Nov - 5 - 2015

Il n’y a personne qui ne soit pas surpris par les résultats de la journée électorale du 25 Octobre. Les chiffres inattendus ont été bien différents de toutes les prévisions, à l’intérieur et à l’extérieur de la gauche. Ce seul fait indique clairement que toute prévision politique, toute caractérisation de l’évolution future des choses (en particulier dans le mouvant terrain électoral), a nécessairement un caractère général, qu’il est impossible de « saisir » a priori toutes les déterminations de la réalité. Encore si ceux qui font les analyses sont des petites organisations telles que les partis de gauche aujourd’hui, avec encore peu de liens organiques avec les masses.

Toutefois, c’est impossible de faire de la politique sans prévisions, sans caractérisations. Si nous ne faisions pas de prévisions, nous serions incapables de regarder au-delà de notre propre nez. Un parti révolutionnaire doit les utiliser comme une « feuille de route », comme un guide pour l’action, sans perdre la flexibilité nécessaire pour faire face à toute tournure inattendue des événements. Mais pour faire ceci correctement il faut « regarder la réalité telle qu’elle l’est » être vigilants et jamais confondre nos désirs avec la réalité.

Ce dernier a été le modus operandi du PO et du PTS, autant dans ses prévisions pré-électorales que et dans leurs bilans respectifs. Chacun a ses caractéristiques. Le PO est très connu pour ses régulières analyses « catastrophistes ». De la « dissolution du péronisme » à « l’irrésistible ascension de la gauche », il n’y a aucun élément de la réalité que les camarades ne voient pas à travers le kaléidoscope de leurs propres exagérations. Le cas des camarades du PTS est différent. Ils se caractérisent par être plus équilibrés dans l’analyse générale… mais tout se déforme quand il s’agit de leur propre nombril. Dans ce cas toujours, invariablement, ils exagèrent les choses. On pourrait dire que son attitude est celle d’être « tombé amoureux de son propre nombril » et la tentative de vendre ces exagérations au reste de l’avant-garde.

Malgré les nuances, les deux partagent une caractéristique commune : la réalité est toujours taillée sur mesure pour répondre à leurs propres intérêts. Cette orientation, a nécessairement des conséquences dans la politique et l’activité quotidienne. Notamment dans le domaine électoral, les deux forces ont fait école dans cette méthode, qui n’a rien à voir avec les meilleures traditions du marxisme.

La poésie épique du PTS

Il faut dire que, quand il s’agit d’analyser sa place dans la réalité, le PTS a réussi à récupérer une vieille tradition. Non pas la tradition fine et réaliste du marxisme, mais celle de la démagogie politique, que comme le disait Gramsci, piège tout d’abord à celui qui la formule. « Une dispute historique », « Le FIT à une semaine de faire de l’histoire » ce sont certaines des affirmations que le PTS a vendu dans le monde entier.

Lorsqu’il s’agit des bilans de sa propre performance électorale, l’exagération démagogique s’exprime dans son intégralité. Ils le font en s’appuyant sur certaines vérités ou « demi-vérités ». Son bilan des résultats obtenus le 25 octobre est que « c’est le meilleur score présidentiel de la gauche depuis 1983 ». C’est ce qu’ils disent dans leur journal numérique, dans un article daté au 27 octobre. Ce n’est pas seulement faux, parce qu’en vérité, en pourcentages de la gauche, dans les primaires de cette année on a obtenu un pourcentage plus élevé, mais cela laisse complètement de côté deux choses d’importance : les objectifs que le PTS lui-même s’est fixé et avant tout, la place réelle que le score du FIT a eu dans le scénario global.

Tout d’abord, donc, il y a la question des objectifs que les camarades s’étaient fixés. Dans un article intitulé « Une gauche qui dispute les voix de millions » du 13 Août dernier, a ils ont affirmé que « pour les élections générales nous visons les 2 millions de voix ». Le problème de cet objectif, c’est qu’il n’avait pas d’autre fondement que les désirs du PTS. Il n’est pas mauvais en soi de se fixer des objectifs ambitieux. Par contre, lancer dans l’air des chiffres délirants sans aucun fondement réel c’est tout simplement de tromper soi-même. Ils ont même dit qu’ils étaient en mesure de « obtenir sept ou huit députés » [le FIT a finalement obtenu un député] (« Le FIT a une semaine de faire histoire », sur le site Révolution Permanente[1], 17 octobre 2015). En reprennant la tradition d’auto-proclamation des « sectes », les camarades ont fait ces affirmations en se laissant emporter par « l’ivresse électorale » (une « ivresse » opportuniste, d’ailleurs), ce qui leur a fait perdre de vue un critère basique : la lutte des classes. Comment les camarades prétendaient faire un tel score dans le contexte de passivité et de conservatisme qui a caractérisé ces élections ?

