Nov - 20 - 2015

Dans la nuit du 13 au 14 novembre, une série d’attaques brutales a secoué les rues de Paris. Perpétrées par des membres de l’État Islamique, en représailles à l’intervention impérialiste française en Syrie, les attaques ont coûté la vie à 129 personnes et ont causé 352 blessés, dont 50 sont dans un état critique.

C’est un événement de proportions énormes au niveau international, qui a occupé la scène politique et les médias ces derniers jours. Heure après heure, nous voyons des dirigeants politiques et des « experts » de tout sorte répéter le même discours: il s’agit de la guerre de « la barbarie contre la civilisation », une attaque contre les « valeurs de la liberté » et la seule solution serait de déployer encore plus de militaires dans les capitales européennes, d’augmenter encore plus la répression, de jeter encore plus de bombes en Syrie.

Les attentats ont, évidemment, modifié profondément la situation politique française. Ces derniers jours, nous avons vu une accélération des mesures du gouvernement en réponse à ceux-ci, les réponses données par les différentes organisations politiques et l’impact que les attaques ont provoqué dans des larges secteurs de la population, y compris les organisations ouvrières et les mouvements sociaux.

Il nous intéresse dans cet article de donner certains éléments globaux de caractérisation des attentats et de leurs causes profondes, pour donner une réponse d’un point de vue de classe. Deuxièmement, nous nous pencherons sur la situation française et dans l’alternative que les travailleurs et les secteurs populaires doivent défendre face à la nouvelle situation.

Une action absolument réactionnaire

Nous n’écrirons que quelques lignes sur le caractère extrêmement réactionnaire des attentats, parce cela semble quelque chose d’évident. Malgré le fait que cela soit évident, nous jugeons important de « mettre en garde » contre certaines idées ou arguments qui peuvent être très dangereuses.

Le danger est de rester seulement dans l’idée que les attentats sont une « réaction » ou le « produit » de la politique impérialiste. Ceci est correct dans la mesure où, comme nous le verrons plus loin, l’une des raisons profondes des attentats est la politique impérialiste française au Moyen-Orient. Mais nous ne pouvons pas rester dans la pure analyse « action/réaction », en laissant de côté les déterminants concrets de l’attaque et ses conséquences politiques, sous peine de s’approcher d’un raisonnement dangereusement   « justificateur ».

Tout d’abord, il faut signaler que l’attaque a visé des civils, lesquels en aucun cas peuvent être tenus responsables directement de la politique impérialiste dans la région. Le gouvernement français n’a pas demandé aux travailleurs et au peuple français s’ils étaient en faveur de bombarder Syrie: il a suffi au personnel politique bourgeois d’approuver l’intervention dans le Parlement. Mais justement, l’attaque n’a pas affecté des dirigeants politiques impérialistes, des militaires, des grands capitalistes qui tirent profit économique de la guerre, mais des jeunes, des travailleurs et des étudiants qui sont sortis s’amuser comme n’importe quel vendredi soir.

Le second élément est que la conséquence immédiate de ces attaques est un virage à droite au niveau politique, ce qui ne fera que renforcer les souffrances des populations concernées, des immigrés ou des enfants d’immigrés qui sont victimes de discrimination quotidiennement dans ce pays impérialiste, des mouvements sociaux qui voient leurs libertés réduites. Augmentation de la présence militaire, des bombardements en Syrie, restriction des libertés démocratiques, montée de l’islamophobie: tel est le résultat immédiat de ces attaques réactionnaires.

Le troisième élément, c’est que le contenu politique de l’attaque est aussi profondément réactionnaire. Dans d’autres cas, les attentats commis par l’Organisation pour la Libération de la Palestine ou par l’ETA en Espagne, au-delà de condamner la méthode (notamment pour les raisons mentionnées ci-dessus), il était évident qu’il s’agissait d’organisations qui se sont battues pour des causes progressives: la libération et l’autodétermination nationale des peuples. Dans le cas de l’État Islamique, sa  « cause » n’a même pas un gramme de progressive: c’est une organisation théocratique, rétrograde et ultraréactionnaire, qui joue un rôle contre-révolutionnaire dans la région contre les forces progressives comme les kurdes et que là où il gouverne impose un régime de terreur, anti-ouvrier, sexiste et obscurantiste aux populations locales. Et parlons même pas des multiples liens avec les monarchies réactionnaires du Golfe comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, qui financent l’État Islamique et qui jouent un rôle contre-révolutionnaire dans la région.

