Feb - 1 - 2016

«  La crise de l’économie chinoise et l’effondrement du prix du pétrole, et le grave tournant de l’économie brésilienne anticipent des temps troublés (…) Le gouvernement de Macri devrait préparer l’économie pour un monde beaucoup plus difficile » (J.M. Sola, La Nación, 24/01/16).

Depuis que Macri a assumé 45 jours sont passé. Le rythme vertigineux des événements – les mesures prises par le nouveau gouvernement- rend difficile de faire un bilan global; sourtout car nous sommes encore en plein l’été, ce qui fausse en général les choses.

Sur la nature du nouveau gouvernement (représentant direct du patronat), nous avons écrit dans ces pages. Mais à l’analyse on doitajouter une question d’une importance capitale: jusqu’à quand durera sa « lune de miel » avec la société?

Cette question n’est pas sans importance parce qu’elle fait partie de la dynamique qui viendra et ouvre également d’autres questions: Comment sera le 2016? Avec quels rythmes sera faite l’expérience avec Macri? Dans quel point pourront se déclencher des luttes d’ensemble?

On a beaucoup écrit sur le rôle du kirchnerisme dans l’opposition; nous avons écrit que le péronisme est divisé en deux ou trois « sensibilités »: le Frente para la Victoire (« Front pour la Victoire », sorte de « label » du kirchernisme ces dernières années) n’est aujourd’hui qu’un secteur du Parti Justicialiste, et il n’est pas encore clair comment sera élue la direction du PJ (on parle des élections internes à un certain moment de l’année).

Moins a été dit de cet autre acteur perfide qui se déplace dans les ombres: les directions syndicales. Il est significatif que Macri n’ait pas encore un accord avec elle. La bureaucratie reste dans les coulisses, n’émet aucun mot, ne se montre pas, se cache dans la chaleur de l’été. Mais si c’est vrai qu’elle n’a pas bougé un doigt, c’est aussi vrai que le « Pacte social » autant recherché n’a pas encore été assuré.

Dans ce qui suit, nous allons essayer de répondre à la question avec laquelle nous avons intitulé cet éditorial.

Tout faire pendant les cent premiers jours

Plusieurs analystes essaient de mesurer l’ampleur des mesures économiques prises par le gouvernement. On parle de « mesures de choc » en matière de dévaluation de la monnaie, l’élimination des impôts aux exportations agricoles (à l’exception du soja), la suppression des taxes sur les exportations industrielles, avoir laissé courir les augmentations de la viande, du pain, du lait et de biens de consommation en général, les hausses du prix de l’essence, etc.

Même ceux qui étaient inquiets que le taux de change reste à un niveau d’équilibre relativement faible, probablement peuvent observer que, peu à peu, le dollar va vers une moyenne de 14 $ et est tout à fait probable que cette augmentation continue.

En tout cas, la préoccupation est de savoir comment éviter un transfert direct de la dévaluation aux prix, surtout au salaire (si les prix augmentent en proportion de la baisse des salaires, la dévaluation sera un succès). C’est-à-dire pour que la dévaluation ne soit pas suivie d’une nouvelle dévaluation (il ne faut pas oublier que Cristina K a effectué une première dévaluation en janvier de 2014, qui a été rapidement réabsorbée par les augmentations), doit être faite une réduction des prix en dollars, principalement, nous insistons, dans le prix principal de l’économie capitaliste qui est la force de travail.

Pour cela il faut réussir à freiner l’inflation. Comment? Simple: en accompagnant la dévaluation (qui a priori tire vers le haut les prix) avec un ajustement des dépenses, en réduisant le déficit de l’Etat, en réduisant le niveau d’émission monétaire, en augmentant les taux d’intérêt; mesures qui peuvent se traduire dans (et en partie ils le recherchent d’emblée) un approfondissement de la stagnation économique et, même, produire une récession.

Compte tenu des potentielles conséquences sociales de telles mesures, certains analystes ont souligné qu’en matière fiscale le gouvernement ferait preuve de « gradualisme » : « Le ministre des finances, Alfonso Prat-Gay, expliqué très clairement que la politique budgétaire pour mettre fin au déficit et à l’inflation, qui sont les mêmes choses, ira lentement. Ce qui a été rapide a été la fin du contrôle sur l’achat des dollars (…) Raisonnable pour un gouvernement assiégé par une opposition conspirative et putschiste, qui avoue ouvertement son intention de renverser Macri »(Jorge Oviedo, La Nación, 18 janvier 2016) ; mais si nous ne voyons nulle part cette vocation  « putschiste » des kirchneristes et l’accusation d’Oviedo à la gauche sur le fait que nous chercherions « une révolution des gnocchis [on appelle ainsi les fonctionnaires qui sont censés ne pas travailler, être employés à travers des magouilles politiques sans vraiment accomplir une fonction] » (puisqu’on lutte contre les licenciements dans l’État!), nous nous permettons de douter qu’en matière fiscale la politique soit « graduelle ».

