conditions de travail. Cela a déjà déclenché un conflit dans le Musée d’Orsay, où les travailleurs se sont mis en grève contre la mise en œuvre de cette mesure, qui pourrait les forcer à travailler sept jours par semaine. Un autre angle d’attaque du gouvernement est le système de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne la santé : Marisol Touraine a exprimé sa décision de réduire le déficit de ce portefeuille. Cela se ferait à partir du « développement des soins ambulatoires (moins d’hospitalisations), la généralisation de l’utilisation de génériques, le contrôle de la masse salariale ».

C’est la ligne directrice du gouvernement pour cette nouvelle étape : la réduction du déficit dans le budget de l’Etat, c’est-à-dire continuer la destruction de l’Etat-providence et des conquêtes sociales que celui-ci représente. C’est pourquoi nous avons vu dans les derniers mois des mobilisations importantes dans le secteur de la santé, avec des grèves et des manifestations qui ont atteint leur sommets avant l’été et commencent à reprendre avec la rentrée.

Dans ce cadre juridique et politique promu par le gouvernement de la Hollande, les entreprises passent à l’offensive avec des plans de restructuration, par exemple l’augmentation de la journée de travail sans augmentation de salaire, ainsi que la suppression des postes (licenciements, chômage technique et pré-retraites) de restructuration. Voilà comment Le Monde pose cette question dans un article récent: « ‘En France, on assiste à un phénomène de rétention de main d’œuvre : les chefs d’entreprises sont nombreux à indiquer qu’ils peuvent encore produire plus sans embaucher davantage’, souligne Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui estime ce sureffectif à 85 000 postes. » [1] Un exemple de cette situation est le plan de restructuration d’Air France, qui envisage des licenciements alors qu’il y a une expansion du marché du transport aérien.

Le « rapport Combrexelle »: récupérer la compétitivité à partir du dialogue social

Dans un nouveau chapitre de cette offensive a vu le jour le « Rapport Combrexelle »: à la demande du gouvernement, le technocrate Jean-Denis Combrexelle, a établi un rapport avec l’aide d’un « groupe d’experts » sur « la négociation collective, le travail et l’emploi ». Dans celui-ci, qui a été publié il y a quelques semaines, on recommande d’introduire un certain nombre de modifications dans le code du travail: « À court terme (2016) :Après concertation avec les partenaires sociaux, clarifier et élargir le champ de la négociation sociale dans les domaines des conditions de travail, du temps de travail, de l’emploi et des salaires (ACTES) en donnant la priorité à l’accord d’entreprise ». Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise, le patronat peut faire appliquer celui qui soit le plus avantageux pour lui, profitant de la fragmentation des travailleurs et imposant des accords plus défavorables dans chaque entreprise isolée.

Le rapport propose également: « pour les conditions de travail, élargir le champ de la négociation sur les modes d’organisation du travail et de management ; pour le temps de travail, envisager, dans un cadre défini par la loi, d’ouvrir la négociation sur le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et sécuriser les forfaits/jours ; pour l’emploi, permettre la négociation sur les conditions d’embauche et les dispositifs de transitions professionnelles ». C’est à dire que chaque entreprise pourra négocier une série d’aspects qui jusqu’à présent étaient dictés par le code du travail ou par les accords de branche : s’ouvre ainsi la possibilité d’en finir avec la journée de travail de 35 heures, de créer des contrats précaires au niveau de l’entreprise et de flexibiliser encore plus les conditions de travail.

Il s’agit d’une réforme en harmonie absolue et profonde avec les précédentes, mais avec la particularité de viser directement et sans ménagement la capacité de résistance de la classe ouvrière face aux attaques du patronat et du gouvernement, visant directement sa capacité d’organisation et d’intervention, en s’appuyant sur l’approfondissement de son atomisation. Les directions syndicales continuent avec leur stratégie de fragmentation et le rejet des actions fortes et actives. Les grandes confédérations participeront de la « Conférence Sociale » du 18 Octobre, espace de « dialogue » formel et super-structurel qui prétend légitimer les attaques en cours.

