Nov - 10 - 2016

 « Je pourrais tirer sur quelqu’un sur la Fifth Avenue et je ne perdrai même pas une voix » (Donald Trump)

Trump a remporté les élections, et les États-Unis et le monde ont été choqués. Autant lui que Hillary Clinton étaient les candidats de l’Empire dans l’élection qui a eu lieu hier. Aucun d’eux n’était une véritable alternative. De toute façon, la victoire du magnat de l’immobilier configure un virage à droite catégorique dans les Etats-Unis et dans le monde.

“Make America great again”

Cela n’a pas été « un coup de tonnerre dans un ciel serein ». On sait qu’il y a une frange importante de la population extrêmement insatisfaite dans les pays impérialistes. Devant le manque d’alternatives et dans un climat général de dépolitisation, cette frange a été canalisée dans les élections américaines par Trump : une candidature « national / impérialiste » réactionnaire jusqu’à la moelle.

Par « national impérialisme » nous nous réferons à un phénomène inexistant dans les dernières décennies en raison du consensus « mondialiste » hégémonique au sein de l’impérialisme. C’est une forme différente de défendre les intérêts impérialistes, par une voie autarcique, protectionniste ou isolationniste (qui a une tradition importante dans le nord du monde, surtout si l’on regarde le processus des années 20 et 30 du siècle dernier) : « Trump semble être obsédé par (…) les traités de libre-échange qu’ont signé nos dirigeants, les nombreuses entreprises qui ont déplacé leurs centres de production vers d’autres lieux, les appels qu’il passera aux dirigeants de ces entreprises pour les menacer d’augmenter les impôts à l’importation s’ils ne retournent pas aux États-Unis » (« Pourquoi de millions de travailleurs américains soutiennent Trump ? », Thomas Frank, The Guardian, 08 / 03 / 16).

Trump anticipe un tournant dans les affaires mondiales. Le consensus « mondialiste » imposé au cours des dernières décennies est en crise. La base matérielle de ceci est la crise économique historique ouverte en 2008, qui n’est pas finie. Au contraire, celle-ci a signifié une baisse générale du niveau de vie de larges portions des travailleurs.

C’est pourquoi le discours protectionniste de Trump a trouvé un écho. L’économiste marxiste britannique Michael Roberts affirme : « (…) la mondialisation, qui a étendu les tentacules du capitalisme dans le monde entier, s’est paralysée. Et la croissance de la productivité du travail, la mesure du « progrès » future, a également cessé de se développer dans les grandes économies » (« La fin de la mondialisation et l’avenir du capitalisme »). Sur ce point il faut ajouter que pour la première fois en plusieurs décennies, la croissance du commerce mondial qui croissait plus rapidement que le PIB international, a stagné.

Sur le plan international plusieurs expressions ont mis en question la mondialisation néolibérale. Aux États-Unis, Bernie Sanders, historique sénateur socialiste du Parti Démocrate, a suscité l’adhésion de la jeune génération (la génération des millenials) avec un important score lors des primaires contre Hillary Clinton dans la première moitié de l’année. Mais il a finalement capitulé face à l’appareil démocratique (nous y reviendrons). En Grèce, Syriza, qui avait suscité des énormes espoirs, a déçu ces mêmes espoirs à une vitesse sans précédents.

Il s’agit d’un déclin général du « progressisme » (Obama, Cristina Kirchner, Lula et ainsi de suite) visible aussi en Amérique latine ; crise générale générée par l’impossibilité évidente de prendre une seule mesure qui aille à l’encontre du système.

Sur la base de cet échec a émergé Trump, ainsi que l’ensemble des expressions de droite ou d’extrême droite que l’on observe récemment dans la conjoncture internationale : « Brexit » en Grande-Bretagne, l’essor de Marie Le Pen en France, l’mpire despotique d’Erdogan en Turquie, etc..