L’information c’est qu’il y aura nouvelle augmentation des tarifs de l’électricité: on parle d’une augmentation qui irait de 250 % à 500 % sur les factures! Pour cacher les choses (une tromperie du PRO, parti au gouvernement) les factures bimensuelles seront remplacées par des factures mensuelles, pour que l’augmentation semble la moitié de ce qu’elle est vraiment. Après l’électricité viendra une hausse du gaz et pourquoi pas des téléphones, de la télévision, du transport.

Si nous prenons au sérieux le leit motif de Macri, qui est« ce qui n’est pas fait les 100 premiers jours ne sera fait jamais », il est très probable que tout au long de février continuent des nouvelles augmentations brutales qui « achèvent » la mise en œuvre d’une série de mesures.

La bataille la plus importante

C’est cette situation qui place sur un terrain confictuel la première grande bataille à venir: les négociations salariales collectives. La question est que ce serait mieux pour le gouvernement que celles-ci n’aient pas lieu dans le contexte des énormes augmentations de prix et tarifs, mais c’est ce qui va se passer: les patrons vont demander un « sacrifice » aux travailleurs alors que le coût de la vie flambe!

De manière extra officielle, le gouvernement a fait transcender ce qu’il veut: que les salaires soient négociés selon  « l’inflation future et non pas à partir de l’inflation passée ». S’appuyant sur des estimations qu’aucun analyste ne partage, il dit qu’il cherchera cherchera augmentations proches au 20 % et 25 % et pas plus. La proposition est une provocation claire. Elle est tellement inacceptable que même pour la bureaucratie c’est difficile de digérer la chose, c’est pour cela qu’elle reste à l’arrière-plan.

Bien qu’il n’y ait encore aucune estimation officielle, pour tout le monde l’escalade brutale des prix en novembre et en décembre dernier (et qui a maintenant repris à la fin janvier) a été évidente: selon l’indice de San Luis, l’un des deux reconnus par le gouvernement (l’autre est celui de la Capitale Fédérale), l’inflation en décembre est arrivé au chiffre choquant de 6,5 %!

Bien que certains analystes la mettent un peu plus bas, on parle pour novembre et décembre 2015 et janvier, février et mars 2016, de chiffres qui peuvent être de 4, 5 ou 6 points dans chaque cas: en faisant une simple multiplication ces quatre mois on a l’augmentation qui veut donner le gouvernement pour toute l’année!

Ici, le gouvernement a un problème, donc il essaie de faire peur avec le chômage, disant que « nous devons nous concentrer sur la défense des emplois ». À l’issue de cette édition est attendue la fin du conflit des pétroliers de Chubut. Apparemment, le gouvernement soutiendrait le prix du baril de pétrole lourd de ladite province, afin qu’il n’y ait aucun licenciement. La réponse de la part du Syndicat? Ne pas discuter d’augmentations de salaire cette année, accepter la congélation des salaires, alors que les prix flambent !

Il est vrai que les pétroliers ont des salaires élevés et, peut-être, ils accepteront une telle proposition. Toutefois, le précédent que cela signifierait pour l’ensemble des travailleurs serait très mauvais. Le gouvernement utilisera certainement cet exemple pour dire que les travailleurs devraient faire la même chose dans tout le pays: « défendre l’emploi », « penser dans l’Argentine » et blah, blah, blah, cela quand le transfert de ressources vers ceux d’en haut dans le premier mois de son gouvernement a atteint les scandaleux 20.000 millions de dollars!

Cela nous amène directement à l’une des principales conquêtes des travailleurs comme sous-produit de l’Argentinazo (et pas des Kirchner, qui ont été essayé par tous les moyens de maintenir le travail le plus fragmenté et le plus précaire possible!): le niveau d’emploi semble « élevé » par rapport à la série historique. Les employeurs et le gouvernement auraient besoin, éventuellement, d’une « armée de réserve industrielle » plus importante (un taux de chômage plus élevé), de manière que le problème de l’emploi devienne tangible et les attentes d’ensemble baissent. Cela permettrait aussi de donner un argument aux bureaucrates syndicaux pour qu’ils trahissent les travailleurs et abandonnent les revendications salariales.