La perte de tout critère sérieux d’analyse a eu son centre dans leurs affirmations sur leurs performances à Mendoza. Ils ont même dit qu’ils cherchaient à faire sortir de la gauche « de la nature marginale que le système veut lui assigner. C’est-à-dire, généraliser l’expérience de Mendoza, question qui a commencé à se produire dans les primaires (« Consolidación y sorpresa en el FIT », le 21 août, en espagnol). Ils ont dit aussi que: « Toutes les élections de 2015 confirment la continuité d’une identification politique entre le FIT et des larges couches des travailleurs, des femmes et des jeunes. Ce n’est pas une « mode ». L’analyse simple des scores montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène passager. » (La izquierda diario, 10 octobre) Dans quel sens la gauche à Mendoza ne serait plus « marginale » ? Pourquoi serait-il sûr, qu’il ne s’agit pas « d’un phénomène temporaire » ? Si nous sommes sérieux, il faut répondre aux deux questions avec la même réponse : parce que la gauche révolutionnaire a fait un saut en qualité dans ses liens organiques avec des secteurs des masses. Ceci ne semble pas être le cas à Mendoza. Les camarades font référence dans le deuxième article que nous avons cité, à un autre article (du 1er septembre) qui nomme certains individus de classe ouvrière de Mendoza qui se seraient organisés et rassemblés autour du PTS. C’est très bien : faire des pas dans la structuration d’avant-garde parmi les travailleurs est une tâche essentielle. Mais dire que ceci répond aux deux questions que nous avons évoquées ci-dessus serait simplement idiot. Pour répondre à ces deux questions, l’insertion des révolutionnaires parmi les travailleurs devrait dépasser des « unités » pour arriver à des ensembles plus importants : des quantités de syndicats et des Commissions Internes de boîte, pourcentage de travailleurs organisé par rapport à l’ensemble, etc.. Les camarades feraient bien de voir le phénomène de Mendoza dans le miroir du PO à Salta[2].

Le calme électoral, la stabilisation kirchneriste du pays, l’intensité faible (ou très faible) de la lutte des classes allaient forcément s’exprimer dans les résultats. Et le virage conservateur a été assez fort pour mettre les choses à leur place. Bien sûr : le score du FIT et de Del Caño a été digne si l’on prend en compte les scores historiques de la gauche ; le contexte difficile (beaucoup plus polarisé que prévu) ; le terrain difficile que les élections sont pour les partis révolutionnaires, etc. Au Nouveau MAS, nous disons les choses telles qu’elles le sont, nous n’avons pas besoin de les déguiser pour répondre à un intérêt conjoncturel. Mais cela ne nous fait pas perdre de vue que l’annonce d’une élection « historique » n’avait aucun fondement réel.

PO: de la « montée » au « ralentissement » de la gauche

Avec le PO, il se passe, semble-t-il, un fait sans précédent. Pour la première fois de son histoire, quand il parle de sa performance électorale, il laisse de côté les affirmations triomphalistes et il fait certaines caractérisations qui rassemblement à un bilan correcte. Nous parlons de l’article d’Altamira apparu juste après les élections intitulé « Un premier bilan du 25-O ».[3]

Certains de ses définitions semblent presque prudentes, quelque chose d’inédite dans la plume du dirigeant du PO. Il dit: «Selon les résultats provisoires du dimanche 25 octobre durant la nuit, notre Front de Gauche (FIT) a obtenu le pourcentage de votes acquis lors des primaires. Autrement dit, il n’a pas capitalisé les votes de gauche et de centre gauche qui n’ont pas pu dépasser le quorum fixé lors des primaires [et qui ne pouvait donc présenter de candidats]. Ce résultat du Front de gauche en aucune mesure n’indique une défaite politique, mais un fort ralentissement qui relègue son niveau de protagonisme politique de pointe dans la nouvelle étape qui commencera après le deuxième tour de novembre prochain. Un bilan complet exige de connaître quel a été le type de recrutement militant effectué par le Front et les partis le composant, ce qui est le critère décisif. L’expérience nous enseigne que les politiques d’ajustement et les crises qui se profilent n’assurent pas une croissance de la gauche révolutionnaire dans un futur immédiat si elle n’entre pas dans cette étape d’ajustement et de crise avec, antérieurement, un ancrage plus grand dans la classe ouvrière et la jeunesse. » (Traduction de http://alencontre.org)