Pour toutes ces raisons, la politique des révolutionnaires doit commencer par la condamnation la plus énergique des attentats, qui constituent une méthode qui ne fait pas partie de la tradition de la classe ouvrière et des organisations socialistes révolutionnaires, qui seulement renforcent la droite et l’impérialisme et qui étaient en plus menés par une organisation anti-ouvrière, obscurantiste et réactionnaire que nous devons nous proposer d’écraser, comme le font héroïquement les kurdes à Kobane et ailleurs au Moyen-Orient.

À partir de cette condamnation, nous devons souligner les responsabilités profondes du gouvernement impérialiste français, qui sème la guerre et la terreur au Moyen-Orient pour défendre ses positions économiques et géopolitiques, créant le terreau propice pour que ces forces réactionnaires lèvent la tête. Cela devient plus important que jamais pour donner une explication matérialiste et révolutionnaire de ce qui est arrivé, face au discours réactionnaire et islamophobe de « guerre contre la civilisation » que les politiciens bourgeois utilisent pour justifier leurs boucheries.

Guerre impérialiste, guerre sociale et « extrémisme islamiste »

Dans ses différentes allocutions, le président Hollande répète maintes et maintes fois que ce sont les « valeurs de la France » qui ont été attaqués, qu’il y aurait dans le monde une série de « fous » qui « haïssent la liberté » et c’est pourquoi qu’ils attaquent les pauvres civils. Une façon de masquer les responsabilités réelles du gouvernement français dans l’attentat et de construire une rhétorique guerrière identique à celle de Bush, qui avait l’intention de « exporter la démocratie » au Moyen-Orient, à force de bombes et de balles.

Nous voulons souligner deux responsabilités du gouvernement français dans ce qui s’est passé. D’une part, il est clair que la guerre impérialiste dans la région est l’une des principales causes du développement de ces organisations réactionnaires. Non seulement par le financement direct ou la livraison d’armes à ces groupes: il est connu que les Etats- Unis ont financé pour exemple des groupes religieux armés en Afghanistan pour qu’ils combattent l’Union Soviétique (qui plus tard se sont retournés contre eux), et même récemment dans la guerre civile en Syrie ils ont armé groupes opposés à Al-Assad qui ont fini par s’opposer aux puissances occidentales. Sans tomber dans les théories du complot, il est largement prouvé que les puissances impérialistes agissent dans la région en finançant, en armant et en formant certains groupes contre d’autres afin de maintenir leur domination de la région. À force de jouer aux « apprentis sorciers » ils finissent par créer ces monstres, qui peuvent enfin acquérir une indépendance relative et mettre en œuvre leurs propres projets politiques et économiques.

Mais en plus de cette action « directe », c’est un fait que  « indirectement », la destruction et la misère engendrée par la guerre impérialiste est la base matérielle du développement de ces groupes. D’une part, parce la guerre laisse « terre brûlée », détruisant toute possibilité de développement économique et social de ces pays, poussant des dizaines de milliers à des conditions d’exclusion qui constituent la base humaine et matérielle de ces organisations. D’autre part, parce qu’à force de détruire ces pays et de massacrer des civils, la guerre génère une réaction qui, en l’absence d’organisations vraiment progressives et anti-impérialistes, cristallise à travers ces groupes réactionnaires, qui apparaissent comme les seuls qui répondent à l’agression étrangère.

Le deuxième élément est la décomposition sociale, la discrimination structurelle et l’absence de perspectives, résultat de la politique du gouvernement français et de l’ensemble des gouvernements capitalistes de la région. Les terroristes qui ont mené l’attaque, ainsi que ceux qui partent chaque année pour combattre dans les rangs de l’État Islamique, sont présentés comme des personnes « incapables de s’intégrer », en raison d’une trop grande dissonance entre les « valeurs de la République » et ceux de « l’islam ». Ce que ce discours moral ou civilisateur cache de manière intéressée, c’est que si des secteurs croissants de la jeunesse rejoignent ces organisations réactionnaires c’est du fait d’un brutal manque d’avenir, d’une violence quotidienne subie aux mains du gouvernement, l’État et la police, d’un système qui les réduit à rien.