En tout cas, la première discussion de salaire sera celle du syndicat des enseignants; surtout dans la province de Buenos Aires et il faudra voir quel déroulement ceci aura. La gouverneureVidal a déjà dit que « les revendications de 8 ans (sous Scioli) ne peuvent pas être résolues dans une seule discussion », ce qui, évidemment, prédit que la proposition ne sera pas très généreuse. Dans la province peut exploser le premier conflit d’importance sous le mandat de Macri, bien qu’il reste à voir comment joueront les attentes que, pour l’instant, les gens ont dans le nouveau gouvernement.

Une myriade de conflits

Une série de conflits se déroulent cependant, tan syndicaux que démocratiques. Peut-être les deux plus importants jusqu’à présent ont été ceux des travailleurs de la municipalité à Córdoba (pour l’instant en stand-by), nous pouvons ajouter la lutte des retraités contre la baisse des retraites dans la même province et celle des pétroliers de Chubut.

Également d’une importance et une forte visibilité ont été Cresta Roja juste après l’arrivée du nouveau gouvernement (dont les perspectives sont très difficiles aujourd’hui), ainsi que les travailleurs de la compagnie aérienne Sol dont l’issue semble plus favorable (dans ce cas, le gouvernement semble avoir fait preuve d’une  « capacité de négociation » dans un secteur très sensible en plein été: celui des pilotes et du personnel de l’aviation y compris les syndicats qui se sont tourné vers le conflit). Et nous pouvons ajouter ici un autre cas dans lequel le gouvernement a frappé d’abord, pour après reculer (bien qu’en obtenant toujours quelque chose), comme c’est le cas de la mairie de La Plata en ce qui concerne les travailleurs des coopératives mais aussi des secteurs des fonctionnaires que le nouveau maire de droite a voulu licencier.

À cela on peut ajouter une myriade de conflits dans des petites entreprises de fabrication de vêtements, des brasseries, des différents cas de licenciements au niveau des municipalités, et un long etcetera qui, bien qu’il ne peut pas être caractérisé comme une vague de luttes qui modifie le climat « d’été » que nous vivons, prévoit qu’il ne sera pas facile pour le gouvernement de Macri de mettre en place ses plans.

Si nous passons du terrain revendicatif à celui des problèmes démocratiques, ce qui attire l’attention est l’affaire de l’arrestation de Milagro Sala qui, comme a dit María del Carmen Verdú (CORREPI), étant donnée qu’elle a été arrêtée sous l’accusation de sédition, c’est un chef d’accusation pas « libérable » qui créerait un précédent grave si est confirmée son arrestation.

La question des discussions sur le salaire et l’évaluation des conflits qui se déroulent, en correspondance avec les attaques réalisées par le gouvernement de Macri, est ce qui pose la question sur les perspectives, sur l’expérience faite avec Cambiemos.

Sous les conditions du « sommeil de l’été » encore la majorité des travailleurs ne semble pas sentir (ou, plutôt, il ne «l’exprime » pas encore), les effets des mesures antipopulaires.

Mais cela ne peut pas durer éternellement. Le gouvernement a pris et continuera à prendre des mesures brutales qui, pour rendre les choses pire, vont dans un seul et même sens: elles profitent ceux d’en haut et punissent les opprimés.

La mise en place à la fin de l’année d’un « bonus » de 400 $ pour ceux qui reçoivent l’allocation universelle pour enfant, les bonus dans certains domaines du secteur privé et certaines autres mesure, semblent avoir une portée très limitée si on le compare avec la hausse des prix généralisée, la dévaluation, les licenciements et la hausse de tarifs imminente.

Macri a promis encore que, dans les sessions ordinaires du parlement, sera discuté l’augmentation du plancher à partir duquel s’applique l’impôt sur les salaires. Nous sommes face à un gouvernement qui a gouverné par décret au cours de ses 100 premiers jours, mais pour élever le plancher de l’impôt sur les salaires (même pas pour annuler cet impôt) doit passer par le Congrès !

Ce seul fait montre le caractère de classe du gouvernement : pour les capitalistes, pour les entrepreneurs, tout, pour les travailleurs, pour les exploités, rien !

Cela nous amène à la question concernant le rythme dans lequel les événements se dérouleront. Macri est trop brutal, trop unilatéral dans ses procédures, il est très évident qu’il profite à certains (les riches, les capitalistes) au détriment des autres (les pauvres, les travailleurs).