Cela semble insolite. Le PO fait un virage de 180 degrés et, après des années d’insister sur la « montée de la gauche » purement électorale, il reprend comme si rien n’en était les avertissements faits par le Nouveau MAS autour de la question de l’insertion organique des révolutionnaires parmi les travailleurs. L’idée que ceci est « le critère décisif » est simplement une nouveauté dans le PO, nouveauté que nous saluons comme positive. Mais il y a encore plus. La définition de « ralentissement » basée sur des froids chiffres électoraux ne semble pas propre au PO non plus. Il s’agit d’une organisation qui directement inventait des nombres ou des chiffres pour justifier son triomphalisme.

Que s’est-il passé? On pourrait penser que, finalement, avec l’âge est venue la maturité. Mais ce n’est pas le cas. Le PO et Altamira restent les mêmes. Il y a une affirmation dans l’article en question qui, en plus d’être correcte, est éclairante: « On ne peut pas revendiquer la quatrième place lorsque c’est le produit d’un spectaculaire effondrement de Stolbizer [arrivée en quatrième place dans les primaires, cette candidate de centre-gauche a perdu des voix et est arrivée derrière le FIT dans les élections du 25 Octobre] et non pas de notre propre croissance. L’auto-proclamation électorale à n’importe quel prix est une manifestation d’électoralisme ». Avec qui ils débattent ici ? Évidemment, avec le PTS. Le virage de 180 degrés du PO dans ses caractérisations par rapport aux résultats du FIT, la transition entre la « montée » et le « ralentissement », au-delà du fait que ce soit vrai, nous soupçonnons qu’il découle de la nécessité de critiquer ses camarades du FIT. La base politique est la même, ce ne sont que les formes qui changent. La réalité est toujours synonyme de commodité subjective.

Le sectarisme

Les militants de gauche ont tendance à comprendre le « sectarisme » comme la politique d’une organisation plus petite qui ne se soumet pas aux caprices des organisations moins petites. Ce serait une avancée importante d’en finir avec cette erreur. Le sectarisme est la caractéristique d’une organisation qui tourne à la réalité qui est plus grande que la gauche, qui ne s’appuie pas sur cette réalité pour la transformer. Avoir pour méthode permanente le fait de confondre les désirs avec la réalité objective, ne pas regarder la réalité et poser les yeux sur un monde merveilleux inventé pour les militants, ceci est du sectarisme.

Cette façon de faire de la politique diminue la capacité de la gauche révolutionnaire de s’appuyer sur les phénomènes les plus progressifs et émergents de la réalité. Ceci au-delà des scores électoraux du FIT, au-delà du fait qu’il possède une plus grande construction que celle de notre parti. Prenons des exemples clairs. Quand le PO était subsumé par les spéculations électorales dans une année de luttes, en 2014, sa contribution effective (politiquement parlant) aux luttes comme celles de Gestamp et Lear a été nulle. C’est aussi le cas de sa participation scandaleuse, complètement formelle et réduite, dans le NiUnaMenos (« Pas une en moins », mobilisation contre la violence sexiste) historique de Buenos Aires. La politique révolutionnaire est diamétralement opposée à cette « méthode ». La politique révolutionnaire consiste à « regarder la réalité telle qu’elle l’est ».

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[1] http://www.revolutionpermanente.fr/Le-FIT-a-une-semaine-de-faire-histoire

[2] Après avoir exagéré de manière continuelle ses prévisions électorales, en arrivant jusqu’à dire qu’ils pouvaient gagner la mairie de Salta (ville du nord du pays), les résultats électoraux n’ont pas du tout été à la hauteur des rêves du PO…

[3] Disponible sur http://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-un-scenario-politique-inattendu-dans-un-pays-en-crise.html

 Par Fernando Dantés

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