Difficilement Trump sera un simple continuité de qu’il existait jusqu’alors. Il reste à savoir jusqu’où il voudra et pourra aller : « (…) la doctrine de l’autarcie est réactionnaire et totalement utopique. Le fait est que les sources du nationalisme sont aussi les laboratoires des terrifiants conflits à venir; comme un tigre affamé, l’impérialisme s’est retiré dans sa tanière afin de se ramasser pour bondir à nouveau » (Leon Trotski, « Nationalisme et vie économique », 30 Novembre 1933)

Traduisant les brillantes paroles du grand révolutionnaire russe : ce qui se prépare est une attaque en règle contre les peuples du monde, les travailleurs, les immigrés, la population noire, les femmes et les jeunes. Le mot d’ordre de l’heure est de descendre dans la rue -comme ont déjà commencé à le faire les étudiants américains !- pour mettre un coup d’arrêt aux plans impérialistes, bellicistes et d’ajustement économique du nouveau gouvernement de droite.

Le vote de ceux d’en bas

L’on pouvait s’attendre à ce que les sondages se trompent à nouveau. En 2016, dans de nombreux endroits les gens ont voté contre le consensus « mondialiste » dominant. Un cas récent a été le triomphe du Brexit (sortie de l’Union Européenne) en Angleterre. Le vote « non » à la paix en Colombie a été étonnant aussi. Et Marine Le Pen Français pourrait être la « grande surprise » si elle remportait la prochaine élection présidentielle française (même s’il est difficile qu’elle remporte l’élection car le système de scrutin majoritaire à deux tours permet à tous ses adversaires de s’unir derrière un autre candidat).

L’élection présidentielles aux Etats-Unis a exprimé une énorme polarisation. La population noire et la communauté latine ont massivement soutenu Clinton avec 88 % et 65 % des voix respectivement. Chez les jeunes (en prenant en compte une frange large de 18 à 45 ans), le vote à Hillary a également été majoritaire.

Cependant, un problème assez universel, il faut le souligner, arrive avec une frange assez significative de la classe ouvrière. Dans un monde où l’alternative socialiste est encore hors de la scène (même si est en cours un processus d’accumulation d’expériences historiques parmi les franges le plus jeunes), dans un secteur de la vieille classe ouvrière qui a perdu son emploi, qui se sent sans perspectives, abandonnée par les mensonges néolibéraux, le discours de Donald Trump a trouvé un écho profond.

Les camarades de Socialist Worker des États-Unis expriment ceci de manière aigue : « Les spécialistes du Parti Démocrate ne comprennent pas ce qui s’est passé pendant les huit années de la présidence d’Obama, quand ils ont répondu à la grande récession en sauvant les banquiers, tandis qu’ils ont redoublé leur engagement envers le néolibéralisme et l’austérité en coupant le budget de l’Etat au détriment des travailleurs ». Puis ils ajoutent : « Les conditions de vie de millions d’américains se sont détériorées, ou ont stagné. C’est pourquoi, lorsque Trump se scandalise de la destruction d’emplois décemment paiements et accusé Clinton et les démocrates de sacrifier ces personnes, certains segments de la population croient –à tort, mais sous le poids des besoins élémentaires- que quelqu’un comprend leur souffrance » (« Comment ce monstre a pu gagner ? », Socialist Worker, 11/09/16).

Cela ne transforme pas Trump en un « progressiste », évidemment. Il ne fait que refléter une campagne qui a réussi à connecter, démagogiquement, avec le sentiment de larges secteurs qui considèrent que « le rêve américain » c’est fini pour eux ; une frange que l’on appelle « les perdants de la mondialisation » : « L’histoire profonde de la droite c’est qu’on est en train d’attendre dans la file d’attente comme un pèlerin qui se rend sur le sommet d’une colline. Le sommet, c’est le rêve américain. On a travaillé dur, respecté les règles et on considère que l’on mérite cette récompense. La file d’attente n’avance pas, mais on est patient. On ne blâme personne. Et puis on voit que des gens s’incrustent devant nous dans la fille d’attente. Les noirs, les femmes, les immigrés, les réfugiés, pris en charge par les programmes fédéraux. Ils sont tous en train de rallonger la file d’attente, et ils voient le gouvernement fédéral comme quelqu’un qui encourage les gens à s’incruster dans la file d’attente. Le gouvernement fédéral est l’ennemi » (« Gagne qui gagne, nous allons vers une plus grande polarisation », La Nación, 1/11/16))

Le caractère populiste de Trump est un phénomène nouveau, au moins au niveau d’un empire comme les Etats-Unis. Le fait est que les gouvernements et les hommes politiques néo-libéraux de ces dernières décennies ont été caractérisés, plutôt, par une gestion aseptique, par le fait de ne prendre presque aucun engagement. Mais le démagogue est celui qui touche les « fibres sensibles » de larges secteurs, non pas parce qu’il a des réponses à leurs demandes, mais comme stratégie de pouvoir.