Probablement ce seront les négociations sur les salaires celles qui donneront naissance à cette confrontation (cela au-delà de la grave hypothèque du monopole de la bureaucratie dans la négociation).

En tout cas, si le gouvernement a un signe réactionnaire, cela ne signifie pas que la situation dans son ensemble le soit: les rapports de forces n’ont pas encore été prouvées, il n’y a toujours pas un virage réactionnaire dans l’ensemble de la situation; ces rapports de force seront sûrement testés dans un avenir proche: pour cela il faut se préparer dès maintenant.

La tâche est de vaincre Macri dans les rues

Enfin, il y a le débat dans la gauche sur l’orientation pour faire face au gouvernement réactionnaire. Dans ces pages, nous avons défendu la position qu’il s’agit de construire la plus large unité d’action pour le vaincre.

Il ne faut pas confondre deux questions. Le kirchnerisme, qui, avec la réabsorption de la rébellion populaire, a ouvert les portes à Macri, veut maintenant se montrer comme l’opposition, mais toujours « de sa Majesté »: pour revenir au pouvoir il a besoin d’être « acceptable » par le patronat à l’avenir et c’est pour cela que sa tâche aujourd’hui est d’assurer la gouvernabilité (voir le vote du budget à Vidal dans la province de Buenos Aires). L’accord que Pichetto [député du FPV] a laissé connaître les dernières heures, apporter soutien aux lois fondamentales de Cambiemos en échange d’un accord de partenariat avec Macri, montre cette volonté.

Dans le même temps, politiquement son rôle « naturel » c’est d’être opposition (car c’est l’alternance au pouvoir patronale). Et d’autre part, le profil idéologique réactionnaire de Cambiemos, de bataille « contre-culturelle » anti-kirchneriste soulève des problèmes et des affrontements dans des terrains plus petits, non essentiels tels que la loi sur les médias et autres, tandis qu’il laisse passer l’essentiel : l’ajustement au niveau national et dans les provinces, même évidemment dans celles gouvernées par les kirchneristes eux-mêmes.

Toutefois, il serait idiot de refuser d’unifier des forces dans les rues pour affronter le nouveau gouvernement. Ce n’est pas vrai qu’on vit dans un « co-gouvernement » [ou gouvernement de cohabitation]. Même pas les radicaux – qui font partie de Cambiemos – ne parviennent à avoir leur mot à dire dans les politiques du gouvernement! Macri n’a pas besoin aujourd’hui co-gouverner avec quelqu’un d’autre; demain on verra.

Il n’est pas vrai que la bourgeoisie siut « divisée en deux camps ». Toute la bourgeoisie est unifiée derrière Macri; le peronisme dans toutes ses expressions dès les plus favorables au gouvernement, jusqu’aux plus d’opposition, jouent leur rôle de « opposition » pour être éligibles à l’avenir et pour gouverner leurs districts, mais ils ne reflètent pas que le patronat soit divisé (comme lors de la crise avec le patronat agraire, où la majorité des capitalistes était contre le gouvernement de Cristina).

Dans ces conditions, refuser d’unifier des forces comme c’est le cas du PO, refuser de sortir les mouvements kirchneristes de de leurs « cachettes » pour mener une action commune, refuser de disputer politiquement leurs bases dans les rues croyant -avec un crétinisme électoraliste féroce!- que ces disputes ne doivent se faire que dans le domaine électoral, c’est un crime politique qui peut seulement faciliter la tâche à Macri pour vaincre les luttes et, de plus, empêcher à la gauche toute lutte pour la direction et la représentation des travailleurs argentins qui encore suivent principalement au péronisme dans ses diverses expressions politiques et syndicales.

La tâche de l’heure actuelle est de commencer à préparer les négociations salariales collectives, faire face aux licenciements dans l’Etat (et le secteur privé), également préparer avec des assemblées générales la négociation de salaires des enseignants dans la province de Buenos Aires (assemblées où les revendications salariales soient votées), multiplier la lutte démocratique pour la liberté de Milagro Sala, renforçant au maximum l’unité d’action dans la perspective de vaincre le gouvernement de Macri en ouvrant la voie d’une issue ouvrière et populaire.

Au service de ces tâches, on doit commencer à se préparer pour la Rencontre Ouvrière au début de mars et pour construire une mobilisation massive et unifiée le 24 mars sur la base du programme du EMVyJ (Rencontre Mémoire, Vérité et Justice, coordination historique indépendante sur les questions des droits de l’homme).

Par José Luis Rojo

Categoría: Français