Des décennies de discrimination, d’exclusion, de l’impossibilité d’accéder à l’éducation, à un emploi, des décennies de subir le discours des médias et des politiciens qui les présentent comme des inadaptés, des feignants, des non civilisées, des barbares, couplé avec la violence exercée par des guerres impérialistes, forment le cocktail explosif qui explique en grande partie le développement de ces groupes réactionnaires. La guerre impérialiste, la guerre sociale, ce sont les bases matérielles de la montée de l’État Islamique et d’autres groupes de la même nature.

La dissimulation de ces causes fondamentales, la volonté de l’impérialisme de continuer avec son répartition du monde coute que coute ne peut conduire qu’à une perspective: encore plus de guerre, encore plus de répression et un fort virage vers la droite de la scène politique.

Approfondissement de la politique impérialiste et répressive du gouvernement

La réponse du gouvernement a été donc d’approfondir la politique mise en place après les attentats de janvier contre le journal « Charlie Hebdo », qui visiblement n’a pas réussi à empêcher le massacre actuel.

Le premier acte du gouvernement a été la promulgation de « l’état d’urgence », dispositif juridique mis en place à l’occasion de la Guerre d’Indépendance Algérienne et qui permet d’étendre l’arsenal répressif de l’Etat. Sur cette base, toutes les manifestations ont été interdites jusqu’au jeudi 19 novembre et peuvent continuer à être interdites sans justification. Aussi, peuvent être réalisés des perquisitions sans mandat d’un juge, et on peut « assigner à résidence des personnes qui constituent une menace pour l’ordre public ». À cette disposition s’ajoute le contrôle aux frontières, mesure déjà prévue pour contrôler les manifestations à l’occasion de la COP21, qui aura lieu à Paris dans les premiers jours de décembre.

L’état d’urgence sera prolongé pendant trois mois (décrété par le Conseil des Ministres, il ne peut être prolongé au-delà de douze jours que par la promulgation d’une loi) et ses pouvoirs seront élargis : les « assignés à résidence» peuvent voir leurs passeports et cartes d’identité confisqués et leurs communications avec d’autres personnes peuvent être évitées. La loi proposé par le gouvernement permet aussi de «dissoudre les associations ou groupements de fait qui participent, facilitent ou incitent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ». Le gouvernement a l’intention de réaliser une réforme de la Constitution qui permettrait d’inclure l’existence de cet « état intermédiaire », qui se trouve entre l’état « normal » et l’état de siège.

Parallèlement à cela, le gouvernement a pris une série de mesures visant à renforcer la présence de l’armée et la police. Plus de 110 000 policiers et militaires sont déployés sur le territoire français, on a annoncé la création d’emplois dans les services de sécurité et de renseignement, ainsi que l’achat de nouveaux « matériaux » pour ces unités. On discute la possibilité de permettre aux policiers d’emporter leur arme même si ils ne sont pas en service et d’élargir leur capacité de les utiliser, en éliminant la nécessité d’une « légitime défense », permettant donc que la police tire de façon « offensive » et pas seulement lorsque sa vie est en danger; des prêts ou des budgets supplémentaires pour collectivités qui souhaitent armer la police municipale ont été annoncés. Le gouvernement a également défendu l’idée de « déchoir de la nationalité », à ceux qui sont nés en France ayant une double nationalité et qui constituent un « danger pour la France », en plus d’accélérer les procédures d’expulsion des « individus dangereux », deux mesures défendues par le Front National.

La contrepartie de la politique intérieure ultra répressive est la poursuite d’une politique étrangère de guerre impérialiste. Le gouvernement français a renforcé ses bombardements en Syrie, centralement à Raqqa, un des centres de l’État Islamique. En outre, il a accéléré le départ du porte-avions Charles de Gaulle avec 36 chasseurs-bombardiers à bord, ce qui triplerait la capacité de bombarder de la France en Syrie. Cette politique s’accompagne de la création d’un « large front » contre l’Etat Islamique, ce qui implique la collaboration avec la Russie, jusqu’à maintenant considéré comme l’un des « moutons noirs » de la région. Le chef de Les Républicains François Copé, a défendu l’envoi de troupes au sol en Syrie.