Au-delà de l’appel du 8 Octobre (qui ne sera finalement qu’une « journée de mobilisation » sans appel à une grève générale), il n’y a aucune volonté de construire une grande grève générale qui fasse partie d’un calendrier de lutte et discuté dans des assemblées générales pour vaincre les attaques du gouvernement. Malgré la réaction par en bas, exprimé par exemple dans la lutte des hôpitaux, la bureaucratie défend une politique d’affaiblissement et d’isolement des luttes en cours, tout en refusant de s’adresser aux travailleurs qui sont en dehors des organisations syndicales.

Ce « dialogue social » cherche à cacher les intérêts de classe derrière une rhétorique de « unité nationale », où les travailleurs doivent se sacrifier pour relancer la compétitivité de l’économie française. En même temps, le dialogue sociale est un piège, qui détourne les travailleurs de la lutte et les confine à la passivité empêchant le développement d’une réponse. C’est pourquoi la participation des syndicats au « dialogue social » est le premier acte de écrasement de la lutte : il faut exiger que ce « dialogue » soit boycotté, et que les directions syndicales n’y participent pas.

Les plans d’austérité en cours ne constituent pas un problème purement syndical ou qui pourrait être résolu entreprise par entreprise ou branche par branche. Au contraire, il s’agit d’un plan d’ensemble de la bourgeoisie et de son personnel politique pour sortir de la crise économique en construisant les bases d’un rapport de forces plus défavorable aux travailleurs : il s’agit de leur faire payer le coût de la crise.

Mettre en pied le mouvement ouvrier à partir d’une politique de classe et de lutte

Sans aucun doute l’un des principaux problèmes réside dans la construction de la réponse aux attaques que nous avons soulignées. Cela passe par la construction de grandes mobilisations et des grèves, et tout d’abord par l’impulsion de l’organisation indépendante des bases avec la perspective de déborder les directions syndicales, ainsi que l’unification de tous les combats, en intégrant les travailleurs qui sont en dehors des appareils syndicaux, les jeunes ainsi que la population dans son ensemble. Cette réponse et regroupement pour lutter contre l’avancée des politiques d’austérité du gouvernement doit poser en même temps les bases d’un programme anticapitaliste pour faire face à la crise. Ce programme ne peut pas se réduire uniquement à la question française, mais il doit donner une réponse à l’ensemble des pays européens où les travailleurs et les jeunes souffrent les conséquences de la crise capitaliste actuelle et mènent des combats importants contre celles-ci.

Une façon de concrétiser ces discussions et perspectives est de donner un caractère actif à la journée du 8 octobre, laquelle devrait avoir comme l’un de ses axes principaux la perspective de construire une large mobilisation pour empêcher l’application des mesures recommandées dans le « rapport Combrexelle ». Nous devons discuter dans chaque lieu de travail, d’études, dans la jeunesse et dans les quartiers comme mettre en place un programme alternatif à celui du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite, qui se base sur les intérêts des travailleurs, de jeunes et de l’ensemble des exploités et des opprimés.

La gauche révolutionnaire a l’énorme défi d’avoir une politique qui réponde à ces attaques et d’être l’un des acteurs dans la construction de la résistance, appelant les travailleurs à ne confier que dans la force de leurs propres organisations et mobilisations indépendantes. Nous devons encourager les travailleurs à jouer un rôle politique actif contre le gouvernement pro-patronat et pro-austérité, un rôle qui place les salariés comme une alternative d’ensemble, la seule alternative capable de donner une réponse à la crise capitaliste à partir des intérêts des exploités et des opprimés.

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[1] http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/01/l-economie-francaise-eternelle-convalescente_4780542_3234.html

Par Luz N.

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