Mar - 23 - 2016

Après avoir attiré l’attention du monde au cours de l’année 2015, la terrible tragédie des migrants en Europe non seulement n’a pas fini, mais elle est devenue de plus en plus aiguë au cours des derniers mois.

Tout d’abord, la vague migratoire se poursuit avec pleine intensité. En 2015, 1 million de réfugiés a fait son entrée en Europe. En Turquie, a signalé le gouvernement turc lui-même, s’entassent deux millions et demi de réfugiés, dont beaucoup cherchent leur chemin vers l’Europe. La principale source de migrants est toujours la Syrie, où la guerre civile et les interventions internationales continuent de dévaster le pays et de détruire son économie. Il en va de même, dans une moindre mesure, en Irak, Afghanistan et d’autres pays.

Les conditions de cette migration sont assez précaires, comme le monde entier a pu le voir l’an dernier. Le voyage est extrêmement risqué: les bateaux fragiles naufragent souvent, causant la mort de manière régulière. Les autorités locales, au lieu d’aider les migrants à arriver sains et saufs dans ces cas dramatiques, interdisent leurs citoyens de le faire eux-mêmes, sur accusation de  « traite des êtres humains ».

L’élite des bureaucrates de l’Union Européenne (représentants politiques du grand capital européen), face à ce paysage s’est glissée de plus en plus vers une politique de « frontières fermées » ou « Europe-forteresse» (à travers des murs et des barbelés). Dans un premier moment semblaient dominer les tendances à l’ouverture (avec l’Allemagne, essayant de montrer au monde un visage progressif), dans un climat politique dans lequel il y avait même des fortes démonstrations de solidarité populaire. Mais cela a changé dans la mesure où la situation politique a glissé vers la droite (souvent pilotée par la direction même de l’UE et ses pays membres).

Les attentats terroristes et d’autres situations de conflit (par exemple, la vague de viols à Cologne, Allemagne) ont été manipulées dans une campagne de diabolisation des immigrants dans leur ensemble. Ainsi on a pu installer un climat politique majoritairement réactionnaire– en même temps que les éléments d’auto-organisation et de solidarité pour aider les réfugiés de la part de secteurs minoritaires mais très larges des populations européennes ont continué à se développer. Ce climat réactionnaire a comme un symptôme et en même temps comme une circonstance aggravante, la croissance de la droite xénophobe sur le continent (notamment le Front National de Marine Le Pen en France et d’autres pays européens où l’extrême droite gagne du terrain).

C’est dans ce contexte que ces derniers mois, le problème des migrants a connu un saut qualitatif: les pays des Balkans ont fermé complètement leurs frontières empêchant la marche des migrants vers l’Europe (dont la vaste majorité suit la route Turquie-Grèce -Balkans-Europe occidentale). Des dizaines de milliers de migrants ont commencé à s’accumuler en Grèce sans pouvoir  traverser la frontière pour se rendre dans le reste de l’Europe -dans un pays qui est déjà dévasté par sa propre crise économique et sociale-.

Dans le même temps, les bureaucrates de l’Union européenne ont lancé une politique plus offensive contre les migrants. Le Président du Conseil Européen, Donald Tusk, a demandé directement aux migrants économiques de « ne pas venir en Europe », laissant de côté toute imposture progressiste et montrant le vrai visage brutal de la classe dirigeante européenne (la même qui, en fin de compte, a  conduit à deux guerres mondiales au XXème siècle).

Le gouvernement français n’a pas resté à la traîne et a commencé il y a quelques semaines à déloger et détruire l’infâme « jungle de Calais », un camp dans lequel vivent entassés plus de cinq mille réfugiés qui tentent de traverser la Manche vers le Royaume Uni. L’objectif est censé être « les reloger » dans d’autres camps « plus humanitaires », mais c’est loin d’être vérifié.

Un accord réactionnaire entre l’Union européenne et la Turquie

C’est dans ce climat que, finalement, les bureaucrates de l’Union européenne ont trouvé une « solution » au problème de la migration. Il consiste en accorder avec la Turquie la possibilité d’expulser tous les migrants en situation irrégulière sur le sol turc, à partir duquel ils pourraient demander  « l’asile politique » dans l’UE. Les bureaucrates assigneraient ensuite un certain quota de « autorisations» à quelques réfugiés, qui seraient distribué par eux parmi les différents États membres.

Outre la catastrophe qu’implique expulser des familles qui sont déjà installés sur le sol européen et renvoyer ceux qui arrivent après des longues et très risquées traversées, il n’y a aucune clarté ou garantie sur la question de la proportion des migrants (anciens et nouveaux) qui seront  « légalement admis » dans l’UE. Les migrants eux-mêmes ne pourront pas choisir dans quel pays s’installer, et leurs conditions d’existence seraient subordonnées aux gouvernements auxquels ils seraient assignés (problème particulièrement grave dans le cas des gouvernements xénophobes).

En échange de ce plan, l’Union européenne  livrerait  6 milliards d’euros à la Turquie, en plus de fournir aux citoyens turcs des facilités accrues pour entrer dans l’UE et d’avancer dans les discussions pour l’intégration de ce pays au bloc européen. Tout semble indiquer que l’accord consiste à transformer la Turquie en un grand gendarme des frontières de l’Union européenne, dont la fonction sera de freiner la grande majorité de ceux qui cherchent refuge dans le vieux continent.

Comme si tout cela n’était pas déjà assez réactionnaire, il y a encore plusieurs aspects . Il implique, par exemple, un grand  « geste » de la Turquie envers l’Europe pour que celle-ci se taise en échange sur les atrocités commises par le gouvernement turc. En ce moment, Erdogan vient de massacrer plusieurs villes kurdes de Turquie, avec des méthodes de terrorisme d’État et de guerre civile. Dans le même temps, essaie d’éradiquer les médias d’opposition pour imposer une sorte de « Sultanat » incontesté.

Cela implique également une immense hypocrisie de l’Union Européenne. L’UE donne à la Turquie la clé pour gérer l’afflux de réfugiés vers l’Europe, mais elle ne prononce même pas un seul mot sur les responsabilités de la Turquie qui génère ce même flux de migrants. L’UE ne dénonce pas le fait que cela a été le gouvernement d’Erdogan qui a armé et a donné libre cours aux djihadistes de tout type pour détruire la Syrie. L’UE ne dit rien sur les bombardements de la Turquie contre populations kurdes du nord de la Syrie. Elle ne dit rien sur le rôle du gouvernement « Islamique modéré » turque qui a aidé Daesh pour assiéger Kobane et d’autres régions.

En bref, l’accord est une monstruosité cynique et réactionnaire, à travers lequel les bureaucrates de l’Union européenne et le « Calife » Erdogan s’associent pour mener chacun de son côté (et les deux ensemble) leurs propres politiques antipopulaires, totalement contraires aux droits de l’homme et à toute perspective démocratique. La classe dirigeante européenne (et le gouvernement turc) doivent être vaincues avec la mobilisation populaire, pour ouvrir une vraie route vers le progrès en faveur des majorités exploités et opprimés.

Par Ale Kur, Journal Socialismo o Barbarie N°370, 10/3/16

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