Le panorama serait incomplet, cependant, si nous oublions Sanders. Tout le monde parle de Trump, mais oublie la campagne menée par le sénateur socialiste. Sanders a fait des promesses inacceptables pour ceux d’en haut : hausse du salaire minimum à 15 $, l’éducation supérieure gratuite, dans l’un des systèmes universitaires les plus chères dans le monde et d’autres mesures qui ont réussi à connecter avec les jeunes générations et une énorme frange de travailleurs. Mais en abandonnant la bataille en faveur de Clinton, en refusant de se présenter en dehors du Parti Démocrate, il a déçu des millions qui de manière très juste ont refusé de voter par Hillary.

Qui répresente Trump ?

Le caractère nauséabond de toute la campagne électorale a exprimé une profonde crise de la « démocratie » impérialiste américaine, une crise qui se traduit dans la dégradation profonde du système bipartite. Ce système domine la politique américaine depuis plus de 100 ans et, en outre, dans les dernières décennies avait prévalu un consensus des deux partis sur l’orientation néolibérale mondiale.

Cependant, ce consensus était déjà en train de se détériorer. Surtout sur des questions comme les droits des femmes, les questions réligieuses, la politique envers Cuba, le budget national, le plan de la santé, etc., qui ont entraîné un presque blocage parlementaire à Obama. Le Parti Républicain est glissée trop à droite. D’où l’émergence du mouvement Tea Party, duquel, dans tous les cas, Trump n’a pas été l’expression directe.

Mais il faut souligner que Trump est surgi de l’extérieur de l’establishment du Parti Républicain. Et, surtout, de l’extérieur du consensus mondialiste. Il provient du monde des affaires et est devenu une grande vedette de télévision, ce qui l’a aidé à connecter avec le citoyen moyen du pays. [1]

Pour présenter sa candidature, remporter l’investiture républicaine et pendant la dernière partie de la campagne, il a dû s’affronter à l’appareil du parti. Si grave a été la confrontation dans la direction du parti, qu’il y a quelques semaines, lorsque sont apparues les dénonciations qu’il était un harceleur serial de femmes, la perspective que Trump renonce à sa candidature était bien réelle.

Mais la raison de ce manque de soutien n’est pas à être recherchée dans son style. Elle découle d’une orientation politique différente à la dominante : il arrivera au poste exécutif le plus important au niveau mondial comme un véritable « outsider ». Pas comme un outsider de sa classe sociale, bien sûr : c’est un milliardaire. Mais il arrive en outsider en ce qui concerne les orientations politiques et économiques jusqu’alors dominantes, question qui a laissé un océan d’incertitudes sur ce que seront ses prochains pas.

Lorsque l’ensemble de l’establishment et des médias les plus reconnus comme le New York Times, The Washington Post et The Economist se sont positionnés contre Trump, ils l’ont fait, en premier lieu, à cet égard : ils ont pris la tranché de la mondialisation impérialiste : « Le triomphe de Mister Trump, un entrepreneur immobilier transformé en star de la télé sans expérience de gouvernement, a exprimé un puissant rejet des forces de l’établissement qui se sont unies contre lui, du monde des affaires au gouvernement, en défense du consensus forgé autour des questions qui vont du commerce à l’immigration » (« New York Times », Matt Flegenheimer et Michael Barbaro, 11/09/16).

Trump exprime la crise de ce consensus. Le président du Parti Populaire Européen (centre-droite classique), Manfred Weber, a déclaré : « Nous ne savons pas ce que nous pouvons attendre des Etats-Unis » (eldiario.es, 11/09/16).

Paradoxalement, en outre, le Parti Républicain a remporté la majorité dans les deux chambres (il a ratifié sa domination dans celles-ci), ce qui ajouté à la présidence, lui donne un monopole de la vie politico-institutionnelle beaucoup plus grande que celui dont Obama a joui pendant sa présidence.