Nous sommes alors face à un virage brutal vers la droite de la part du gouvernement actuel, qui reprend plusieurs des mesures prônés par Les républicains et le Front National, tant en ce qui concerne le renforcement de l’appareil répressif qu’en ce qui concerne la politique contre l’immigration. Pour cette raison Il n’est pas surprenant que ces mesures, aient été applaudies par Sarkozy et Marine Le Pen, qui critiquent en même temps le fait que celles-ci « ne aient pas été prises avant » et qui demandent d’aller plus loin.

Contre « l’unité nationale » de la bourgeoisie, aucune pause dans la lutte des clases

Toutes ces politiques sont accompagnés par le discours de « l’unité nationale », derrière lequel tout le monde, non seulement les différents groupes politiques, mais aussi les travailleurs et les patrons, doivent s’unir pour combattre le « terrorisme ». C’est un vrai rouleau compresseur idéologique visant à faire taire toutes les voix dissidentes et à mettre en place une « pause » dans la lutte des classes, avec l’aide de l’arsenal répressif au service du gouvernement et aussi en faisant appel à la « bonne volonté » des secteurs en lutte.

Sans aucun doute, on vit un climat politique et social étouffant. Le choc post-attentats est encore fort et un climat de paranoïa et de tension se fait sentir dans les rues. Plusieurs grèves prévues pour cette semaine ont été suspendues: comme celle des travailleurs des hôpitaux de Paris, qui avaient décidé d’appeler une grève illimitée à partir mardi contre le plan de restructuration prévu, une lutte qui se développe depuis des mois.

Mais de la part de la bourgeoisie, il n’y pas de « pause » dans la lutte des classes. Les attaques contre les travailleurs ces derniers mois suivent leur cours. Cyniquement, le directeur des hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, a prononcé un discours samedi pour féliciter le personnel des hôpitaux, qui s’est présenté en masse pour travailler (même ceux qui étaient en jour de repos ou qui ne travaillaient pas en cet horaire) pour traiter les blessés de l’attaque. Bien sûr, l’héroïsme des travailleurs des hôpitaux ne les épargnera pas du « plan social » qui les affecte: le même Martin Hirsch poursuivra avec sa politique de réduire les jours de repos des travailleurs, d’augmenter les heures de travail, de réduire le personnel…

C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous arrêter au nom de  « l’unité nationale », nous devons continuer à développer et à renforcer les luttes en cours. Nous devons lutter contre la « période de grâce » que les directions syndicales donnent au gouvernement et lutter parce que les organisations syndicales s’expriment publiquement contre « l’unité nationale » des ceux d’en haut.

En plus des luttes en cours, il faut construire la mobilisation pour faire entendre une voix indépendante au discours de guerre et de répression que défend l’ensemble de l’échiquier politique bourgeois. Nous devons mettre en place une campagne contre la guerre impérialiste, contre le « état d’urgence » et la réduction des libertés démocratiques, qui seront sans doute mis au service de réprimer et d’étouffer les luttes des travailleurs et des jeunes.

Dans le contexte actuel, la construction d’un large front politique et social pour combattre la réactionnaire « unité nationale » est une nécessité de premier ordre. Même minoritaires, un certain nombre d’organisations se sont prononcées contre l’unité nationale bourgeoise: le NPA, Lutte Ouvrière, Alternative Libertaire, Ensemble (membre du Front de Gauche), des syndicats comme l’Union Départemental de la CGT de Paris. C’est un point d’appui important pour s’opposer au virage réactionnaire du gouvernement et faire entendre la voix de ceux d’en bas.

Dans l’immédiat, la préparation de la manifestation en soutien aux réfugiés de ce dimanche doit être un axe central. Il s’agit de combattre le discours islamophobe et hostile à l’immigration qu’ils nous répètent chaque jour depuis les attentats et de montrer notre soutien à ceux qui ont dû traverser le monde entier et de risquer leurs vies pour échapper justement à la barbarie de la guerre impérialiste et de l’État Islamique.

Face à l’approfondissement de la barbarie impérialiste, de la barbarie terroriste, de la désintégration sociale qui produit ces calamités, il devienne impératif de proposer une alternative générale, une alternative pour mettre fin à ce système qui ne produit que des guerres, de la misère et de la souffrance. En réponse aux événements récents, plus que jamais, nous devons dire: révolution socialiste ou barbarie capitaliste.

 

Par Alejandro Vinet, le 18/11/15

Categoría: Français