Cependant, c’est encore un paradoxe, encore une source de problèmes. Avec les démocrates sans presque aucun poids, bon nombre des décisions et des conflits devront se régler dans ce Parti Républicain, qu’il y a quelques semaines seulement semblaient sur le point d’exploser et maintenant a tout remporté. Le discours protectionniste de Trump, ses projets contre les accords de libre-échange, ce « retour des États-Unis comme une grande puissance », etc., tout cela semble annoncer des fortes crises et affrontements. [2]

L’histoire n’est pas finie

Ce qui vient de se produire aux États-Unis consacre un virage la droite dans les affaires mondiales. Si Trump avance vraiment dans son orientation, l’économie mondiale pourrait revenir à une crise majeure. Un virage protectionniste aux Etats-Unis qui donne lieu à des réponses compétitives symétriques dans d’autres pays du centre impérialiste, la Chine et la Russie, non seulement affaiblirait la place des Etats-Unis dans le monde : il ouvrirait une grande dépression similaire à celle des années 30 (d’où la panique des bourses mondiales et des autorités des institutions économiques internationales).

Le monde commencerait à laisser derrière lui le « postmodernisme ». Les choses deviendront sérieuses. La « grande modération » sans précédent que le monde a vécu ces dernières décennies (la gestion néolibéral globalisé démocratique bourgeoise des affaires), pourrait être sérieusement affaibli : « (…) l’ordre libéral de ces dernières décennies semble être en train de s’effondrer » (“¿Qué pasa si gana Trump? Cinco claves. Ricardo Mir).

La rupture de ce consensus commence par la droite, non pas par la gauche. Si Trump mène à terme son programme (cela n’est pas sûr encore), cela impliquera des attaques inédites contre ceux d’en bas. Mais ceux d’en bas ne laisseront pas passer ces attaques sans lutter.

Trump menace la population latino. Trump menace les femmes. Trump menace la population noire. Trump nie le changement climatique et il est déjà du pain béni pour les industries pharmaceutiques dont les actions augmentent en ce moment. Et, bien qu’il ne le dise pas, bien qu’il soit démagogique sur ce plan, il fait aussi de surexploiter les travailleurs auxquels il promet le paradis, tandis qu’il s’apprête à supprimer les impôts sur les riches et les millionnaires.

Il est probable que se prépare dans le futur proche une réponse sociale dans le géant du Nord comme on ne l’a pas vu depuis les années 70. Même si cela prendra du temps, même s’il faudra surmonter la démoralisation initiale, si Trump s’applique ses plans, ce résultat pourrait être inévitable.

Le pendule de la lutte des classes est ainsi. Ce qui est arrivé jusqu’ici est une « simple » élections présidentielle. Mais elle pourrait être une anticipation des intentions. Si Trump matérialise ce qu’il anticipe, bien que le processus commence par la droite, le pendule pourrait rebondir, les circonstances pourraient se polariser, la nouvelle génération pourrait se politiser et tout cela donnerait lieu à des combats de la lutte des classes sans précédents depuis les dernières 30 ou 40 ans.

Tout l’équilibre mondial pourrait être remis en question. L’époque de crises, de guerres et de révolutions pourrait se rouvrir. Ces temps liquides post-moderne pourraient être dépassés. La droite pourrait ouvrir la porte à l’inconnu. Il faut s’unir dans les rues pour stopper tous les fachos qui existent dans le monde et pour relancer la perspective de la révolution socialiste dans le XXI siècle.

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Notes

[1] Ceci surtout dans les parties les moins urbanisées et fragmentées du pays. Tous les analystes soulignent le fait que le vote presente un clivaje très fort dans ce sens: le monde rural a massivement voté Trump, et le monde urbain a voté Clinton.

[2] Il faut ajouter à ceci les problèmes de politique internationale qui pourraient se poser. Obama a été ces dernières années le « visage humain », du néolibéralisme et de la mondialisation, ce qui a permis aux États-Unis de récupérer au moins une partie de l’aura perdue. Mais maintenant cet « héritage » pourrait être mis en doute. Trump a critiqué les accords avec l’Iran et Cuba. De plus, la majorité républicaine dans les deux chambres pourrait faire revenir en arrière aussi d’autres accords internationaux.

Par José Luís Rojo

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